Erwin Sperisen obtient gain de cause
Dans l’arrêt de chambre dans l’affaire Sperisen c. Suisse, la CourEDH a conclu que la Suisse avait violé le droit à un procès équitable garanti à l’article 6 § 1 CEDH lors de la procédure pénale dirigée contre l’ancien chef de la police du Guatemala, Erwin Sperisen.
Le requérant était poursuivi pour son implication dans une opération policière de reprise de contrôle d’une prison menée en septembre 2006 au Guatemala. Sept détenus y avaient trouvé la mort.
En avril 2018, le Tribunal cantonal genevois a condamné Erwin Sperisen à une peine de 15 ans de prison pour complicité d’assassinats. Cette condamnation a été confirmée par le Tribunal fédéral en novembre 2019.
Devant la CourEDH, le requérant s’est plaint du manque d’impartialité de la présidente de l’instance d’appel amenée à se prononcer sur sa culpabilité, et partant de la violation de son droit à un tribunal impartial. Doutant de l’impartialité de cette juge qui avait précédemment rejeté sa demande de mise en liberté déposée auprès du Tribunal des mesures de contrainte, Erwin Sperisen a requis sa récusation à deux reprises. Ses deux requêtes furent rejetées pour tardivité.
Les juges concluent d’abord à l’irrecevabilité du grief sur l’impartialité de la juge fondé sur les termes employés dans son ordonnance. Faute d’avoir adressé sa demande de récusation sans délai (art. 58 CPP), le requérant n’avait pas épuisé les voies de recours internes. En ce qui concerne les observations de la juge portant sur la demande de récusation à son encontre, la CourEDH a constaté que rien n’indiquait que la juge ait été hostile ou opposée au requérant pour des raisons personnelles. Elle a cependant déclaré qu’il y avait «suffisamment de preuves» pour conclure que la condamnation du requérant était «probable» et que les éléments du dossier pénal «continuaient de plaider en faveur de la culpabilité du requérant». Selon la CourEDH, ces déclarations allaient au-delà de l’expression d’un «simple soupçon». De ce fait, la frontière entre l’appréciation de la prolongation de la détention provisoire et la constatation de la culpabilité à la fin de la procédure était très ténue. Il en résulte que le requérant pouvait légitimement craindre que la juge ait une idée préconçue de sa culpabilité lorsqu’elle a statué sur son cas plusieurs mois plus tard en tant que présidente de la Cour d’appel. La crainte du requérant que la juge n’ait pas été impartiale était donc objectivement fondée.
Cet arrêt n’est pas définitif, la Suisse peut encore demander son renvoi devant la Grande Chambre de la Cour.
Arrêt de la CourEDH n° 22060/20 Sperisen c. Suisse du 13 juin 2023
Un permis de séjour pour un retraité
Dans l’affaire Ghadamian c. Suisse, la CourEDH a conclu à l’unanimité à une violation du droit au respect de la vie privée (art. 8 CEDH).
Un Iranien, aujourd’hui âgé de 83 ans, réside en Suisse depuis 1969. En 1979, il obtint une autorisation d’établissement valable jusqu’en 2002. Entre 1988 et 2004, le requérant fut condamné à plusieurs reprises pour différents délits à une durée totale de cinq ans d’emprisonnement. Des suites d’une condamnation, il fut en outre expulsé du pays en 2002 pour une durée de cinq ans. Il n’a cependant jamais respecté son obligation de quitter le territoire. En 2008 puis en 2015, l’intéressé adressa une demande d’octroi d’autorisation d’établissement qui fut rejetée par l’Office des migrations. Après avoir épuisé toutes les voies de recours internes, le requérant s’est adressé à la CourEDH en invoquant la violation de son droit au respect de la vie privée et familiale.
La Cour a d’abord exclu toute violation du droit au respect de la vie familiale fondée sur une relation de dépendance avec ses enfants adultes en relevant l'indépendance du requérant. En outre, les juges précisent ensuite qu’une personne séjournant illégalement dans un pays ne peut invoquer l’article 8 CEDH qu’à titre exceptionnel en cas de refus d’octroi d’un permis de séjour. Or, dans le cas présent, le requérant a vécu légalement en Suisse pendant 33 ans et a construit sa vie privée durant cette période. Sur le fond, la CourEDH a constaté que les intérêts privés du requérant et les circonstances particulières du cas d’espèce n’avaient pas été suffisamment pris en compte par les autorités suisses. Ainsi, le requérant vivait en Suisse depuis longtemps (plus de 49 ans) et entretenait des liens familiaux et affectifs. En outre, il était intégré dans la vie professionnelle suisse et percevait une rente AVS. Quant à sa réintégration en Iran, elle est incertaine vu ses liens distendus avec cet État. Enfin, les autorités suisses auraient dû tenir compte dans leurs considérations du fait qu’il n’avait plus commis d’infractions graves depuis 2005. Vu ce qui précède, elles auraient accordé un poids excessif à l’intérêt public en refusant d’accorder au requérant un permis de séjour.
Arrêt de la CourEDH n° 21768/19 Ghadamian c. Suisse du 9 mai 2023
Reconnaissance des couples homosexuels en Roumanie
Dans cet arrêt décisif pour les couples homosexuels roumains, la CourEDH a condamné la Roumanie pour violation du droit au respect de la vie privée et familiale (article 8 CEDH).
Dans l’affaire Buhuceanu et autres c. Roumanie, 21 couples de même sexe formant des unions stables avaient fait part de leur intention de se marier auprès de leur bureau d’état civil local. Les demandes ont toutes été rejetées au motif qu’elles violaient les articles 271 («Le mariage est conclu entre un homme et une femme») et 277 § 1 («Le mariage entre personnes de même sexe est interdit») du code civil roumain.
Dans son arrêt, la CourEDH a estimé que la Roumanie était tenue de reconnaître et de protéger les relations entre personnes de même sexe tout en demeurant libre de se déterminer quant au régime juridique applicable à la reconnaissance et à la protection accordée. Aucun des arguments avancés par le gouvernement concernant le mariage homosexuel ne l’emportent sur l’intérêt des requérants à voir leurs unions reconnues. En particulier, la Cour a rejeté l’argument du gouvernement relevant que les contrats privés pourraient garantir un niveau de protection égal pour ces couples.
Avec cet arrêt, la CourEDH a créé un précédent pour les 46 membres du Conseil de l’Europe, dont 15 ne reconnaissent toujours pas les partenariats entre personnes de même sexe.
Arrêt de la CourEDH n° 20081/19, 20108/19, 20115/19 Buhuceanu et autres c. Roumanie du 23 mai 2023