Le Tribunal arbitral du sport jugé impartial
Les deux requérants sont sportifs professionnels. Le premier est footballer. Il a fait appel auprès du Tribunal arbitral du sport (TAS), après avoir été licencié de son club pour consommation de cocaïne, puis condamné à verser des dommages-intérêts de plus de 17 millions d’euros. Le TAS a rejeté sa demande. Le second est une patineuse de vitesse professionnelle. Elle a recouru au TAS après avoir été suspendue pendant deux ans pour dopage. Le TAS a là aussi confirmé la première décision.
Le TAS a son siège en Suisse. C’est pourquoi les requérants se sont ensuite tournés vers le Tribunal fédéral. Leur but: obtenir l’annulation des sentences du TAS, en raison de son «manque d’indépendance et d’impartialité». Un argument que le Tribunal fédéral a rejeté dans les deux cas.
La Cour européenne des droits de l’homme a suivi l’opinion du TF et a conclu à la non-violation de l’art. 6 ch. 1 de la CEDH (droit à un procès équitable). Elle a estimé que les plaignants n’avaient pas apporté la preuve de leurs allégations, leurs reproches étant «trop vagues et hypothétiques». Elle a souligné que le TAS bénéficiait d’une pleine juridiction et que ses sentences pouvaient être considérées comme de «véritables jugements, assimilables à ceux d’un tribunal étatique, indépendant et impartial, établi par la loi».
CrEDH, Arrêt de la 3e Chambre N° 40575/10 et 67474/10 «Mutu et Pechstein c. Suisse» du 2.10.2018
La Cour se prononce sur des blasphèmes
«Informations de base sur l’islam»: tel était le thème de deux séminaires qu’une ressortissante autrichienne a donnés en 2009 au Bildungsinstitut der Freiheitlichen Partei Österreich (FPÖ). Les deux événements étaient ouverts aux membres du parti, mais aussi au grand public. C’est donc face à une trentaine de personnes que l’animatrice a insinué que Mahomet avait, pour s’être marié avec la jeune Aïsha âgée de 6 ans, des tendances pédophiles. Un jugement de valeur à la suite duquel la candidate a été condamnée par le tribunal correctionnel régional de Vienne à une amende de 480 euros pour «dénigrement de doctrines religieuses» (art. 188 du Code pénal autrichien). La Cour d’appel de Vienne a confirmé cette décision, amenant ainsi la requérante à se tourner vers la CrEDH.
La Cour a reconnu que la condamnation en tant que telle constituait une atteinte à la liberté d’opinion. Elle l’a toutefois considérée comme proportionnée et a conclu à la non-violation de l’art. 10 (liberté d’expression). En effet, elle a estimé que les juridictions nationales avaient apprécié de manière exhaustive le contexte des déclarations en cause. Elles ont soigneusement mis en balance le droit de la requérante à la liberté d’expression avec le droit des autres personnes à voir leurs convictions religieuses protégées. Elles ont par ailleurs avancé des motifs pertinents et suffisants. A commencer par celui selon lequel les déclarations litigieuses ont outrepassé les limites admissibles d’un débat objectif. Suivi de l’argument selon lequel les attaques contre le Prophète étaient abusives et risquaient d’engendrer des préjugés, mais aussi de menacer la paix religieuse. La Cour a en outre noté le montant particulièrement bas de l’amende infligée.
CrEDH, Arrêt de la 5e Chambre N° 38450/12 «E.S. c. Autriche» du 25.10.2018
Des mesures de surveillance illégales
L’affaire porte sur trois différentes requêtes qui ont été jointes. Au total, seize requérants, parmi lesquels des ONG, des journalistes et des personnes qui militent dans le domaine des libertés civiles. Tous ont déposé plainte contre des mesures de surveillance, alléguant à la fois l’interception massive de signaux de communication et le partage d’informations avec des Etats étrangers ainsi que l’acquisition de données de communication auprès de fournisseurs de services de communication. Diverses saisies de données qui auraient eu lieu en raison de la nature des activités des requérants.
La Cour a conclu à la violation de l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale et de la correspondance) pour trois raisons. Primo, l’insuffisance de la surveillance appliquée au filtrage, à la recherche et à la sélection des communications interceptées pour examen. Secundo, le caractère inadéquat des garanties liées à la sélection des «données de communications pertinentes» pour examen. Tertio, le non-respect des critères énoncés dans sa jurisprudence au sujet d’un tel régime d’interception massive.
Elle a également conclu à la violation de l’art. 10 de la Convention (liberté d’expression), en raison de l’insuffisance des garanties appliquées aux informations journalistiques confidentielles. Elle a toutefois précisé que le dispositif de partage de renseignements avec des Etats étrangers ne viole ni l’art. 8 ni l’art. 10 CEDH.
CrEDH, Arrêt de la 1re Chambre N° 58170/13, 62322/14 et 24960/15, «Big Brother Watch et autres c. Royaume-Uni» du 13 septembre 2018
Premier avis consultatif
Le Protocole n° 16 est entré en vigueur le 1er août 2018. Depuis lors, les Etats membres peuvent adresser à la Cour des demandes d’avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles. L’objectif est simple: renforcer le dialogue entre la Cour et les systèmes judiciaires nationaux. Mais aussi donner à la juridiction qui a introduit la demande les moyens nécessaires pour assurer le respect des droits et libertés garantis par la Convention lorsqu’elle jugera le litige en instance.
La seule condition est que la demande intervienne dans le cadre d’une affaire pendante devant la juridiction nationale concernée. La Cour dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour accepter ou refuser d’entrer en matière. La décision d’acceptation est prise par un collège de cinq juges qui devra motiver l’éventuel refus. L’avis consultatif est ensuite rendu par la Grande Chambre. Il est motivé, mais non contraignant. Il sera finalement publié et transmis à la juridiction qui en a fait la demande ainsi qu’à la Haute Partie contractante dont elle relève. Les juges restent libres de rendre une opinion séparée.
La Cour de cassation française a été la première à saisir la Cour d’une telle demande. En cause, deux questions relatives à un cas de gestation pour autrui. La première: est-il contraire à la CEDH de refuser l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui, parce que celui-ci désigne la «mère d’intention» comme étant la «mère légale» – sachant que le «père biologique» a été désigné «père d’intention»? Autrement dit, un tel refus excède-t-il la marge d’appréciation octroyée par l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale)?
La seconde: la «mère d’intention» peut-elle adopter l’enfant de son conjoint, soit le «père biologique», tout en respectant les exigences de l’art. 8 CEDH? La Cour de cassation sursoit à statuer jusqu’à l’avis de la Cour.
Communiqué de presse de la CrEDH 352 (2018) du 23 octobre 2018