L’AI n’a pas discriminé une Suissesse de l’étranger
En supprimant le versement d’une rente AI à une bénéficiaire en raison d’un domicile à l’étranger, la Suisse n’a violé ni le droit au respect de la vie privée et familiale ni l’interdiction de la discrimination. Les requérantes, une Suissesse handicapée de naissance et incapable de discernement ainsi que sa mère résident au Brésil depuis 1982. La fille, née en 1962, y a reçu des prestations de l’AI. Elle revenait régulièrement en Suisse trouver son père, environ trois semaines par trimestre. En 2010, elle s’est vu supprimer son droit à la rente extraordinaire d’invalidité et à l’allocation pour impotent par l’Office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (OAIE), au motif qu’elle vivait au Brésil depuis plusieurs années. Les requérantes ont invoqué, entre autres, une atteinte injustifiée au respect de leur vie privée et familiale, estimant que ces prestations étaient nécessaires pour la qualité de vie de l’assurée et que le retour de cette dernière en Suisse impliquerait une séparation, soit de la mère et de sa fille, soit de la mère et de son époux qui vit au Brésil pour des raisons professionnelles. Les requérantes se sont plaintes par ailleurs d’avoir subi une discrimination en raison de la suppression de prestations sociales non contributives, alors que les personnes ayant pu contribuer au système pouvaient percevoir des prestations, même si elles résidaient à l’étranger.
La Cour ne juge pas contraire à la CEDH de lier l’octroi de prestations non contributives au critère de domicile et de résidence habituelle en Suisse. Elle juge que l’intérêt de percevoir les prestations litigieuses dans les mêmes conditions que des personnes ayant contribué au système doit céder le pas derrière l’intérêt public de l’Etat, qui consiste à garantir le principe de solidarité de l’assurance sociale, d’autant plus important s’agissant d’une prestation non contributive, même si la raison pour laquelle la requérante n’a pas contribué au système est entièrement indépendante de sa propre volonté.
CrEDH, arrêt de la 3e Chambre No 65550/13 «Belli et Arquiez-Martinez c. Suisse» du 11.12.2018
En Hongrie, un droit de la responsabilité contraire à la liberté d’expression
La Hongrie a violé le droit à la liberté d’expression (art. 10 CEDH) d’une société en la condamnant pour avoir affiché un hyperlien vers une interview sur YouTube dont il a été ultérieurement jugé qu’elle avait un contenu diffamatoire. En application du droit hongrois, l’affichage de l’hyperlien a été assimilé à la diffusion d’informations engageant la responsabilité objective de l’auteur. Pour la Cour, une telle responsabilité objective peut avoir des conséquences négatives sur la circulation des informations en ligne, car les auteurs et les éditeurs se trouvent incités à ne pas afficher d’hyperliens vers des matériaux sur lesquels ils ne peuvent exercer de contrôle. Il peut directement ou indirectement en résulter un effet dissuasif sur la liberté d’expression en ligne.
Pour la Cour, la question des responsabilités dans le cadre de l’article 10 CEDH appelle plutôt un examen individuel à l’aune de plusieurs éléments. Elle voit cinq critères à prendre en compte: le journaliste a-t-il approuvé le contenu litigieux? En a-t-il repris le contenu, sans l’avoir approuvé? S’est-il contenté de créer un hyperlien vers le contenu, sans l’avoir approuvé ni repris? Savait-il ou était-il raisonnablement censé savoir que le contenu était diffamatoire ou illégal pour d’autres raisons? Et a-t-il agi de bonne foi, en respectant la déontologie journalistique? Dans le cas d’espèce, la Cour constate que l’article publié par la société requérante se contentait d’indiquer qu’une interview était disponible sur YouTube et affichait un lien vers celle-ci, sans faire de commentaire. La Cour estime qu’il ne pouvait apparaître aux yeux du journaliste auteur de l’hyperlien que celui-ci renverrait à des propos diffamatoires. Le droit à la liberté d’expression de la société requérante a été restreint de manière disproportionnée et il y a eu violation de l’article 10 CEDH.
CrEDH, arrêt de la 4e Chambre No 11257/16 «Majar Jeti Zrt. c. Hongrie» du 4.12.2018
Un Turc né en Allemagne expulsé à raison vers la Turquie
L’expulsion vers la Turquie d’un Turc né en Allemagne n’a pas violé l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale). Le requérant, au bénéfice d’une autorisation de séjour permanent en Allemagne et père d’une fille dont la mère est Allemande, a été plusieurs fois condamné pour des infractions pénales en matière de stupéfiants. La justice allemande a estimé qu’il représentait un danger pour la sécurité publique. Il paraissait vraisemblable qu’il commettrait de nouveaux délits, d’autant plus qu’il ne suivait pas régulièrement la thérapie ordonnée pour soigner sa dépendance à la drogue. Concernant sa fille, il n’avait vécu que quelques mois avec elle et leurs contacts étaient devenus irréguliers. De plus, bien qu’étant lui-même né en Allemagne, le requérant est peu intégré dans la société de ce pays, en raison, en particulier, d’une absence de formation professionnelle. Il a en revanche de solides liens de nature sociale, culturelle et familiale avec la Turquie, puisqu’il maîtrise la langue et qu’il connaît bien les conditions de vie en Turquie, même s’il ne s’y est rendu que deux fois, quand il était enfant.
Dès lors, compte tenu de la gravité des infractions pénales en matière de stupéfiants perpétrées par le requérant, de ses faibles attaches familiales en Allemagne et eu égard au pouvoir souverain des Etats en matière de contrôle du séjour des étrangers sur son territoire, la Cour juge que l’expulsion n’a pas violé la CEDH.
CrEDH, arrêt de la 5e Chambre No 18706/16 «Cabucak c. Allemagne» du 20.12.2018