Journaliste suisse sanctionné pour violation du secret de l’instruction
La CrEDH a rejeté à l’unanimité le recours d’un journaliste, qui avait été condamné à une amende de 5000 fr. par les tribunaux suisses pour avoir fait état d’une procédure pénale en cours. La Cour européenne, confirmant la décision de l’instance précédente, a estimé que, dans le cas d’espèce, le secret de l’instruction pénale l’emportait sur la liberté d’expression. L’article concernait une procédure pénale dirigée contre un important régisseur immobilier soupçonné de pédophilie. Après avoir interrogé le père de l’une des victimes, le journaliste dénonçait la remise en liberté du prévenu et citait une partie du recours du Ministère public contre la décision du juge instructeur de remise en liberté. L’article se poursuivait par la description détaillée des faits incriminés, notamment les atteintes subies par les victimes. La Cour constate qu’une partie des extraits tirés du recours du Ministère public concernant la remise en liberté du prévenu était de nature à contribuer à un débat public sur cette question. En revanche, elle estime que ni les nombreuses informations détaillées ni les extraits de la déclaration de la plaignante devant la police n’étaient susceptibles de nourrir le débat sur le fonctionnement de la justice. De même, elle juge que la contribution de l’article à un débat public sur d’éventuelles omissions au cours de l’enquête était extrêmement limitée. Et le fait, pour le journaliste, d’avoir publié son article après avoir été approché par le père d’une des victimes ne l’exonérait pas de son devoir d’agir avec une extrême retenue et de veiller aux intérêts des victimes mineures.
(Arrêt de la 3e Chambre No 22998/13 Y. c. Suisse du 6.6.2017)
Un politicien autrichien perd contre une émission satirique
Dans cette affaire, la liberté d’expression a pesé davantage dans la balance que le droit au respect de la vie privée, invoqué par le politicien autrichien Herbert Haupt. L’ancien président du Parti autrichien FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs) et vice-chancelier du gouvernement avait pourtant obtenu gain de cause devant les juridictions autrichiennes dans un premier temps, en faisant condamner l’entreprise de télévision ATV. Une émission satirique avait en effet affirmé que Werner Haupt était «généralement entouré de petits rats marron», cette expression étant comprise comme une allusion aux néonazis.
La procédure fut rouverte par la Cour suprême autrichienne, qui statua en la défaveur du politicien. Devant la CrEDH, celui-ci a soutenu que, en rejetant son action, les juges nationaux ont violé son droit à la protection de sa réputation. La Cour européenne juge ce grief manifestement mal fondé: les juges autrichiens ont ménagé un juste équilibre entre le droit du requérant à la protection de sa réputation et le droit d’ATV à la liberté d’expression. En particulier, elle considère que la référence à des «rats marron» entourant le politicien ne constituait pas une attaque personnelle de l’intéressé, mais une critique politique de son attitude envers d’autres membres de son parti. Ce jugement de valeur satirique reposait sur une base factuelle suffisante, étant donné les différentes déclarations problématiques faites par des politiciens du FPÖ et relevées par les juges autrichiens.
(Arrêt de la 5e Chambre No 55537/10 «Haupt c. Autriche» du 2.5.2017)
La Suisse n’aurait pas dû décider de renvoyer un Soudanais
Un Soudanais ayant déposé une demande d’asile en Suisse affirmait avoir été membre depuis l’école secondaire d’une organisation militant pour les droits de minorités et contre la discrimination au Darfour, et être affilié depuis 2005 au JEM (Mouvement pour la justice et l’égalité). Après l’avoir auditionné, le Secrétariat d’Etat aux migrations avait considéré que l’intéressé n’avait pas la qualité de réfugié et avait ordonné son renvoi. Le Tribunal administratif fédéral avait rejeté son recours. Selon la Cour européenne, la crédibilité des déclarations du Soudanais concernant ses activités politiques ne saurait être remise en question, malgré certaines incohérences. Il ne peut donc être exclu que cet homme ait attiré l’attention des services de renseignement soudanais. Il existe par conséquent des motifs raisonnables de croire qu’il risquerait d’être détenu, interrogé et torturé à son arrivée à l’aéroport de Khartoum. Il y aurait donc violation des articles de la CEDH protégeant le droit à la vie et interdisant la torture si la décision de renvoi était exécutée.
Parallèlement, la CrEDH a rejeté le recours d’un autre Soudanais, qui invoquait, lui aussi, une violation du droit à la vie et de l’interdiction des traitements inhumains et dégradants. Cet homme, employé dans une station de lavage de voitures au Soudan, disait avoir été arrêté et contrôlé par les autorités un jour où il garait le véhicule d’un client membre du JEM. Il avait ajouté qu’il avait été interrogé et maltraité pendant près d’un mois et demi. Selon la Cour, l’intéressé n’encourt pas de risques de mauvais traitements et de torture en cas de retour au Soudan. Car ses activités politiques en Suisse sont restées limitées et n’ont pas été de nature à attirer l’attention des services de renseignement soudanais.
(Arrêts de la 3e Chambre No 50364/14 «N.A. contre Suisse» du 30.5.2017 et No 23378/15 «A.I. contre Suisse» du 30.5.2017)
Les autorités russes n’ont pas assuré un processus électoral équitable
Onze habitants de Saint-Pétersbourg dénonçaient de graves irrégularités aux élections législatives et municipales dans leur ville en 2011, et se plaignaient de l’absence d’examen effectif de ces allégations. La CrEDH a reconnu une violation de l’art. 3 du Protocole No 1 (Droit à des élections libres) à la CEDH à l’égard de neuf requérants, en ce qu’ils n’ont pu obtenir un examen effectif de leurs griefs. Car les requérants ont soutenu de manière défendable que l’équité des élections à l’assemblée législative de Saint-Pétersbourg et à la Douma avait été gravement compromise dans plusieurs circonscriptions par la manière dont les votes avaient été recomptés. Ils s’appuyaient en effet sur plusieurs éléments rendant leurs allégations très crédibles: l’ampleur du nouveau décompte (qui concernait plus de 50 000 voix), le manque de clarté des raisons qui le sous-tendaient, le défaut de transparence et le non-respect des garanties procédurales lors de sa réalisation ainsi que les résultats qui donnaient le parti au pouvoir, ER, gagnant à une large majorité. Pourtant, aucune des voies de droit nationales exercées par les requérants ne leur a permis d’obtenir un examen de leurs griefs offrant des garanties suffisantes.
(Arrêt de la 3e Chambre No 75947 «Davydov et al. c. Russie» du 30.5.2017)
Publication des arrêts Les décisions de la CrEDH sont publiées officiellement en anglais et en français dans le «Reports of Judgments/Recueil des arrê