Un justiciable peut bénéficier de l’assistance judiciaire s’il ne peut pas assumer les coûts d’une procédure. Si elle est octroyée, les frais de justice et/ou les honoraires d’avocat sont pris en charge par l’État. Selon les pratiques cantonales, l’étendue de l’assistance judiciaire peut être totale, soit exonérer le justiciable de l’intégralité des frais, soit partielle et l’exonérer des frais judiciaires ou des frais nécessaires pour l’assistance d’un avocat.
L’article 123 du code de procédure civile (CPC) fixe le cadre de l’obligation de remboursement: «Une partie est tenue de rembourser l’assistance judiciaire dès qu’elle est en mesure de le faire.» Cette disposition ne précise ni les modalités ni les conditions de ce remboursement, ces éléments étant laissés à la libre appréciation des cantons.
Notre homologue alémanique, plaedoyer, a mené l’enquête au mois de juin dans les cantons outre-Sarine. Puis, nous en avons fait de même en Romandie après la pause estivale. Les différences sont marquées et les processus mis en place diffèrent fortement entre les cantons romands et alémaniques.
Si la majeure partie des cantons alémaniques adressent un courrier aux intéressés entre trois et cinq ans après la clôture de la procédure pour exiger le remboursement des frais, cette pratique n’est pas généralisée en Suisse romande, où les cantons de Genève et de Vaud exigent un remboursement dès l’octroi de l’assistance judiciaire. Tel n’est pas le cas dans les autres cantons romands, où le remboursement anticipé n’est pas institutionnalisé.
Les pratiques genevoises et vaudoises
Dans les cantons de Vaud et de Genève, l’obligation de remboursement de l’assistance judiciaire ab initio est même précisée dans les formulaires de demandes. L’exemplaire vaudois prévoit une rubrique concernant la participation aux frais du procès par laquelle le requérant s’engage à rembourser les frais du procès pour un montant minimal de 50 francs par mois.
Quant aux potentiels bénéficiaires genevois, ils sont informés par le biais de la note informative annexée à la demande d’assistance judiciaire: «L’assistance juridique peut être assortie du versement d’une participation mensuelle valant remboursement anticipé des prestations de l’État.» Dans ces cantons, le montant des mensualités pour le remboursement figure directement dans le jugement traitant de l’octroi de l’assistance judiciaire.
À Genève, le remboursement anticipé est par ailleurs expressément mentionné à l’article 4 alinéa 1 du règlement cantonal sur l’assistance juridique et l’indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d’office en matière civile, administrative et pénale (RAJ; RSGE 2.05.04): «En règle générale et pour autant que cela ne porte pas atteinte aux besoins fondamentaux de la personne requérante et de sa famille, l’assistance juridique est assortie du versement d’une participation mensuelle valant remboursement anticipé des prestations de l’État au sens de l’article 123, alinéa 1, du code de procédure civile.»
Certains cantons souhaiteraient atteindre le taux de recouvrement élevé du canton de Vaud, à l’instar du canton de Fribourg. Lors de la session de juin 2023 du Grand Conseil fribourgeois, la Commission de justice cantonale a proposé une systématisation du remboursement dès l’octroi de l’assistance judiciaire. Son vice-président, le socialiste Pierre Mauron, a exposé les chiffres concernant le taux de remboursement de l’assistance judiciaire. Dans le canton de Vaud, 16 millions de francs seraient remboursés sur les 24 millions avancés à titre d’assistance judiciaire.
Fribourg est loin du compte avec un remboursement couvrant 10% des montants avancés. Dans les faits, les juges fribourgeois n’exigent le remboursement anticipé que dans 1% des cas, même si l’art. 123 al. 1bis de la loi sur la justice (LJ; RSF 130.1) prévoit que «l’octroi de l’assistance judiciaire peut être combiné avec l’obligation de verser une participation mensuelle valant remboursement anticipé des prestations de l’État». Le canton de Neuchâtel, qui ne pratique pas le remboursement anticipé, parvient tout de même à récupérer 24% des montants alloués.
Pas d’uniformité dans les calculs
Si un montant forfaitaire correspondant à 20% du montant de base (pour mémoire, ce montant s’élève à 1200 francs pour une personne seule) est souvent ajouté au minimum vital outre-Sarine, tel n’est pas le cas en Suisse romande. Seul le canton de Genève ajoute 25% du montant de base mensuel au minimum vital pour déterminer la capacité de remboursement du bénéficiaire.
Bien évidemment, d’autres méthodes permettent d’augmenter le minimum vital prévu par le droit des poursuites. Dans le canton de Vaud, par exemple, les charges effectives prises en compte ne se limitent pas à celles prévues par le minimum vital du droit des poursuites.
Les autres cantons appliquent le revenu minimal du droit des poursuites, auquel sont ajoutés les impôts. Cette pratique s’aligne sur un récent jugement du Tribunal fédéral (TF 2C_275/2020) qui mentionne que les impôts doivent être pris en compte lors de la détermination de la capacité financière du bénéficiaire de l’assistance judiciaire. Sur ce point, le canton du Valais fait cavalier seul en se limitant au minimum vital reconnu par le droit des poursuites.
Si le canton de Vaud n’astreint pas les bénéficiaires de l’aide sociale, de rentes AVS/AI et de prestations complémentaires au remboursement, tel n’est pas le cas à Neuchâtel, où ces bénéficiaires ne sont pas forcément épargnés s’ils peuvent s’acquitter de petites sommes.
La fortune est prise en considération dans tous les cas mais le seuil déclenchant l’obligation de remboursement varie d’un canton à l’autre. À Genève et dans le canton de Vaud, les avoirs supérieurs à la réserve de secours déclenchent l’obligation de remboursement. À Genève, le montant de cette réserve de secours se situe entre 20'000 et 40'000 francs en fonction de l’âge et de l’état de santé du bénéficiaire. Les autres cantons romands n’appliquent pas de franchise.
Des remboursements mêmes minimes
Si les revenus dépassent le minimum vital, le remboursement pourra en principe être exigé. Dans le canton de Vaud, un remboursement mensuel minimal de 50 francs est généralement exigé. Pour le canton de Genève, les remboursements sont admis si le disponible mensuel excède 30 francs. Fribourg demande un remboursement dès lors que les revenus du bénéficiaire dépassent le minimum vital augmenté des impôts de 300 francs.
Si quelques cantons alémaniques, à l’instar de Berne, reconnaissent qu’aucun remboursement ne peut être exigé en dessous d’un revenu minimal imposable (35'000 francs à Berne), cette pratique est inconnue en terres romandes.
Certains cantons romands renoncent toutefois à la procédure de recouvrement si le plan de remboursement dépasse une certaine durée, comme à Genève.
Ce canton renonce au recouvrement si le remboursement des mensualités s’étale sur une durée supérieure à cinq ans. Un procédé qui pourrait être modifié dès l’année prochaine. Dans le canton du Jura, le remboursement sur une durée limitée à trois ans est privilégié sans qu’il s’agisse d’une règle absolue.
Prescription de la dette
Selon l’art. 123 al. 2 CPC, la créance du canton se prescrit par dix ans à compter de la fin du procès. En pratique, la majeure partie des cantons prennent en compte les actes interruptifs et s’adressent aux héritiers si la succession n’est pas répudiée. Le canton du Valais fait exception en mettant fin au recouvrement dix ans après la fin du procès.
Les héritiers peuvent ainsi être amenés à devoir rembourser les montants avancés par le canton si la dette n’est pas prescrite. En Suisse romande, tous les cantons ont indiqué que les héritiers pouvaient être recherchés dans le cadre de la liquidation de la succession.
Souplesse au Tribunal fédéral
Le Tribunal fédéral fait preuve d’une certaine largesse concernant le remboursement des frais de justice avancés. «Trois ans après l’octroi de l’assistance judiciaire, le Tribunal fédéral demande au bénéficiaire de rembourser si sa situation s’est améliorée», selon le porte-parole, Peter Josi. Si ce n’est pas le cas ou si la personne ne réagit pas à la lettre, c’est terminé.
Le Tribunal fédéral ne demande pas aux héritiers de rembourser les frais de justice impayés. L’année dernière, 51'000 francs de frais avancés ont été reversés dans les caisses du Tribunal fédéral. Cela ne représente qu’environ 7% des quelque 700'000 francs de frais de justice avancés.
Des pays limitrophes moins stricts
Tout comme en Suisse, le Liechtenstein, l’Allemagne et l’Autriche accordent l’assistance judiciaire aux personnes qui ne peuvent pas assumer les coûts d’une procédure judiciaire. En cas de retour à meilleure fortune, les délais de prescription de la créance de remboursement de l’assistance judiciaire sont plus courts.
En Autriche, ce délai est de trois ans. En Allemagne, la créance s’éteint après quatre ans. Dans la principauté du Liechtenstein, la créance se périme au bout de dix ans, le débiteur n’a donc pas à s’inquiéter d’éventuels actes interruptifs ou suspensifs!