Entrer dans la vie active n’est pas chose facile. Surtout lorsque la plupart des employeurs demandent, en plus d’un parcours universitaire remarquable, une expérience professionnelle. Difficile pourtant pour les étudiants en droit qui n’ont que peu d’opportunités pour mettre en pratique leurs connaissances théoriques. Afin de pallier cette lacune, les universitaires fribourgeois, genevois et lausannois ont trouvé une solution: organiser des permanences juridiques gratuites. En règle générale, les étudiants proposent une première analyse légale des cas, déterminent les chances de succès et conseillent sur les procédures. Mais ils ne prennent pas la responsabilité de rédiger, au nom du conseil juridique du moins, des actes tels que des plaintes, des recours ou des contrats.
La voie électronique
A Lausanne et à Fribourg, la majorité des cas sont traités par courriels et les clients ne rencontrent que rarement ceux qui travaillent sur leur dossier. A Lausanne, le service de conseil juridique est tenu par douze étudiants en master, qui se réunissent une fois par semaine. Après plus de dix ans d’activité, son fonctionnement est bien rodé: l’année dernière, par exemple, pas moins de 120 cas ont été pris en charge. Mais il y a un bémol, selon son responsable, Samuel Benaroyo: «Comme c’est un service gratuit et ouvert au public, parfois, il y a des questions qui pourraient être réglées sans notre aide et par un simple coup de téléphone.»
En parallèle, pour traiter les problèmes des étudiants lausannois liés à l’Université, un nouveau service est proposé depuis le début du semestre: la Commission d’aide aux recours estudiantins (CARE). L’avantage, pour les quatre juristes en herbe qui y travaillent, c’est la possibilité de gérer le cas du début à la fin, y compris la rédaction de recours.
L’Université de Fribourg dispose d’un service juridique de choc, puisqu’il est tenu par Emilie Praz et Nicole Aellen, toutes les deux assistantes et avocates. Aucun étudiant ne les aide. Employées par l’Université, leur travail consiste à aider les étudiants sur des questions liées à leur formation. «Nous essayons d’être le plus large possible pour traiter un maximum de cas», précise Emilie Praz. Elles gèrent une cinquantaine de dossiers par année et, au besoin, elles sont épaulées par un professeur de la Faculté de droit.
Les face-à-face
A Genève, deux associations estudiantines proposent des conseils juridiques: la Permanence juridique des étudiants en droit (PJE) et la Junior Entreprise de Genève (JEG). Si les deux préfèrent le contact direct avec les clients et enrôlent des étudiants en dernière année de bachelor ou en master, elles ne fonctionnent pas de la même manière pour autant. La PJE est tenue par 33 étudiants qui travaillent en équipe de quatre. Leurs équipes sont organisées en fonction des compétences juridiques et linguistiques de chacun. Au total, ils peuvent conseiller en quinze langues différentes. «Nous avons remarqué que cela aidait énormément les clients de pouvoir parler dans leur langue maternelle», précise Claire Hottelier, vice-présidente de la PJE. Et cela fonctionne puisqu’ils assistent une quinzaine de personnes chaque semaine. Ils proposent sept permanences hebdomadaires de deux heures dans le local prêté gratuitement par l’association de la Maison de Quartier de la Jonction. Car, depuis quatre ans, la PJE est complètement indépendante de l’Université. Et donc, aucun professeur ne supervise leur travail.
La JEG, en revanche, est rattachée à la Faculté des sciences économiques et possède un bureau au sein-même de l’Université. Face à la demande du marché, elle a dû développer un conseil juridique. Quatre étudiants conseillent durant deux heures, une fois par semaine, les étudiants (gratuitement) et le public (au bon vouloir). La JEG est en train de finaliser un accord d’entraide avec le créateur de la permanence devenu, depuis lors, avocat stagiaire dans une grande étude genevoise.
L’apprentissage sur le terrain
Mais il ne s’agit pas uniquement de confronter les connaissances théoriques à la pratique. Car tout n’est pas inscrit dans les livres de droit. «C’est une bonne formation pour apprendre à gérer le côté humain, ce qu’on ne voit jamais dans les cours, explique Claire Hottelier. Nous devons gérer les réactions des clients mais aussi les nôtres pour rester professionnels.» Elle se rappelle notamment avoir dû faire face à des personnes agressives, schizophréniques ou simplement très émotives. «Au début, nous n’avions pas prévu de tels débordements et donc nous n’avions même pas de mouchoirs pour essuyer leurs larmes!» Selon la PJE, les atouts de sa permanence résident dans le temps accordé aux clients et la gratuité. Mais ce n’est pas pour autant que l’exercice n’est pas pris au sérieux: «Ce n’est pas un jeu. Il y a de vraies personnes avec de vrais problèmes», admet Samy Benzaoui, président de la PJE. «Il n’y a aucun cas sans ce côté social, et c’est ce qui rend la situation encore plus complexe», précise Claire Hottelier. Finalement, en plus de l’expérience professionnelle à inscrire sur leur CV, les étudiants obtiennent une attestation ou une lettre de recommandation.
Selon Claire Hottelier, leur statut d’étudiant ne pénalise pas leur travail: «Je pense que les gens ont peut-être moins peur de nous consulter pour des questions qu’ils jugent trop peu importantes pour des avocats.» En revanche, toutes les permanences soulignent le fait qu’il ne s’agit que de conseils et qu’eux-mêmes ne sont qu’étudiants. Lorsqu’ils ne connaissent pas une réponse ou qu’un acte officiel doit être établi, ils renvoient leurs clients vers les avocats. «Nous ne jouons pas les Rambo du droit! Nous connaissons nos limites», conclut Christophe Moser, secrétaire de la PJE.
Projet à Neuchâtel
Selon le décanat et la conseillère aux études de la Faculté de droit, Laure Christ, un tel service n’a jamais existé, bien qu’il ait fait l’objet de discussions au sein de l’Association neuchâteloise des étudiants en droit (ANED). A la suite de nos questions, cette dernière a décidé de remettre ce sujet sur le tapis lors de la dernière réunion du comité, à la fin d’avril. Et l’idée a convaincu. Une commission s’est même formée pour réfléchir à la mise en place d’un conseil juridique, en accord avec l’Université et dans les règles. «Nous espérons que ce projet aboutira très prochainement», prévoit Roxane Wirth, présidente de l’ANED.