Il n’existe pas de droit à l’aide au suicide
Dans l’affaire Daniel Karsai c. Hongrie, la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) a jugé que l’interdiction de l’aide médicale à mourir ne violait ni le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH) ni l’interdiction de discrimination (art. 14 cum art. 8 CEDH).
L’affaire concernait la revendication du droit à une mort autodéterminée d’un ressortissant hongrois souffrant d’une sclérose latérale amyotrophique (SLA ou maladie de Charcot) avancée – une maladie pour laquelle aucun remède n’est connu. Le requérant a demandé aux autorités hongroises de lui donner accès à l’euthanasie médicalement assistée avant que la maladie n’atteigne un stade trop avancé. Or, selon la législation hongroise, le fait d’aider une personne à mettre fin à ses jours est constitutif d’un délit. Aussi, toute personne proposant une aide en Hongrie ou à l’étranger peut faire l’objet de poursuites pénales pour cet acte.
Dans sa requête devant la CourEDH, le requérant a d’abord invoqué une violation de son droit au respect de sa vie privée parce que la législation hongroise l’empêchait de mettre fin à ses jours avec l’aide d’autrui. Il a ensuite fait valoir qu’il était victime d’une discrimination par rapport aux patients atteints d’une maladie incurable soumis à des traitements de maintien en vie, puisque ces derniers pouvaient requérir l’arrêt des mesures propres à leur survie.
Dans son arrêt, la CourEDH a tout d’abord souligné l’importance de prendre en compte les fortes implications sociales et les risques d’abus et d’erreurs liés au suicide médicalement assisté avant de décider d’en autoriser l’accès. Malgré une tendance croissante à la légalisation, la majorité des États membres du Conseil de l’Europe continuent d’interdire à la fois le suicide médicalement assisté et l’euthanasie. Les États disposeraient donc d’une large marge d’appréciation dans la réglementation de l’euthanasie. En ce qui concerne le cas d’espèce, la Cour a estimé que les autorités hongroises avaient soigneusement mis en balance les intérêts en jeu et n’avaient pas outrepassé leur marge d’appréciation.
La Cour a ajouté que l’accès à des soins palliatifs de qualité pouvait soulager les patients souffrants qui se trouvaient dans une situation comparable à celle du requérant. Or, le requérant a refusé de recevoir des soins palliatifs. Selon la Cour, la préférence personnelle de renoncer à des traitements appropriés et disponibles ne saurait obliger les autorités à proposer des solutions alternatives, et encore moins à légaliser l’aide au suicide médicalement assisté.
Enfin, en ce qui concerne le grief portant sur la potentielle discrimination du requérant, la CourEDH
a constaté que le refus ou l’arrêt d’un traitement de maintien en vie était indissociable du droit au consentement libre et éclairé et ne pouvait être comparé au droit à l’euthanasie. Ainsi, le refus et l’interruption de traitements de maintien en vie seraient généralement reconnus par le corps médical et autorisés dans la majorité des États membres du Conseil de l’Europe. La Cour a donc estimé qu’un traitement différent des deux situations était justifié.
Arrêt CourEDH 32312/23 Daniel Karsai c. Hongrie du 13 juin 2024
Une limitation d’accès aux archives contraire à la liberté d’expression
Dans son arrêt dans l’affaire Suprun et autres c. Russie, la CourEDH a conclu à l’unanimité à une violation du droit à la liberté d’expression (art. 10 CEDH).
L’affaire concernait l’accès à des archives sur l’histoire de la répression politique en Union soviétique. Les requérants, des chercheurs russes, la nièce d’un diplomate suédois disparu en détention soviétique et une ONG, ont soumis leurs demandes d’accès aux archives entre août 2012 et avril 2022. Toutes ces requêtes ont été rejetées par les autorités russes, qui leur ont fourni des informations incomplètes ou les ont empêchés de faire des copies. Devant la CourEDH, les requérants ont fait valoir que les restrictions d’accès aux archives avaient violé leur droit à l’information.
La CourEDH a tout d’abord rappelé que la recherche de la vérité historique faisait partie intégrante de la liberté d’expression. Pour cette raison, le refus d’accès à des informations archivées ou du droit de faire des copies ou des photos de telles informations doit être qualifié d’ingérence dans le droit de recevoir de l’information.
Même si le droit à l’obtention d’informations pouvait être limité par le droit au respect de la vie privée des personnes concernées par les entrées archivées, la CourEDH a considéré que l’atteinte potentielle à la vie privée était minime, étant donné que beaucoup de temps s’était écoulé depuis les activités en question dans les années 30 et 40 et que les personnes concernées étaient déjà décédées au moment de l’introduction des demandes. En outre, il est essentiel en l’espèce que les requérants n’aient pas eu l’intention de révéler des aspects intimes de la vie privée des auteurs ou des victimes.
Arrêt CourEDH 58029/12 Suprun et al. c. Russie du 18 juin 2024,
Des restrictions inadmissibles à la liberté associative
L’affaire Andrey Rylkov Foundation et autres c. Russie concernait le classement par les autorités russes de quatre organisations comme «indésirables» et les poursuites pénales engagées contre des individus pour leur participation aux activités d’autres organisations également classées comme «indésirables». Ces classements, effectués en vertu d’une loi de 2015, permettent aux fonctionnaires et aux procureurs russes de déclarer extrajudiciairement des organisations étrangères et internationales «indésirables» en Russie et de les contraindre à cesser leurs activités.
Dans son arrêt, la Cour a constaté à l’unanimité une violation par la Russie de la liberté de réunion et d’association (art. 11 CEDH) en ce qui concerne les quatre organisations, ainsi qu’une violation de la liberté d’expression (art. 10 CEDH) des individus.
En particulier, la Cour a estimé que la loi n’était pas formulée de manière suffisamment précise pour que les organisations puissent prévoir que leurs actions, par ailleurs légitimes, les conduiraient à être qualifiées d’«indésirables». À relever que ce fichage impliquait l’interdiction des activités de ces organisations en Russie. La CourEDH a également considéré qu’il n’existait pas de garanties adéquates contre le pouvoir discrétionnaire arbitraire et illimité des autorités russes et a donc jugé que la loi ne satisfaisait pas à l’exigence de la CEDH.
Arrêt CourEDH 37949/18 et 84 autres Andrey Rylkov Foundation et al. c. Russie du 18 juin 2024