Violation du droit à la vie lors du naufrage d’un bateau de migrants
Dans l’affaire Safi et autres c. Grèce, la CourEDH a jugé à l’unanimité que la Grèce a violé le droit à la vie (art. 2 CEDH) sous ses aspects matériels et procéduraux et s’est rendue coupable de traitements inhumains et dégradants (art. 3 CEDH).
La requête introduite à la CourEDH fait suite à un naufrage en mer Égée au mois de janvier 2014. Vingt-sept passagers se trouvaient dans l’embarcation, onze d’entre eux sont décédés, dont des proches des requérants. Le naufrage se déroula alors que le bateau était remorqué par des gardes-côtes grecs. Les seize rescapés se plaignent de la mise en danger de leur vie, voire du décès de leurs proches, en raison des agissements et des manquements des gardes-côtes grecs, des défaillances de l’enquête qui s’est ensuivie et de traitements dégradants et humiliants à leur arrivée sur le territoire grec.
Les juges de la CourEDH examinent d’abord le contexte de l’intervention en vérifiant si la Grèce a effectivement veillé à protéger la vie des personnes en cause. Ils relèvent ainsi que les gardes-côtes, mal équipés pour un sauvetage, ont tardé à appeler des renforts. Le Gouvernement grec n’est par ailleurs pas parvenu à expliquer la raison des manquements et des retards dans le cas concret. La Cour conclut que les autorités grecques n’ont pas procédé aux démarches raisonnablement exigibles pour protéger la vie des migrants. La Grèce a donc violé l’article 2 CEDH (droit à la vie) sous son aspect matériel.
La Cour se penche ensuite sur le volet procédural du droit à la vie (2 CEDH), qui oblige chaque État à mener une enquête effective. La présente obligation inclut la prise de mesures raisonnables pour obtenir les preuves relatives aux faits, notamment les dépositions des témoins oculaires. L’enquête sur la responsabilité pénale des gardes-côtes et la plainte contre les militaires furent classées sans suite par les autorités de poursuite grecques. Divers éléments permettaient de conclure à des défaillances durant l’enquête. Il en va ainsi de l’intégration des témoignages des victimes du naufrage dans le rapport d’enquête. Or, les interprètes avaient été poursuivis pour parjure. Les autorités judiciaires grecques avaient finalement acquitté l’un des interprètes mais conclu que ce dernier ne parlait pas la langue des naufragés. Les juges de la CourEDH reprochent en outre aux autorités de poursuite grecques de ne pas avoir suffisamment investigué, notamment quant au supposé remorquage vers la Turquie ou à l’absence d’avis au centre de coordination et de recherche. La Cour conclut ainsi que la Grèce a violé l’article 2 CEDH (volet procédural).
S’agissant du dernier grief, soit l’interdiction de traitements humiliants et dégradants (3 CEDH), les requérants ont dû se soumettre à des fouilles à leur arrivée sur le territoire grec. Ils ont dû se déshabiller devant les militaires alors qu’ils avaient survécu à un naufrage et que certains d’entre eux avaient perdu un proche. La CourEDH estime sur ce point que les requérants ont été soumis à un traitement dégradant.
Arrêt de la CourEDH n° 5418/15 Safi et autres c. Grèce du 7 juillet 2022
Inefficacité des procédures pour faute médicale
En 2008, la requérante a subi une ablation du sein gauche en raison d’un supposé cancer. Il s’est révélé par la suite que le diagnostic de l’oncologue était erroné. Après avoir eu confirmation d’un autre spécialiste quant à l’absence de cancer, elle usa de toutes les procédures disponibles en Roumanie. Elle introduisit ainsi une plainte pénale pour blessures corporelles, une action en responsabilité médicale sur la base d’une loi spéciale et une action en responsabilité civile contre l’oncologue et le chirurgien. Une procédure disciplinaire fut également ouverte. Confrontée à l’innocuité des procédures engagées, la requérante s’adresse à la CourEDH en invoquant les articles 2 CEDH (droit à la vie), 6 CEDH (droit à un procès équitable) et 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale).
La Cour relève ici qu’il y a lieu d’examiner les obligations positives de l’État à la protection de la santé au sens de l’article 8 CEDH. Les États sont ainsi tenus d’adopter une réglementation obligeant les hôpitaux à prendre des mesures pour protéger l’intégrité physique des patients et doivent en outre mettre à disposition des victimes de négligence médicale une procédure leur permettant d’obtenir une indemnisation du dommage corporel. L’existence d’une procédure efficace doit, d’après les juges de la CourEDH, être vérifiée dans les faits. Cela présuppose notamment un traitement de l’affaire sans retard inutile.
La Cour relève ensuite que les voies de droit existantes en Roumanie ont permis à la requérante de soulever devant les autorités internes ses allégations relatives à la faute médicale, nommément au pénal, dans le cadre de l’action en responsabilité civile pendante ainsi qu’en procédure disciplinaire. Les juges relèvent toutefois que l’effectivité de la procédure pénale a été mise à mal, notamment en raison des retards pris dans la soumission du premier rapport d’expertise médicale, remis près de trois ans après le début de la procédure. Il en a découlé la prescription quant à la responsabilité pénale de l’oncologue.
Les juges critiquent aussi les lourdeurs des procédures en responsabilité médicale et en responsabilité civile en rappelant qu’elles ont donné lieu à deux procédures distinctes concernant les contestations des médecins en cause. Lesdites procédures s’étaient par ailleurs étalées respectivement sur sept ans et plus de neuf ans. Les jugements ont fait état de nombreuses contradictions et n’ont pas permis d’établir ou d’exclure une faute médicale. En sus, la procédure en responsabilité, qui devait répondre au mieux aux besoins de la requérante, est encore pendante.
La CourEDH conclut donc à la violation de l’article 8 CEDH en ce sens que les procédures prévues par le droit roumain n’ont pas fait preuve d’effectivité dans le cas d’espèce.
Arrêt de la CourEDH n° 21854/18 Tusa c. Roumanie du 30 août 2022.
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