La surveillance opérée par une entreprise d’assurance est illicite
Le 18 octobre dernier, la CrEDH a constaté que la Suisse n’avait pas suffisamment observé le droit au respect de la vie privée s’agissant de la surveillance opérée sur une assurée par des détectives privés. La Suisse s’est vu reprocher les bases légales insuffisamment précises sur lesquelles reposait la surveillance de l’assurée au moyen de photos et de vidéos. Dans le cadre d’un litige avec une victime d’accident de la route, l’assureur-accident LAA avait ordonné une telle surveillance, parce qu’elle nourrissait des doutes sur la capacité de travail de l’intéressée. Après que cette dernière a refusé de passer un nouvel examen médical, l’assureur engagea en secret des détectives privés, afin de la placer sous surveillance. Les preuves recueillies furent produites dans un procès qui aboutit à diminuer les prestations de l’assurée, la surveillance ayant montré que la capacité de travail de l’intéressée, dans la vie de tous les jours, n’avait rien à voir avec les résultats de l’expertise originelle. La Cour estime que la surveillance mise en place par l’assureur consiste en une violation du droit à la protection de la vie privée de l’assurée (8 CEDH). L’assureur étant un acteur d’un régime d’assurance public, son action est imputable à l’Etat. Les dispositions de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales et celles de la loi fédérale sur l’assurance-accidents n’étaient pas assez précises, car elles n’indiquaient pas à quel moment et pendant quelle durée maximale la surveillance pouvait être effectuée, ni ne prévoyaient la possibilité d’un examen judiciaire de cette mesure, ce qui laissait à l’assureur une trop grande marge de manœuvre.
La Cour a cependant nié une violation du droit à un procès équitable (art. 6 CEDH), car l’intéressée a eu la possibilité, durant la procédure en droit interne, de contester l’admissibilité de cette expertise et les preuves qui y étaient associées.
Ce jugement force le législateur à préciser les dispositions pertinentes. Dans l’intervalle, ce n’est pas seulement la surveillance des assurés dans le cadre de l’assurance-accidents qui devrait prendre provisoirement fin, mais aussi celle des assurés AI, qui repose sur des bases juridiques tout aussi fragiles. Reste encore en suspens la question de savoir si la Suisse déférera cet arrêt à la Grande Chambre.
(Arrêt de la 3e Chambre N° 61838/10 «Vukota-Bojic contre Suisse» du 18.10.2016)
Pratique des autorités fiscales allemandes sous la loupe
Un couple allemand s’est senti atteint dans son droit à la protection de la vie privée et familiale, garanti par l’art. 8 CEDH, à la suite d’un mandat de perquisition; il signala que ce mandat se basait sur des informations volées, obtenues de manière illicite. C’est l’exploitation d’un CD de données provenant du Liechtenstein, vendu par un collaborateur d’une banque au service de renseignement allemand, qui avait éveillé les soupçons à l’égard du couple.
Bien que le Tribunal constitutionnel allemand, auquel le jugement a été soumis, estimait que les informations provenaient d’une source illégale, il était d’avis que le mandat de perquisition avait été effectué à bon droit. La CrEDH confirme ce point de vue. Les juges de Strasbourg ont soutenu que, vu la gravité du délit en cause concernant la soustraction d’impôts, la loi allemande n’interdisait pas, par principe, l’utilisation de moyens de preuve provenant de sources illégales dans la procédure pénale. La mesure était proportionnée et répondait au but légitime d’empêcher une infraction grave, l’évasion fiscale. Elle était explicite et détaillée quant à l’infraction visée et aux pièces recherchées. Les plaignants auraient dû, par conséquent, savoir que de tels moyens de preuve pouvaient être mis en œuvre contre eux. La Cour n’a donc pas constaté de violation de l’art. 8 CEDH et a rejeté le recours.
(Arrêt de la 5e Chambre N° 33696/11 «K.S. et M. S. contre Allemagne» du 6.10.2016)
Violations de la LCR: double procédure pénale et administrative autorisée
Dans un arrêt du 4 octobre 2016, les juges de Strasbourg ont confirmé la conformité à la CEDH de la double procédure administrative et pénale lors d’infractions aux règles de la circulation routière. Le recourant était un citoyen canadien résidant à Duillier (VD). Le 9 avril 2010, il fut contrôlé en excès de vitesse (132 km/h dans une zone limitée à 100 km/h) sur l’autoroute A1. Il s’est plaint d’être puni deux fois pour les mêmes faits, ayant reçu une amende pénale de 600 fr. du Service des contraventions du canton de Genève, qu’il paya. Le Service des automobiles et de la navigation (SAN) du canton de Vaud lui infligea, par décision du 2 septembre 2010, un retrait de permis de conduire d’une durée d’un mois dans le cadre de la procédure administrative, qualifiant l’excès de vitesse d’infraction moyennement grave. Le conducteur recourut contre cette décision au Tribunal cantonal vaudois en invoquant une violation du principe ne bis in idem, lequel confirma la décision par arrêt du 28 janvier 2011. Selon l’art. 4 § 1 du Protocole additionnel n° 7 de la CEDH, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions d’un même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné. A la suite du TC et après examen de la jurisprudence de la CrEDH, le TF confirma sa jurisprudence constante, selon laquelle la double procédure pénale et administrative en droit suisse, pour les infractions relatives à la circulation routière, ne viole pas le principe ne bis in idem.
La Cour confirme dans son arrêt que le principe ne bis in idem serait a priori applicable, puisque les faits à la base des deux procédures sont identiques. Les juges parviennent toutefois à la conclusion qu’il n’y avait, en l’espèce, pas de double sanction, parce qu’il y a entre les deux procédures un lien suffisamment étroit s’agissant de leur contenu et de leur temporalité. Ainsi, le retrait du permis de conduire apparaissait comme la conséquence du jugement pénal.
(Arrêt de la 3e Chambre N° 21563/12 «Rivard contre Suisse» du 4.10.2016)