La Suisse a violé le droit à la vie
Le 30 juin 2020, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a reconnu la Suisse coupable d’avoir violé le droit à la vie selon l’article 2 de la Convention. Elle l’a condamnée au paiement de 50 000 fr. pour tort moral.
L’affaire concerne la requête de la mère de F., qui avait causé un accident de la route à Birmensdorf (ZH) en septembre 2014, alors qu’il était sous l’influence d’alcool et de médicaments.
F. a d’abord été emmené à l’hôpital par la Police cantonale de Zurich, pour des prélèvements d’urine et de sang. A l’idée de passer des examens médicaux supplémentaires, il s’est montré agité et a fait part de pensées suicidaires. Malgré cela, les policiers l’ont transféré dans un poste de police d’Urdorf (ZH), où ils ont mandaté un médecin d’urgence pour effectuer un placement à des fins d’assistance. Plutôt que de le laisser attendre avec eux l’arrivée du médecin, les policiers ont décidé de placer F. dans une cellule sans surveillance. F. a protesté avec véhémence et a tenté de fuir. Il a de nouveau exprimé son intention de s’ôter la vie. Mais rien n’y a fait: les policiers l’ont enfermé de force et laissé seul.
Arrivé au poste près d’une heure plus tard, le médecin d’urgence a décidé d’attendre que la police organise ses renforts. Quarante minutes après le dernier contrôle, le médecin et les policiers se sont enfin rendus dans la cellule de F., qu’ils ont retrouvé mort: il s’était pendu avec son jean à une grille de ventilation.
La mère de F. a porté plainte contre les policiers impliqués pour homicide par négligence. Le Ministère public de Dietikon (ZH) a estimé qu’il n’y avait aucun soupçon d’infraction pénale. Il a donc demandé au Tribunal cantonal de Zurich de ne pas accorder l’autorisation nécessaire à l’enquête pénale. La demande a été acceptée par le Tribunal cantonal, puis confirmée par le Tribunal fédéral.
Dans son arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) rappelle tout d’abord que l’Etat a un devoir particulier de protection envers les prisonniers, car ces derniers sont considérés comme étant sous sa garde et particulièrement vulnérables. Elle estime que les policiers, dans le cas concret, n’ont pas pris les mesures nécessaires pour protéger la vie de F., alors même qu’ils étaient conscients de sa nature suicidaire. Une surveillance particulièrement étroite aurait dû être mise en place du moment que F. a fait part de ses pensées suicidaires.
La Cour estime par ailleurs que la Suisse a violé le droit à la vie de F. d’un point de vue procédural, en refusant d’enquêter sur l’affaire. Sur la base de la jurisprudence fédérale suisse (1C_633/2013, E. 3.4.), elle rappelle que l’autorisation d’enquêter devrait être accordée même lorsqu’il n’y a qu’une faible probabilité de responsabilité pénale. Selon elle, cela devrait s’appliquer dans une large mesure aux infractions graves et, en particulier, lorsqu’il s’agit d’éclaircir les circonstances du décès d’une personne.
Selon le rapport d’autopsie de l’Institut médico-légal de Zurich (IRMZ), il existait au moins deux facteurs de risque pour que F. se suicide en détention. L’IRMZ a également souligné qu’il aurait été préférable d’appeler un psychiatre plutôt qu’un médecin d’urgence. Ni le Tribunal cantonal de Zurich ni le Tribunal fédéral n’ont pris ce rapport en compte dans leurs considérations.
CrEDH, arrêt de la 3e Chambre 23405/16 S.F. c. Suisse du 30.6.2020
Logement inhumain pour des requérants d’asile en France
L’affaire N.H. et al. contre France concerne cinq hommes requérants d’asile, qui reprochent à la France de ne pas leur avoir fourni de soutien, au niveau tant matériel que financier. Ils ont ainsi été contraints de dormir plusieurs mois dans la rue, sans installations sanitaires, ni moyens de se protéger contre d’éventuelles attaques ou menaces.
Dans son arrêt du 2 juillet 2020, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la France avait violé l’interdiction de soumettre quiconque à des traitements inhumains ou dégradants (article 3 CEDH), dans le cas de trois des cinq requérants.
A leur arrivée en France, les requérants doivent se présenter dans une plateforme d’accueil pour déposer leur demande d’asile et obtenir un logement provisoire. Selon la loi française, les autorités compétentes ont alors quinze jours pour enregistrer les demandes et délivrer un permis temporaire. Elles ont en l’occurrence pris 95 jours pour enregistrer la demande de N.H., 131 pour celle de K.T. et 90 pour celle de A.J. Pendant tout ce temps, le statut des trois requérants ne leur a permis de demander ni logement ni aide financière provisoires. Ils n’ont d’ailleurs pas eu de logement même après leur enregistrement respectif. Ainsi, N.H. a vécu 262 jours sous un pont de Paris et A.J. 170 jours dans des conditions similaires. Quant à K.T., il a vécu 185 jours sur les rives de l’Aude.
La Cour a reconnu les efforts généraux de la France pour fournir des logements supplémentaires et réduire la durée des procédures. Elle constate néanmoins que les conditions de vie des requérants concernés dans cette affaire tombent sous la définition de traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH. Elle rappelle en outre que les tribunaux nationaux avaient dénoncé le manque de ressources mis en place par les autorités compétentes, compte tenu du statut de jeunes hommes célibataires des requérants. Elle regrette que les autorités n’aient pas agi en conséquence.
Au vu du nombre de «transferts Dublin» vers la France, cet arrêt est aussi important pour la Suisse. Après l’Allemagne et l’Italie, la France est en effet le pays qui compte le plus de «out procédures», c’est-à-dire de situations dans lesquelles un transfert de la Suisse à la France est requis, car la France est reconnue responsable du traitement de la demande d’asile.
Arrêts 28820/13, 75547/13 et 13114/15 N.H. et al. c. France du 2.7.2020