Première condamnation pour inaction climatique
Dans l’affaire Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) a jugé que la Suisse avait violé le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH) et le droit d’accès à un tribunal (art. 6 § 1 CEDH).
Le 26 novembre 2020, l’association KlimaSeniorinnen Schweiz et quatre femmes ont adressé une requête à la CourEDH concernant les obligations de la Suisse en matière de changement climatique. L’association susvisée, dont les membres sont des femmes âgées s’inquiétant des conséquences du réchauffement climatique sur leurs conditions de vie et leur santé, estimait que les autorités suisses n’avaient pas pris de mesures suffisantes pour lutter contre les effets du changement climatique, malgré leurs obligations découlant de la CEDH.
D’après les juges strasbourgeois, le champ d’application de l’art. 8 CEDH englobe également le droit à une protection efficace contre les effets néfastes du changement climatique sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie. Les juges concluent ainsi que l’insuffisance des mesures étatiques mises en œuvre pour lutter contre le changement climatique pourrait aggraver les risques de conséquences néfastes et les menaces sur la jouissance de l’exercice de droits humains. En sa qualité d’organe judiciaire chargé d’assurer le respect des droits humains, la Cour estime qu’elle ne saurait ignorer les expertises scientifiques concernant les effets du changement climatique sur la jouissance des droits humains.
Les quatre requérantes individuelles ont toutefois été déboutées. La Cour n’a pas reconnu leur qualité de victime au sens de l’art. 34 CEDH, ces dernières n’étant pas parvenues à démontrer qu’elles étaient personnellement et directement affectées par l’inaction de la Suisse. Les juges notent que les intéressées n’ont pas pu démontrer l’existence d’un besoin urgent de protection individuelle directement lié aux effets négatifs du changement climatique.
En revanche, l’association s’est vu reconnaître la qualité pour recourir. La Cour estime que l’organisation est suffisamment représentative pour agir par la voie du recours collectif au nom de personnes pouvant démontrer que leur santé est menacée par les effets néfastes du changement climatique. Et d’ajouter que l’association sert à la bonne administration de la justice, l’accès à la justice n’étant pas garanti au niveau national pour les requérantes individuelles.
Sur le fond, la Cour rappelle l’obligation des États de prendre des mesures pour limiter les effets du réchauffement climatiques sur les droits garantis par la CEDH. Aussi les États devraient fixer des objectifs définis temporellement pour se conformer aux obligations découlant des accords internationaux sur le climat.
Quant à la Suisse, la Cour évoque l’existence de lacunes critiques dans la mise en place du cadre juridique national pertinent, notamment l’absence de quantification des limites d’émission de gaz à effet de serre (GES). Et d’ajouter que la Suisse n’aurait déjà pas atteint ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre par le passé. Les autorités suisses n’auraient pas agi en temps utile et de manière appropriée pour prendre les mesures adéquates pour respecter les obligations positives découlant de l’art. 8 CEDH.
La Cour estime en outre que le rejet du recours de l’association par le DETEC et les juridictions internes constituait une ingérence dans son droit d’accès à un tribunal (art. 6 § 1 CEDH). Les juridictions suisses n’auraient pas fourni de motifs convaincants expliquant leur refus d’examiner le bien-fondé desdits recours. De ce fait, le DETEC et les tribunaux nationaux n’auraient pas pris en compte les preuves scientifiques irréfutables du changement climatique.
Dans les deux autres affaires publiées le 9 avril 2024, la CourEDH a débouté les requérants.
Dans l’affaire Carême c. France (n° 7189/21), l’ancien maire de la commune de Grande-Synthe se plaignait de l’insuffisance des mesures prises par la France pour prévenir le réchauffement climatique. Selon le requérant, le Gouvernement français aurait ainsi violé le droit à la vie (art. 2 CEDH) et le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH). Selon la Cour, le requérant ne dispose pas de la qualité de victime au sens de l’art. 34 CEDH, puisqu’il ne réside plus en France.
Dans l’affaire Duarte Agostinho et autres c. Portugal et 32 autres (no 39371/20), les six requérants prétendaient être victimes des effets du changement climatique dont la responsabilité incombait à leur État de résidence, le Portugal, et à 32 autres États. Or, les requérants n’avaient pas épuisé les voies de recours internes, aucun motif particulier ne justifiant cette omission.
Arrêt CourEDH 53600/20 Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse du 9.4.2024
La restitution d’une œuvre acquise illégalement
Dans l’affaire The J. Paul Getty Trust et autres c. Italie, la CourEDH a exclu toute violation de la propriété au sens de l’art. 1 du Protocole n° 1 à la CEDH.
Les requérants s’opposaient ici la demande de confiscation émise par les autorités italiennes en vue de la restitution d’une statue de bronze dénommée Le Jeune Vainqueur datant de la période grecque classique (300-100 av. J.-C.). Cette statue aurait été acquise illégalement par le trust J. Paul Getty et se trouve pour l’heure au Getty Villa Museum à Malibu (Californie).
La Cour précise en premier lieu que les démarches entreprises par le Gouvernement visent un objectif légitime aux fins de la Convention, soit la protection du patrimoine culturel et artistique. Les juges strasbourgeois ne manquent pas d’évoquer plusieurs instruments juridiques internationaux soulignant l’importance de la protection des biens culturels contre les exportations illicites, à l’instar de la Convention de l’UNESCO de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels, la convention UNIDROIT de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, la directive 2014/60/UE sur la restitution des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d’un État membre et le règlement 116/2009/CE concernant l’exportation de biens culturels.
Eu égard à la protection de la propriété accordée par la Convention, la Cour a estimé que les mesures étatiques visant à protéger le patrimoine culturel contre l’exportation illicite ou à assurer la récupération d’objets et leur retour dans le pays d’origine ne pouvaient pas être remises en cause. De telles mesures seraient nécessaires pour assurer l’accessibilité des œuvres au public. La Cour critique en outre la négligence voire la mauvaise foi du trust, qui a acquis la statue alors que des démarches tendant à la restitution de l’objet avaient déjà été entreprises. En conclusion, la décision de confiscation italienne est proportionnée au but tendant à la restitution d’un bien appartenant à son patrimoine culturel.
Arrêt CourEDH 35271/19 The J. Paul Getty Trust et autres c. Italie du 2.5.2024