La législation sur la transparence n’est pas toujours bien comprise sur le plan fédéral (lire plaidoyer 5/2014), mais les cantons et les communes ne font pas mieux. L’accès aux documents officiels y est parfois laborieux, et parfois carrément impossible, au mépris des lois cantonales sur l’information et la transparence.
Dans le canton de Vaud, la consultation des dossiers de construction est un exemple révélateur de ce phénomène. L’avocat souhaitant prendre connaissance de ces pièces pour conseiller au mieux un client sur l’opportunité d’une procédure se heurte parfois à un mur après le délai de mise à l’enquête. Xavier Rubli, avocat à Lausanne, en témoigne: «Certaines communes se montrent encore réticentes pour l’accès à ces documents, dont le caractère officiel a pourtant été reconnu par le Tribunal cantonal. Elles concèdent, par exemple, un droit de prendre en photo les plans, ce qui n’offre pas une qualité suffisante, ou réclament jusqu’à 2 fr. par photocopie!»
La législation vaudoise (Règlement d’application de la loi sur l’information) est pourtant claire: la copie des 20 premières pages est gratuite, puis elle peut être facturée 20 ct. Et le Tribunal cantonal vaudois a établi sans équivoque en 2013 (GE 2013.0040), qu’un dossier de construction est un document officiel, accessible au public en l’absence d’intérêt public ou privé prépondérant. A la commune de Lausanne qui invoquait dans un cas particulier la perturbation de son fonctionnement et l’excès de travail en raison des photocopies à faire, les juges ont expliqué «que les photocopieuses modernes permettent de copier rapidement toutes sortes de documents». Ils n’ont pas non plus retenu l’argument selon lequel l’ouverture du dossier de construction hors délai encourage les litiges de voisinage et favorise les cambriolages…
Toujours dans le canton de Vaud, Xavier Rubli n’a pas pu consulter une convention sur un projet d’éoliennes impliquant plusieurs communes. «L’intérêt public à connaître ce texte est pourtant manifeste», commente l’avocat, dont le mandant a finalement renoncé à entamer une procédure. Autre exemple frappé du sceau du secret: le dossier concernant la recherche d’un emplacement pour les gens du voyage. «Le canton invoque le fait que le processus n’est pas terminé, mais il existe déjà des pièces qui sont soumises à la loi sur l’information.»
Droit des tiers
La préposée vaudoise à la protection des données et à l’information, Mélanie Buard, reçoit régulièrement des appels de communes recherchant des informations concernant les mises à l’enquête hors délai. «Il n’existe en effet pas de motifs de refus dans la majorité des cas, mais, si un tiers autre que le demandeur est cité dans le dossier, il doit être interpellé pour avoir la possibilité de faire opposition sur la base de la loi sur la protection des données.» Contrairement à d’autres cantons romands, le PPDT vaudois n’est toutefois pas l’autorité de recours contre les refus des communes. C’est le Tribunal cantonal (Cour de droit administratif et public) qui est saisi directement.
Cas genevois
A Genève, «une culture de la transparence s’est développée pour les dossiers de mise à l’enquête, constate Nicolas Wisard, avocat spécialisé en droit de la construction et de l’environnement. Mais cela ne doit pas occulter le fait qu’il reste des cas compliqués en matière d’aménagement du territoire et de protection de l’environnement. Il existe une inertie des administrations quand les informations demandées sont dérangeantes.» L’avocat genevois a, par exemple, mené une bataille de six mois pour obtenir les données d’émissions sonores du chantier du CEVA, qui incommode tout un quartier, y compris la nuit. Face à un écheveau inextricable de compétences cantonales et fédérales dans cette affaire, il s’est finalement adressé à l’Office fédéral des transports en invoquant autant le droit d’accès au dossier réservé aux parties, la législation sur la transparence et les dispositions de la Convention d’Aarhus sur l’accès aux données environnementales. Pour recevoir au bout du compte des données d’émissions dans une unité de mesure non usuelle.
Nicolas Wisard a aussi expérimenté la difficulté d’être informé sur les concessions d’utilisation du domaine public, par exemple, pour l’affichage publicitaire: les conditions de localisation ne sont pas transmises, alors qu’elles sont déterminantes pour la collectivité.
L’affaire Tamoil
Le Valais a connu récemment une grosse affaire de rétention de documents officiels. Une journaliste du «Temps» a mené un parcours du combattant, entre 2012 et 2014, pour obtenir les données d’émissions polluantes dans l’air et l’eau de la Raffinerie Tamoil. Elle invoquait la récente loi valaisanne sur l’information, la protection des données et l’archivage (LIPDA, entrée en vigueur en 2011) et la loi fédérale sur la protection de l’environnement. Le Conseil d’Etat a finalement reconnu que dès lors qu’elles avaient été transmises à l’administration, les informations réclamées étaient officielles.
Lois peu connues
Les dispositions légales sur la transparence sont encore peu connues, tant au sein du public qui pourrait en profiter que dans les services administratifs chargés de les appliquer. Le constat émane, entre autres, des préposés à la protection des données et à la transparence, dotés d’un pouvoir de recommandation en la matière, mais pas de sanction. Une méconnaissance surprenante dans des cantons comme Vaud et Genève, où les lois en question sont en vigueur depuis plus de dix ans? «Nous recevons de plus en plus de questions concernant la LInfo, notamment de la part de communes qui ont de la peine à l’appliquer, observe la préposée vaudoise, Mélanie Buard. A leur décharge, il faut reconnaître que la procédure en la matière est complexe. La LInfo impose de faire une pesée d’intérêts entre les exigences de la transparence et la protection des données, et d’interpeller les tiers concernés. Mais le demandeur n’a pas à justifier d’un intérêt personnel à la consultation, ce qui n’est pas toujours compris des services communaux influencés par les autorités et les formations politiques.» Sur les 502 demandes adressées aux services de la préposée vaudoise en 2014, 53 concernaient la LInfo.
Culture du secret
Dans le canton de Genève, le préposé à la protection des données et à la transparence, Stéphane Werly, souligne également la complexité de la législation sur l’information. La LIPAD contient à la fois des éléments sur la transparence et la protection des données, que vient compléter un règlement (RIPAD). A cela s’ajoute une persistance, dans l’administration, d’une «culture du secret, surtout chez les fonctionnaires les plus anciens, prompts à invoquer le secret de fonction. Ils ignorent souvent que celui-ci est l’exception, la règle étant la transparence.»
Par ailleurs, déplore encore Stéphane Werly, le fonctionnement de la LIPAD est mal connu au sein de l’administration elle-même: on ignore souvent qu’il faut s’adresser aux répondants existant dans les différents services, avant de se tourner vers le préposé. Une liste de ces «responsables LIPAD» est pourtant régulièrement mise à jour. L’an dernier, le PPDT de Genève a livré 45 conseils aux institutions et aux particuliers concernant la transparence, sur un total de 221.
Préposé oublié
Dans les cantons du Jura et de Neuchâtel, «parfois les autorités oublient encore d’indiquer le préposé à la protection des données et à la transparence comme voie de droit, regrette le titulaire du poste, Christian Flückiger. Je ne leur jette pas la pierre, car la convention Jura-Neuchâtel en la matière est récente (2013).» L’an dernier, 13% des dossiers du préposé concernaient la transparence. Mais, comme dans les autres cantons, il n’existe pas de véritable outil de mesure pour évaluer le nombre de cas où les citoyens ont pu faire valoir leurs droits, car l’administration n’est pas tenue de communiquer à ce sujet.
A l’instar de ses homologues, Christian Flückiger regrette la lenteur de la procédure en cas de refus d’accès à un document officiel: «En cas de contestation, la rapidité préconisée par les différentes lois est illusoire. En particulier pour répondre aux besoins des journalistes, et répondre aux objectifs consistant à contrôler l’administration, il faudrait une chaîne accélérée.»
Et certaines lois ne prévoient pas de délai pour répondre à une demande d’accès à un document officiel. Elle doit, par exemple, être traitée «rapidement» selon la LIPAD genevoise, «avec diligence et rapidité» dans le Jura et à Neuchâtel. Dans le canton de Vaud, la LInfo impose un délai de 15 jours, pouvant être exceptionnellement prolongé d’une fois autant en cas de demande complexe. Le Valais prévoit un délai de 10 jours, renouvelable une fois à certaines conditions, tandis que Fribourg accorde 30 jours.
Gratuité relative
La consultation d’un document officiel est en principe gratuite, mais les différentes lois prévoient des émoluments en cas de demandes nécessitant un travail important, ou lorsqu’elles sont répétitives ou abusives. Les photocopies peuvent être facturées, à des tarifs assez variés: allant, comme on l’a vu, de 20 ct. dès la 21e page dans le canton de Vaud jusqu’à 1 fr. par page en Valais…