L’obligation de suivre des cours de natation ne viole pas la liberté de religion
Dans une décision rendue le 10 janvier dernier, la CrEDH confirme l’avis du Tribunal fédéral en constatant que l’obligation, pour deux jeunes filles musulmanes, de fréquenter les cours de natation représente bien une atteinte à la liberté de religion, mais que cette atteinte est proportionnée, car l’école concernée a proposé des alternatives, comme le port du burkini. Il n’y a donc pas de violation de l’art. 9 CEDH. Réaffirmant que les Etats parties disposent d’une large marge d’appréciation pour les questions concernant les rapports entre État et religion, la Cour confirme l’approche helvétique consistant à donner plus de poids à l’intégration des élèves au travers d’activités communes qu’au vœu des parents de les en dispenser pour des motifs religieux.
Les requérants sont de fervents musulmans qui ont refusé d’envoyer leurs filles de 9 et 7 ans aux cours de natation, au motif que leur croyance leur interdisait de laisser leurs enfants participer à des cours de natation mixte. Or, dans le canton de Bâle-Ville, une dispense ne peut être accordée aux élèves qu’à partir de la puberté. Le 28 juillet 2010, les autorités scolaires ont amendé les requérants pour manquement à leurs responsabilités parentales, conformément à la loi scolaire de ce canton.
Dans son arrêt du 7 mars 2012, le TF admit que le refus des autorités de dispenser les filles des requérants de l’enseignement de la natation constituait bien une atteinte à la liberté de religion des intéressés, mais qu’elle se reposait sur une base légale suffisamment solide. Cette ingérence était atténuée par le fait que les cours n’étaient mixtes que jusqu’à la puberté et que le port du burkini était possible. Il considéra que l’intégration des enfants, indépendamment de leur culture ou de leur religion, était primordiale.
Devant la Cour, les requérants invoquaient une violation de l’art. 9 CEDH, alléguant que l’obligation imposée était contraire à leur liberté religieuse, n’avait pas de base légale valable, ne poursuivait aucun but légitime et était disproportionnée. En l’espèce, la Cour estime que la mesure était fondée sur une base légale suffisante (plan d’études et loi scolaire). Cette mesure a pour but l’intégration des enfants étrangers de différentes cultures et religions, le respect de la scolarité obligatoire et l’égalité entre les sexes, soit des buts légitimes au sens de l’art. 9 § 2 CEDH. Dès lors, l’intérêt des enfants à une scolarisation complète permettant une intégration sociale réussie selon les mœurs et coutumes locales prime sur le souhait des parents de voir leurs filles exemptées des cours de natation mixtes. Peu importe que le programme scolaire ne prévoie pas uniformément la natation comme enseignement obligatoire sur tout le territoire suisse. Les amendes de 1400 francs infligées aux requérants sont proportionnées au but poursuivi, soit s’assurer que les parents envoient bien leurs enfants aux cours obligatoires.
La Cour confirme donc le durcissement de la jurisprudence du TF sur ce sujet opéré dans une décision de principe ATF 135 I 79, qui considérait qu’eu égard à l’augmentation rapide de la population musulmane en Suisse, l’intérêt de l’intégration et le respect des valeurs locales devaient se voir accorder davantage de poids.
(Arrêt de la 3e Chambre N° 29086/12 «Osmanoğlu et Kocabaş c. Suisse» du 10.1.2017)
La pratique suisse de renvoi en Italie confirmée
La pratique suisse de renvoi de requérants d’asile avec enfants mineurs en Italie dans le cadre des accords de Dublin est soutenue par la CrEDH dans un arrêt du 27 octobre 2016. Après que la Cour a jugé inacceptable le transfert de requérants d’asile en Grèce en 2011, c’est maintenant à l’Italie d’être examinée par cette instance, s’agissant de la question de savoir si son système d’asile permettait le renvoi de requérants d’asile accompagnés d’enfants mineurs.
Dans le cas concret, il s’agissait d’une Syrienne et de sa fille qui étaient venues en Suisse en passant par l’Italie et avaient déposé une demande d’asile. Elles avaient saisi la justice et fait valoir, entre autres, que leur renvoi consistait en un traitement inhumain au sens de l’art. 3 CEDH. Cette objection a été écartée par le Tribunal administratif fédéral et n’a pas non plus obtenu le soutien de la Cour. Ces instances ont renvoyé au règlement de Dublin qui prévoit le traitement des deux demandes d’asile par l’Italie et aux garanties fournies par ce dernier pays, qui a assuré un hébergement favorable aux familles.
(Arrêt de la 3e Chambre N° 30474/14 «Jihana Ali et al. c. Suisse et Italie» du 27.10.2016)
Conditions d’expulsion d’une personne gravement malade concrétisées
Dans un arrêt concernant la Belgique, la CrEDH a concrétisé les conditions d’expulsion d’un étranger gravement malade – en l’occurrence un Géorgien – au regard de l’art. 3 CEDH. Le requérant, plusieurs fois condamné et gravement malade, alléguait que son expulsion en Géorgie, au regard de son état de santé et du système sanitaire de ce pays, constituait un traitement inhumain. La Belgique, de son côté, faisait valoir son intérêt à expulser ce délinquant. Bien que le requérant soit décédé durant le procès, la CrEDH a décidé de juger ce cas en renvoyant au «respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles» qui l’exige (art. 37, I CEDH). La Cour s’est référée à sa jurisprudence restrictive, selon laquelle l’expulsion d’une personne gravement malade dans un pays dans lequel les conditions de soins sont plus mauvaises que dans l’Etat de séjour, peut certes porter atteinte à l’art. 3 CEDH, mais qu’il ne fallait admettre l’existence d’un traitement inhumain que dans des circonstances exceptionnelles, c’est-à-dire dans les cas où la personne était proche de mourir. Dans ce dernier arrêt, la Cour s’écarte de cette conception et admet également une violation de l’art. 3 CEDH dans les cas où il existe un risque que la personne, du fait de plus mauvaises conditions de traitement ou d’un accès déficient à celles-ci, subisse de sérieuses, rapides et irréversibles aggravations de son état de santé. Elle reconnaît une violation de l’art. 3 CEDH et ordonne à la Belgique de verser aux héritiers un dédommagement couvrant leurs frais.
(Arrêt de Grande Chambre N° 41738/10 «Paposhvili c. Belgique» du 13.12.2016).