Conditions de vie inhumaines dans les hotspots
La Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) s’est récemment penchée sur les conditions d’accueil dans les hotspots. Ces centres de premier accueil et d’enregistrement ont été créés en 2015 dans le cadre de la stratégie globale de gestion de la migration prévue par l’agenda européen en matière de migration.
Femme enceinte dans un hotspot insalubre
Pour la première fois, la CourEDH a considéré que les conditions de vie dans un hotspot grec constituaient un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 CEDH.
L’affaire A.D. c. Grèce concernait une ressortissante ghanéenne qui s’est retrouvée dans le centre d’accueil et d’identification (RIC, Reception and Identification Centre) de l’île de Samos. Le camp était surpeuplé. Plus de 4000 personnes y résidaient alors que le centre ne disposait que de 648 places. La femme, alors enceinte de six mois, et son mari ont été dirigés vers la «jungle», une colline boueuse à l’extérieur du camp. Un lieu sans électricité ni accès aux installations sanitaires. Environ un mois après leur arrivée à Samos, la tente qu’ils avaient achetée et montée a été détruite, ce qui leur a permis de s’installer sur le terrain du RIC. Les installations sanitaires (35 toilettes publiques) étaient également dans un état extrêmement préoccupant. Depuis son arrivée jusqu’à l’accouchement, la plaignante n’a pu consulter une sage-femme qu’à deux reprises. En dehors de cela, elle n’a bénéficié d’aucun suivi médical. En octobre 2019, de violents affrontements et des incendies ont eu lieu dans le camp, ce qui a provoqué un stress important et des troubles du sommeil chez la plaignante.
La requérante était encore en état de grossesse avancée lorsqu’elle s’est adressée à la CourEDH pour se plaindre des conditions d’accueil déplorables. Après l’adoption de mesures provisoires par la CourEDH (art. 39 du Règlement de la CourEDH), elle a été conduite à l’hôpital en novembre 2019, où elle a donné naissance à sa fille. Elle n’a pu quitter l’île qu’après l’accouchement.
Dans son arrêt, la CourEDH a tout d’abord indiqué que le Gouvernement grec ne pouvait pas exciper du non-épuisement d’une voie de recours théorique, car la situation d’hébergement déficiente était connue des autorités grecques depuis août 2019. Par ailleurs, les autorités grecques ne se sont préoccupées de la situation qu’en novembre 2019. Les voies de recours internes n’auraient donc pas permis de remédier aux griefs de la requérante. Sur le plan matériel, la CourEDH a constaté qu’elle ne sous-estimait pas la charge et la pression auxquelles les États situés aux frontières extérieures de l’Europe devaient faire face en raison de l’afflux croissant de demandeurs d’asile. Toutefois, les États ne peuvent pas s’affranchir des obligations découlant de l’article 3 CEDH, lesquelles ont un caractère absolu. La CourEDH a finalement conclu que la requérante avait été soumise, dans la situation contestée, à un traitement inhumain qui avait clairement dépassé le seuil de gravité nécessaire pour conclure à une violation de l’article 3 CEDH.
Au moins trois autres requêtes de femmes enceintes hébergées à Samos pendant cette période sont encore pendantes devant la CourEDH.
Arrêt de la CourEDH 55363/19 A.D. c. Grèce du 4 avril 2023
Expulsion collective à Lampedusa
Dans son arrêt J.A. et autres c. Italie, la CourEDH a condamné l’Italie pour violation de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants (art. 3 CEDH) et violation du droit à la liberté et à la sûreté (art. 5 §§ 1, 2 et 4) et de l’interdiction des expulsions collectives (art. 4 Protocole n° 4).
L’affaire concernait le séjour des requérants dans le hotspot de l’île italienne de Lampedusa ainsi que leur expulsion ultérieure vers la Tunisie. Les quatre ressortissants tunisiens avaient été amenés à Lampedusa après avoir été secourus par un navire italien en Méditerranée. Pendant leur séjour, ils n’ont été ni autorisés à quit-ter le hotspot ni à communiquer avec les autorités. Après dix jours, ils ont été emmenés à l’aéroport de l’île avec 40 autres personnes où ils ont été obligés de signer un document. En l’absence de toute traduction, ils apprendront tardivement qu’il s’agissait d’un décret de refoulement. Ils ont ensuite été renvoyés en Tunisie depuis l’aéroport de Palerme.
En ce qui concerne l’art. 3 CEDH, la CourEDH a tout d’abord retenu – comme dans l’arrêt A.D. contre Grèce – que les difficultés résultant de l’afflux de requérants d’asile ne dispensent pas les États de respecter les obligations découlant de l’art. 3 CEDH. Le Gouvernement italien n’a pas contesté les allégations des requérants concernant les conditions d’hygiène déplorables et le manque de place dans le hotspot. Vu les rapports de différentes ONG intervenantes, les juges concluent à la violation de l’article 3 CEDH.
En outre, la Cour a estimé que la détention des requérants, dans ce hotspot entouré de grilles, de clôtures et de portails, n’avait pas fait l’objet d’une décision formelle des autorités et ne reposait pas sur une base juridique claire et accessible. Cette détention n’avait pas non plus été limitée dans le temps afin de clarifier les circonstances individuelles ou transférer les intéressés vers un autre centre, ce qui justifierait une détention de 48 heures au maximum. En outre, les requérants n’ont pas été informés des motifs juridiques de la privation de liberté et n’ont pas été en mesure de contester la détention devant un tribunal.
Enfin, la CourEDH a constaté que la situation des requérants n’avait pas été évaluée individuellement avant qu’ils ne soient contraints de signer les décrets de refoulement. Les décisions étaient prérédigées et ne contenaient pas d’informations individuelles. Par ailleurs, les requérants n’ont disposé d’aucune possibilité de recourir contre les décisions d’expulsion vu l’absence de traduction et la rapidité de l’exécution de l’expulsion. Il s’agissait donc d’une expulsion collective.
La CourEDH a déjà eu l’occasion d’examiner la situation à Lampedusa dans l’affaire 16483/12 Khlaifia et autres c. Italie du 15 décembre 2016 portée devant la Grande Chambre. À l’époque, elle était partie du principe que le seuil d’une violation de l’art. 3 CEDH n’était pas atteint. Les juges ont par ailleurs exclu toute expulsion collective en estimant qu’une série de refus d’entrée individuels avait donné lieu aux expulsions vers la Tunisie.
Arrêt de la CourEDH 21329/18 J.A. et autres c. Italie du 30 mars 2023