Premier arrêt de principe de Strasbourg sur le «plea bargaining»
A l’occasion d’un procès pénal géorgien, la Cour s’est plongée pour la première fois de manière approfondie sur la question de savoir si le plea bargaining, consistant en un accord entre l’accusé et le procureur demandant une réduction de peine en échange d’un aveu de culpabilité, est compatible avec le droit au procès équitable tel que garanti par la CEDH. De tels accords seraient usuels en Europe et ne mériteraient pas en soi de critiques. Dans le cas concret jugé, suffisamment de mesures avaient été prises pour éviter l’abus de cet instrument et l’accusé avait consenti librement et en toute connaissance de cause à ce marché. Par six voix contre une, la 3e Chambre de la Cour a nié une violation du droit au procès équitable tel que garanti par l’art. 6 I CEDH.
(Arrêt de la 3e Chambre N° 9043/05 «Natsvlishvili & Togonidze contre Géorgie» du 29.4.2014)
La Suisse pouvait délier un psychiatre du secret médical
Un Turc venu en Suisse en 1993 jura devant son psychiatre de longue date, en novembre 2010, qu’il se vengerait de manière sanglante de son ex-amie. Il considérait qu’elle était la cause de tous ses problèmes, après que le Tribunal cantonal de Bâle-Ville l’a condamné en janvier 2010, pour l’avoir violée et mis sa vie en danger, à une peine de 27 mois de prison. Comme le psychiatre craignait que la vie de cette femme soit menacée, il pria les autorités cantonales du Département de la santé de le délier du secret médical et informa la police. Au cours du procès qui s’ensuivit, le Turc prétendit sans succès que son psychiatre l’aurait mal compris. Le Tribunal pénal de Bâle-Ville le condamna pour menaces (art. 180 CP) à une peine complémentaire de prison, d’un an, cette fois.
La Cour considère à l’unanimité que la violation du principe garantissant le droit au procès équitable, tel qu’ancré à l’art. 6 CEDH, est manifestement mal fondée. Le fait de délier un médecin du secret médical, tel que prévu par le droit cantonal lors de soupçon portant sur la commission de délits particulièrement graves, était justifié, selon la Cour, car le risque menaçant la vie de l’ex-amie était très probable.
La procédure choisie dans ce cas respecte également, selon la majorité de la Cour, l’art. 7 CEDH (pas de peine sans loi). Les normes juridiques suisses permettaient à l’homme de prévoir avec suffisamment de certitude que son psychiatre serait délié du secret médical et qu’il se rendrait à la police. On pourrait même soutenir que le psychiatre avait le droit d’alerter la police même sans autorisation préalable des autorités sanitaires.
(Décision sur la recevabilité de la 2e Chambre N° 55137/12 «Cimendag contre Suisse» du 18.2.2014)
Procès vaudois pour trafic de stupéfiants équitable malgré un désaccord sur le dossier
Dans un procès introduit en 2006 pour trafic de cocaïne, le président du tribunal, après avoir interrogé un témoin, protocola dans le dossier une audition par le juge d’instruction de ce même témoin remontant à février 2005. Le tribunal refusa la requête de la défense visant à consulter d’autres documents jusqu’alors secrets et condamna l’un des accusés à une peine privative de liberté de sept ans de réclusion.
Le condamné allégua en vain à Strasbourg que le dossier contenait d’autres pièces qui lui auraient été favorables. Dans son arrêt brièvement motivé, la Cour constate à l’unanimité que l’on n’a pas d’indices prouvant la volonté des instances nationales de cacher des documents à la défense. Dès lors, on ne peut que présumer la bonne foi des juridictions nationales.
(Arrêt de la 2e Chambre N° 28334/08 «El Mentouf contre Suisse» du 22 avril 2014)
La Cour accepte que la Suisse renvoie un Turc
La décision prise par la Suisse de renvoyer un Turc plusieurs fois condamné pénalement et âgé aujourd’hui de 43 ans ne viole pas la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour est parvenue à la conclusion que l’atteinte portée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel que garanti par l’art. 8 CEDH, était proportionnée dans ce cas. Certes, ce père de trois enfants vivait déjà depuis longtemps en Suisse (plus de dix-huit ans), mais son autorisation de séjour était précaire et la Police des étrangers l’en avait averti à plusieurs reprises depuis 1997. Le Tribunal fédéral a décrit la culpabilité de l’homme dans son arrêt du 24 octobre 2007 (2C_206/2007) comme étant importante, sur la base de son comportement antérieur. Ce jugement mentionnait plusieurs infractions au Code pénal (19 délits), des actes de violence domestique menaçant son épouse, un endettement considérable et le fait de dépendre de l’aide sociale.
En outre, il était arrivé à l’âge de dix-huit ans en Suisse et possédait encore des liens en Turquie. Bien qu’il ait rempli de nouveau ses obligations financières vis-à-vis de sa famille depuis 2004, les autorités suisses étaient fondées à donner plus de poids à l’intérêt public consistant à le renvoyer qu’à ses affaires privées.
La 2e Chambre de la Cour a rejeté à l’unanimité la requête de l’intéressé, trois juges critiquant pourtant la ligne adoptée par la majorité dans ses considérants, qui décrit le comportement du Turc en matière financière comme un danger pour l’ordre public suisse. Il faut certes prendre en compte les problèmes financiers, argumente la minorité, mais la protection de l’ordre public ne fait pas partie des motifs justifiant une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale selon l’art. 8 II CEDH.
(Arrêt de la 2e Chambre N° 2607/08 «Palanci contre Suisse» du 25.3.2014)