Compatibilité de la pénalisation de l’achat d’actes sexuels
Dans son arrêt dans l’affaire M.A. et autres c. France, la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) a estimé à l’unanimité qu’il n’y avait pas de violation du droit au respect de la vie privée (art. 8 CEDH).
Depuis 2016, le code pénal français prévoit une amende en cas d’achat d’actes sexuels. Une pénalisation basée sur le modèle nordique appliqué par cinq pays membres du Conseil de l’Europe.
En 2018, des organisations non gouvernementales et des travailleurs et des travailleuses du sexe ont exigé l’abrogation de cette disposition légale. Les requérants avançaient que ce nouveau cadre légal générait une situation propre à porter gravement atteinte à l’intégrité physique et mentale ainsi qu’à la santé des personnes exerçant la prostitution. Cette interdiction de l’achat d’actes sexuels violait aussi leur droit au respect de la vie privée incluant le droit à l’autonomie personnelle et à la liberté sexuelle. Les requérants précisaient que la pénalisation de l’achat d’actes sexuels obligeait les travailleurs du sexe à exercer leur métier dans la clandestinité. Ce qui les exposait à un risque accru d’être victimes de violence et stigmatisait la profession.
La CourEDH a d’abord constaté que les problèmes liés à la prostitution soulevaient des questions morales et éthiques très délicates. Les opinions divergentes et contradictoires à ce propos sont donc légion. Ce qui se manifeste par l’absence de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe ou entre les différentes organisations concernées par le travail du sexe sur la meilleure manière de réglementer la prostitution. De plus, la pénalisation de l’achat d’actes sexuels en tant que moyen de lutte contre la traite des êtres humains fait actuellement l’objet de controverses tant au niveau européen qu’international. En l’absence de consensus au niveau européen, les États disposent d’une large marge de manœuvre pour réglementer le travail du sexe.
La CourEDH a également reconnu les risques et la stigmatisation auxquels étaient exposés les requérants dans le cadre de l’exercice de la prostitution. Ces problèmes existant avant l’introduction de la norme pénale contestée. Les juges précisent en outre qu’il est impossible de déterminer si la pénalisation de la clientèle a effectivement entraîné une aggravation de la situation des travailleurs et travailleuses du sexe.
La CourEDH a finalement conclu que les autorités françaises n’avaient pas outrepassé leur pouvoir d’appréciation en adoptant l’interdiction de l’achat de travail sexuel. Selon les juges strasbourgeois, la législation française est le résultat d’un équilibre délicat entre les intérêts en jeu et s’inscrit dans une approche globale intégrant les différentes préoccupations exprimées par les requérants. La CourEDH a toutefois souligné que les autorités sont tenues de réexaminer en permanence cette approche en raison de l’interdiction absolue de l’achat d’actes sexuels afin de l’adapter à l’évolution de la société européenne et aux normes internationales.
Arrêts CourEDH M. A. et autres c. France n° 63664/19, 64450/19, 24387/20, 24391/20 et 24393/20 du 27.7.2024
Pas d’indemnisation en cas d’erreur judiciaire
Dans l’arrêt de la Grande Chambre de la CEDH dans l’affaire Nealon et Hallam c. Royaume-Uni, la CourEDH a décidé par 12 voix contre 5 qu’il n’y avait pas de violation de l’art. 6 § 2 CEDH (présomption d’innocence).
L’affaire concernait le rejet des demandes d’indemnisation des requérants pour erreur judiciaire. Leurs condamnations avaient été annulées après la découverte de nouveaux éléments mettant en doute les pièces à charge. En l’espèce, le régime juridique prévu par la loi de 1988 sur la justice pénale (modifiée par la loi de 2014 sur les comportements antisociaux, la délinquance et le maintien de l’ordre) ne prévoit d’indemnisation d’une erreur judiciaire que lorsqu’un fait nouveau ou nouvellement découvert démontre au-delà de tout doute raisonnable que la personne concernée n’a pas commis l’infraction. Les requérants arguaient que la disposition légale était incompatible avec la présomption d’innocence prévue à l’art. 6 § 2 CEDH, puisque la loi leur imposait de prouver leur innocence pour avoir droit à une indemnisation.
Dans sa jurisprudence, la CourEDH reconnaît que l’art. 6 § 2 CEDH peut également être pris en compte après la clôture de la procédure pénale. En effet, cet article protège les accusés acquittés ou au bénéfice d’un non-lieu. Il en résulte une interdiction des autorités de les traiter comme s’ils étaient coupables. Les juges ont donc examiné si les conclusions des autorités internes revenaient à imputer une responsabilité pénale à l’ancien prévenu dans les procédures postérieures à l’acquittement.
Concernant la présente affaire, la CourEDH a constaté que l’article 133 de la loi révisée sur la justice pénale de 1988 n’obligeait le ministre de la Justice, qui est compétent pour les demandes d’indemnisation pour erreur judiciaire, qu’à se prononcer sur la question de savoir si le fait nouveau ou nouvellement découvert prouvait au-delà de tout doute raisonnable que le demandeur n’avait pas commis l’infraction en cause. Un refus d’indemnisation par le ministre de la Justice ne signifiait pas pour autant que la culpabilité pénale d’un ancien prévenu était reconnue et ne supposait pas non plus que la procédure pénale aurait dû être tranchée différemment.
En d’autres termes, le fait de constater qu’il n’a pas été possible de démontrer au-delà de tout doute raisonnable qu’un requérant n’a pas commis une infraction ne revient pas à constater sa culpabilité. Le refus d’indemnisation par le ministre de la Justice ne saurait dès lors être considéré comme une reconnaissance de la culpabilité pénale des requérants. Par conséquent, la présomption d’innocence, prévue à l’art. 6 § 2 CEDH, n’a pas été violée.
Arrêt CourEDH Nealon et Hallam c. Royaume-Uni n° 32483/19 et 35049/19 du 11.6.2024
Le droit au refus de vaccination contre le COVID-19 n’est pas protégé
Dans son arrêt dans l’affaire Pasquinelli et autres c. Saint-Marin, la CEDH a estimé qu’il n’y avait pas de violation du droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH).
L’affaire concernait les conséquences pour les plaignants (tous employés dans le secteur de la santé) du refus de se faire vacciner contre le coronavirus. Les mesures prises par l’administration ont consisté à suspendre les employés sans les payer, à les obliger à effectuer un service civil en échange d’une rémunération proportionnelle aux heures travaillées ou à les affecter à des postes vacants.
Eu égard à la large marge d’appréciation dont disposent les États en matière de politique sanitaire, la Cour a estimé dans son arrêt que les mesures étaient proportionnées et justifiées au regard du but légitime poursuivi, à savoir la protection de la santé de la population, y compris celle des requérants eux-mêmes, ainsi que des droits et libertés d’autrui. La Cour a également estimé que les pertes subies par les requérants résultaient des circonstances «exceptionnelles et imprévisibles» inhérentes à une pandémie mondiale.
Arrêt CourEDH Pasquinelli et al. c. Saint-Marin n° 24622/22 du 29.8.2024