Violence policière excessive lors d’un contrôle à Genève
Pour la première fois, la CourEDH a condamné la Suisse pour violation de l’art. 3 CEDH, qui interdit les traitements inhumains et dégradants. Le motif était l’usage de la violence policière lors d’un contrôle d’identité effectué en 2005. D’après le rapport des deux gendarmes, ce contrôle d’identité avait eu lieu sur un site réputé pour être le théâtre de trafic de stupéfiants (site d’Artamis) et l’homme, originaire du Burkina Faso, n’avait pas montré ses papiers ni jeté sa cigarette allumée malgré plusieurs invitations à le faire, et avait tenté de fuir. Après que les policiers l’ont immobilisé au sol, il a mordu le bras d’un des gendarmes.
D’après le témoignage du requérant Kalifa Dembele, né en 1975, il aurait été victime d’injures à caractère raciste et de menaces de mort ainsi que de mauvais traitements. Au cours de l’affrontement avec les gendarmes, sa clavicule droite se fractura. Selon le Ministère public, la cause la plus plausible de la fracture n’était pas un coup, mais une chute. La Chambre d’accusation confirma la décision du procureur général, qui avait classé l’affaire sans suites. Selon elle, les gendarmes avaient agi dans le cadre de leurs prérogatives et usé de la contrainte de manière justifiée et proportionnée. Le 14 septembre 2011, le Tribunal fédéral rejeta le recours du requérant (arrêt 1B_105/2011).
La CourEDH a toutefois jugé par six voix contre une que l’usage de la violence était excessif dans ce cas. Elle admet que le requérant avait opposé une résistance physique à l’action des gendarmes et que le recours à des moyens de coercition de la part de ces derniers était en principe justifié. Mais, indépendamment de la cause précise et immédiate de la fracture de la clavicule du requérant, elle considère que les modalités d’intervention des gendarmes, dans leur ensemble, révèlent un usage disproportionné de la force. Cet homme non armé n’avait, en tout cas dans la première phase de l’incident, pas blessé les gendarmes ou tenté de les blesser en leur portant des coups de poings, de pied ou d’autre nature. La résistance qu’il avait opposé était certes opiniâtre mais somme toute passive. L’usage des matraques de la part des gendarmes, qu’il ait été ou pas à l’origine directe de la blessure du requérant, était donc en lui-même injustifié.
En ce qui concerne les allégations d’injures à caractère raciste et les menaces de mort, la Cour prend note avec préoccupation du rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du 2 avril 2009, selon lequel il subsisterait des cas de comportements abusifs de la police à l’encontre de «non-ressortissants, de demandeurs d’asile, de Noirs et d’autres groupes minoritaires» ainsi que des inquiétudes de même nature exprimées par le Comité européen de prévention de la torture dans son rapport relatif à sa visite effectuée en Suisse du 10 au 20 octobre 2011. Cela étant, dans le cas d’espèce, force est de constater qu’aucun élément du dossier ne permet d’étayer les allégations du requérant sur ce point.
Par cinq voix contre deux, la majorité de la 2e Chambre considère que le volet procédural de l’art. 3 CEDH a aussi été violé. L’enquête des autorités suisses n’aurait pas été effectuée avec une célérité et un soin suffisants compte tenu de la relative simplicité de l’affaire. Elle souligne notamment la décision de ne pas procéder à une contre-expertise indépendante du rapport de la police sur le bris de la matraque de l’un des gendarmes. Or, aux yeux de la Cour, cet aspect de l’instruction revêtait une importance capitale pour faire la lumière sur les circonstances de la fracture de la clavicule.
Dans une opinion dissidente, la juge suisse Helen Keller développa sur six pages les raisons pour lesquelles les sévères reproches faits à la Suisse seraient injustifiés. Les autorités auraient livré une explication plausible pour l’origine de la fracture de la clavicule. En outre, les gendarmes ne pouvaient pas savoir que le requérant n’était pas armé. Ils l’ont plaqué à terre pour l’immobiliser et vérifier s’il était armé. A son avis, la force utilisée était absolument nécessaire et proportionnée. La renonciation à d’autres mesures d’instruction lui semble également conforme à la convention: l’hypothèse des gendarmes imputant le bris de la matraque à un défaut de fabrication serait plausible, dès lors que la série de coups évoquée par le requérant auraient dû laisser des traces visibles.
La Cour a condamné la Suisse à verser au requérant 15 700 euros pour dommage matériel (il avait perdu son emploi à la suite de l’affaire) et 4000 euros pour dommage moral.
(Arrêt de la 2e Chambre N° 74010/11 «Dembele contre Suisse» du 24.9.2013)
Les autorités zurichoises avaient raison de tenir compte du risque de fuite
Un requérant de nationalité suisse et croate s’est plaint en vain à la CourEDH contre sa détention provisoire. Cet infirmier anesthésiste était accusé par onze femmes, indépendamment les unes des autres, de s’être livré sur elles à des actes d’ordre sexuel alors qu’elles étaient incapables de discernement ou de résistance, pendant qu’elles se trouvaient en salle de réveil après une opération. A la suite de ces faits, le Tribunal des mesures de contrainte (Zwangsmassnahmengericht) du canton de Zurich ordonna la détention provisoire du requérant. Les débats sont prévus les 3 et 4 décembre 2013 devant le Tribunal d’arrondissement de Zurich.
Dans son arrêt 1B_4/2013, le Tribunal fédéral constata un risque de fuite considérable (art. 221 I CPP), dès lors que la Croatie n’extradait pas ses propres nationaux. La Cour est donc convaincue que les autorités ont procédé à une analyse circonstanciée de la situation dans son ensemble, sans discrimination à l’encontre du requérant, et qu’elles ont donné des raisons pertinentes et suffisantes pour motiver la détention de ce dernier en raison du constat d’un risque de fuite. Ce risque n’est pas motivé par la seule nationalité du requérant, mais par le fait qu’il ait entretenu des contacts réguliers et intensifs avec sa patrie d’origine.
Le Tribunal fédéral a également exclu l’emploi de mesures moins sévères que l’emprisonnement, tels une caution ou un bracelet électronique. En l’espèce, la Cour considère que toutes les mesures de substitution à la détention provisoire disponibles s’avèrent insuffisantes. Le bracelet électronique permet seulement de vérifier si la personne concernée se trouve ou non dans un rayon déterminé, mais qu’il ne permet pas à lui seul d’éviter une fuite. La détention provisoire était donc conforme à la convention.
(Arrêt de la 2e Chambre N° 30138/12 «Bolech contre Suisse» du 29.10.2013)