Accords de Dublin: une garantie individuelle donnée par l’Italie est nécessaire
Dans un arrêt très remarqué, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme s’est exprimée sur le renvoi vers l’Italie d’une famille nombreuse afghane: la Suisse violerait l’art. 3 CEDH (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) dans le cas où elle n’obtiendrait pas de l’Italie certaines garanties individuelles. Une réponse préalable serait nécessaire, garantissant que l’Italie hébergerait les enfants de manière adaptée à leur âge et que la famille ne serait pas séparée.
Le couple afghan a six enfants âgés entre 2 et 15 ans. En 2011, il avait déposé une demande d’asile en Italie et avait été logé dans le centre d’accueil de Bari dans des conditions précaires. Par la suite, la famille était arrivée en Suisse en passant par l’Autriche, où l’on n’était pas entré en matière sur sa seconde demande d’asile, en invoquant les Accords de Dublin. Ces accords prévoient en effet que l’Italie devait soutenir la famille. Le Tribunal administratif fédéral était d’avis que le renvoi était possible même si les conditions de vie étaient difficiles (arrêt D-637/2012 du 9 février 2012).
La Cour souligne, dans ses considérants, la forte divergeance entre le nombre de demandes d’asile introduites en Italie et les lieux d’hébergement à disposition. En tant que groupe de population particulièrement vulnérable, les requérants d’asile nécessitent une protection particulière contre les traitements inhumains. Cette réflexion vaut particulièrement en ce qui concerne les enfants. L’Italie n’a, dans ce cas, fourni au moment de l’arrêt aucune garantie détaillée et fiable. Il manquait donc à la Suisse des garanties suffisantes qu’un hébergement adapté à l’âge des enfants serait fourni et que l’unité de la famille serait respectée. C’est pourquoi la Grande Chambre a admis la requête par 14 voix contre trois.
Dans leur opinion dissidente, les juges minoritaires estimaient qu’un danger concret de traitement contraire à la convention était insuffisamment établi. La majorité de la Cour s’est écartée de sa jurisprudence antérieure, que la Cour avait forgée dans de nombreuses décisions récentes. En outre, la majorité de la Cour laisse ouverte la question de savoir si ces garanties italiennes doivent être obtenues seulement dans le cas de familles avec des enfants ou dans tous les cas de requérants d’asile.
(Arrêt de la Grande Chambre N° 29217/12 «Tarakhel c. Suisse» du 4.11.2014)
Arrestation policière à Genève: conforme à la convention en dépit d’une blessure
La Cour a rejeté la requête d’un Français contre son arrestation violente par la police genevoise. Les deux policiers avaient passé les menottes durant une nuit d’octobre de 2009 à un homme aviné. Le jour d’après, une sévère blessure à l’épaule avait été diagnostiquée. Cependant, la justice suisse estimait que la police n’avait pas usé de violence excessive. Comme l’homme s’était blessé à l’épaule droite déjà en 1993 et 2001, faire usage d’une force relativement modeste suffisait à provoquer la blessure. La Cour a jugé à l’unanimité que la force policière exercée en pareils cas était proportionnée et respectait dès lors l’art. 3 CEDH. Par six voix contre une, elle a également jugé que l’enquête sur cet incident par les autorités suisses avait été suffisamment rapide et détaillée.
(Arrêt de la 2e Chambre N° 66773/13 «Perrillat-Bottonet c. Suisse» du 20.11.2014)
Crédibilité d’un requérant d’asile: la CEDH contredit le Tribunal administratif fédéral
Un requérant d’asile iranien arrivé en Suisse en juin 2011 expliqua, lors des interrogatoires de l’Office fédéral des migrations (ODM), qu’il était poursuivi dans sa patrie. En mai, il aurait reçu une citation à comparaître en raison de participation à des manifestations et de la distribution de tracts hostiles au régime et se serait caché, après quoi son père aurait été interrogé des heures durant. L’ODM et le Tribunal administratif fédéral (TAF), dans son arrêt D-2785/2013 du 2 juillet 2013, ont considéré que ses déclarations n’étaient pas crédibles. Il se serait empêtré lors des deux interrogatoires dans des contradictions et inventé les persécutions. Les écritures qu’il a produites (jugement et citation à comparaître) ne l’ont été que sous forme de photocopies, c’est pourquoi il ne faudrait leur accorder aucune valeur probante.
La majorité de la deuxième Chambre est d’un autre avis. Le requérant d’asile a expliqué à satisfaction la provenance des photocopies devant la Cour. Le TAF n’aurait pas recherché des indices de leur falsification. Et il y aurait suffisamment de raison d’expliquer les contradictions dans ses déclarations séparées de près de deux ans. Globalement, le requérant d’asile aurait livré suffisamment de preuves d’un sérieux risque de poursuites dans son pays. Une majorité de six juges contre un estime qu’il y aurait une violation de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (art. 3 CEDH) au cas où la Suisse exécuterait le renvoi.
Le juge danois a critiqué, dans son opinion divergente, que la Cour se comporte comme une quatrième instance. Contrairement à elle, l’ODM a interrogé personnellement le requérant et n’a trouvé aucune explication plausible pour les incohérences et les contradictions de ses déclarations. En outre, le requérant, soutenu par un avocat, n’a pas établi à satisfaction les motifs pour lesquels il ne produisait pas des documents originaux devant les autorités suisses.
(Arrêt de la 2e Chambre N° 52589/13 «M.A. c. Suisse» du 18.11.2014)
Licenciement après une lettre de lecteur critique: pas de violation de la convention
Un soignant de la clinique psychiatrique de Münsingen a été licencié en 2008. Il a invoqué en vain, à Strasbourg, le fait qu’il s’agissait d’une réaction injustifiée à une lettre de lecteur publiée en 2007 dans la Berner Zeitung. La CrEDH partage à l’unanimité l’avis des autorités suisses, selon lequel la lettre de lecteur critique ne jouait au plus qu’un rôle secondaire dans ce licenciement.
(Décisio sur la recevabilité de la 2e Chambre N° 51914/09 «Gerhard Ingold c. Suisse» du 14.10.2014)
Toujours plus de requêtes irrecevables
Toujours plus de requêtes échouent à Strasbourg parce qu’elles sont irrecevables, n’ayant pas suffisamment invoqué la violation de la convention devant les tribunaux helvétiques.
Il en va ainsi de squatters genevois qui n’ont saisi aucune juridiction nationale de la question de l’atteinte au domicile ou à la vie privée des requérants par l’évacuation forcée des logements qu’ils occupaient illégalement. Alors qu’une voie de recours existait pour contester l’évacuation, les requérants n’en ont pas fait usage.
(Décision sur la recevabilité de la 2e Chambre N° 43469/09 «Pier Maurice c. Suisse» du 14.10. 2014)