Renvoi d’un malade mental en Turquie: la Suisse respecte la convention
La Cour a accepté l’expulsion d’un réfugié turc qui avait tué, en automne 2001, sa femme lors d’une dispute et avait été condamné en 2003, par le Tribunal cantonal zurichois, à une peine de huit ans de réclusion pour meurtre. Le père de famille est atteint de maladie mentale (schizophrénie). Il a allégué, en vain, que la mise à exécution de la décision de renvoi cantonale ne permettrait plus d’assurer son indispensable traitement médical. Le Tribunal fédéral a nié le 2 août 2012, dans son arrêt 2D_3/2012, qu’un retour dans sa patrie conduirait à une rapide altération de son état de santé pouvant mettre sa vie en danger. Cet ancien sympathisant du Parti communiste n’avait pas non plus démontré concrètement risquer la torture à ce jour en Turquie.
La Cour a également nié, par six voix contre une, la violation de l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants (art. 3 CEDH). Certes, une aggravation de la maladie mentale pourrait, en principe, conduire à une mise en danger de lui-même et des tiers se heurtant à l’art. 3 CEDH. La jurisprudence de Strasbourg fixe cependant un seuil élevé pour reconnaître une telle violation. Le cas concret ne présente pas de preuve d’un risque suffisant. Les médicaments nécessaires et les possibilités de traitement sont disponibles dans les plus importantes villes turques – même si ce n’est pas le cas au précédent domicile de cet homme, c’est possible à une distance de quelque
150 km. L’assurance donnée par les autorités suisses d’exécuter le renvoi de manière à ne pas mettre en danger la vie du réfugié est aussi importante. Globalement, la gravité des circonstances présentes dans le cas du renvoi à St. Kitts d’un trafiquant de drogue sévèrement malade du sida fait défaut en l’espèce (voir l’arrêt N° 30240/96 «D. contre Grande-Bretagne» du 2.5.1997).
Dans son opinion dissidente, le juge belge, Paul Lemmens, fait remarquer que le réfugié schizophrène nécessite une protection particulière comme personne particulièrement vulnérable. C’est pourquoi la Suisse aurait dû demander à la Turquie des assurances de traitement conforme à la convention.
La Cour a, en revanche, estimé de manière unanime que le réfugié n’avait ni établi un prétendu risque de vengeance par le sang (par les parents de sa défunte femme), ni celui de torture par les autorités turques.
(Arrêt de la 2e Chambre N° 65692/12 «Tatar c. Suisse» du 14.4.2015)
Renvoi d’une malade mentale au Pakistan: l’Allemagne respecte la convention
Par six voix contre une, la Cour a accepté le renvoi d’une femme née en 1963 au Pakistan, qui avait tué en 2004 une voisine, en état de psychose aiguë. Les experts médicaux ont diagnostiqué les symptômes de la schizophrénie et une intelligence réduite. La Cour a nié une violation du droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8 CEDH). Dans le cadre de son ample pesée des intérêts, la majorité de la Cour a constaté que cette femme pouvait faire traiter médicalement ses souffrances au Pakistan.
Dans son opinion dissidente, le juge slovène Bostjan Zupancic a dépeint qu’il était absurde de considérer une femme n’ayant plus commis d’infractions depuis 11 ans comme un danger pour la société. Sa pension de 250 euros ne suffira pas à acheter les médicaments nécessaires au Pakistan. On pouvait donc prévoir que son état de santé évoluerait de manière fatale.
(Arrêt de la 5e Chambre N° 38030/12 «Khan contre Allemagne» du 23.4.2015)
La CrEDH protège le droit de l’avocat de critiquer publiquement les autorités judiciaires
A l’unanimité, les 17 juges de la Grande Chambre ont admis la requête de l’avocat français Olivier Morice. En tant que défenseur de la veuve du juge Borrel, mort en 1995 dans des circonstances mystérieuses, Morice avait attaqué vigoureusement une juge d’instruction, en septembre 2000. Il lui reprochait une enquête partiale, privilégiant la thèse du suicide plutôt que celle de l’assassinat et une connivence avec le procureur de la République de Djibouti. L’avocat confirma sa critique au quotidien «Le Monde». Sur plainte de la juge d’instruction, Morice fut condamné à une amende pour diffamation. Cette condamnation se heurte, selon la Cour, à la liberté d’expression (art. 10 CEDH). Les jugements de valeur allégués par l’avocat reposaient sur «une base factuelle suffisante».
La CrEDH rejette aussi l’objection du Gouvernement français, selon laquelle l’avocat aurait adressé sa critique aux médias précipitamment, au lieu d’attendre le résultat du courrier envoyé la veille au Ministère de la justice. La Cour oppose le fait que l’avocat s’est initialement défendu sur le terrain judiciaire. Son courrier adressé quatre ans et demi après le début de l’enquête n’était pas, à proprement parler, un mémoire de recours, mais une simple requête afin que soient prises des mesures de surveillance contre la juge d’instruction, à qui le dossier avait été retiré.
Cet arrêt fait un utile point de la jurisprudence de la Cour s’agissant de la liberté de critique de l’avocat1. Une autre décision récente d’irrecevabilité N° 69582/13, «Zoltan Martin c. Hongrie» du 7 avril 2015, concerne, quant à elle, un avocat qui avait reproché dans ses écritures au Tribunal de première instance d’avoir «rêvé» des souffrances du plaignant dans un cas de responsabilité médicale.
(Arrêt de Grande Chambre N° 29369/10 «Morice c.France» du 23.4.2015)
Requête écartée d’une malade de la leucémie contre les émissions d’une aciérie italienne
Les héritiers de Giuseppina Smaltini, morte en 2012 de la leucémie, ont invoqué en vain à Strasbourg une violation du droit à la vie (art. 2 CEDH). Ils reprochaient à la justice italienne d’avoir, à tort, nié un rapport de causalité entre la maladie dont souffrait cette femme et l’émission de substances cancérigènes par l’aciérie Ilva, dans la province de Tarente (Pouilles). La Cour est parvenue au contraire à la conclusion que la plaignante n’avait pas pu prouver, sur la base des connaissances existant alors, que les autorités italiennes auraient violé leur devoir de protéger son droit à la vie. Elle a écarté la requête à l’unanimité pour défaut manifeste de fondement.
(Décision sur la recevabilité de la 4e Chambre N° 43961/09 «Smaltini c. Italie» du 16.4.2015)
1Disponible à l’adresse http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-154264.