Un placement à des fins d’assistance en Suisse jugé illégal
En 2011, T.B. a été condamné à quatre ans de prison pour le viol et l’assassinat d’une prostituée à Aarau, commis alors qu’il était encore mineur. Le tribunal des mineurs a assorti sa condamnation d’une mesure de protection, sous la forme d’un placement en établissement spécialisé fermé avec traitement des troubles psychiques. Le 20 juin 2012, l’office du district a ordonné le placement de T.B. en vertu du premier alinéa de l’article 397a du Code civil dans l’aile de sécurité II de l’établissement pénitentiaire de Lenzbourg. Le 5 septembre 2012, le Tribunal fédéral a rejeté le recours de T.B. contre cette décision avant de confirmer, l’année suivante, que le nouvel article 426 CC constituait une base légale suffisante pour son placement à des fins d’assistance. En 2015, après avoir passé trois années dans l’aile de sécurité II, le requérant a été transféré à l’unité générale de l’exécution des peines de l’établissement pénitentiaire.
Invoquant l’article 5 § 1e CEDH (droit à la liberté et à la sûreté), le requérant allègue que son placement à des fins d’assistance pendant la période du mois d’avril 2014 au mois d’avril 2015 ne reposait pas sur une base légale. La Cour européenne des droits de l’homme observe que T.B. a été placé à des fins d’assistance pour traitement de troubles psychiatriques dans l’aile de sécurité d’un établissement pénitentiaire au seul motif qu’il représentait un danger pour autrui. La Cour note que, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les conditions de placement à des fins d’assistance sont réglementées par le Code civil. Selon l’article 426 CC – comme dans l’ancien article 397a CC – le placement est prononcé lorsque la personne souffre de troubles psychiques qui nécessitent une assistance personnelle ou un traitement qui ne peuvent être fournis que dans une institution spécialisée.
La Cour observe que les préoccupations relatives à l’assistance personnelle et les considérations concernant la sécurité sont en quelque sorte entremêlées dans le deuxième alinéa de l’article 426 CC, qui tient compte de la charge que la personne représente pour ses proches ou pour des tiers ainsi que de la protection de ceux-ci. Le Conseil fédéral a précisé la portée de cette disposition dans le sens que la protection des tiers peut constituer un élément supplémentaire dans l’appréciation de la situation, mais qu’il «n’est pas déterminant à lui seul». Le seul besoin de protéger la société de la personne concernée ne peut pas justifier un placement à des fins d’assistance. De plus, le TF a expressément souligné, dans son arrêt de principe, qu’une privation de liberté à des fins d’assistance pour le seul motif de la mise en danger d’autres personnes n’était pas prévue par la loi et ne constituait pas un motif de placement. Il s’ensuit que le deuxième alinéa de l’article 426 CC ne saurait non plus justifier, en tant que base légale, la détention du requérant.
Par conséquent, T.B. a été détenu sans base légale et à titre purement préventif dans l’établissement pénitentiaire, durant la période allant du mois d’avril 2014 au mois d’avril 2015.
CrEDH, arrêt de la 3e Chambre N° 1760/15 «T.B. c. Suisse» du 30.4.2019.
Le refus d’accès dans un cinéma genevois était admissible
Un Suisse paraplégique s’est rendu dans un cinéma de Genève pour voir un film qui ne figurait à l’affiche d’aucune autre salle genevoise. Le bâtiment abritant le cinéma n’étant pas adapté aux personnes en fauteuil roulant, le requérant s’est vu refuser l’accès à celui-ci. La société exploitante a invoqué des directives de sécurité internes avant même qu’il n’eût pu acheter un billet.
Invoquant notamment les articles 14 (interdiction de discrimination) et 8 (droit au respect de la vie privée) CEDH, le requérant s’est plaint que le refus d’accès au cinéma n’ait pas été qualifié par les juridictions suisses de discrimination. Mais il n’a pas davantage été suivi par la Cour européenne des droits de l’homme. En ce qui concerne la protection contre la discrimination, la Cour rappelle que l’article 14 CEDH ne fait que compléter les autres clauses de la Convention et de ses Protocoles. Quant à l’article 8, il ne s’applique, en pareilles circonstances, que dans des cas exceptionnels où le manque d’accès aux établissements publics mettrait en cause le droit d’un particulier à un développement personnel ainsi que celui d’entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur. Mais il ne découle pas de l’article 8 CEDH un droit d’avoir accès à un cinéma donné pour y voir un film spécifique, dès lors qu’est assuré un accès aux cinémas se situant dans les environs proches. Or, d’autres cinémas étaient adaptés aux besoins du requérant et, par conséquent, celui-ci avait donc généralement accès aux salles de projection de sa région.
CrEDH, arrêt de la 3e Chambre N° 40477/13 «Glaisen c. Suisse» du 18.7. 2019.
Protection juridique insuffisante après des élections en Belgique
G.K., une sénatrice belge, a été suspectée en 2010 d’avoir commis des infractions liées à la drogue lors d’un voyage en Asie, ce qu’elle a démenti. Elle a été néanmoins contrainte de signer une lettre de démission préalablement rédigée. Quelques jours plus tard, elle a informé le président du Sénat de son souhait de poursuivre son mandat, alléguant avoir signé la lettre de démission sous pression. Mais le Sénat a rejeté cette demande.
Invoquant en particulier l’article 3 du Protocole No 1 (droit à des élections libres) à la CEDH, G.K. se plaint devant la Cour européenne des droits de l’homme d’avoir été privée de son mandat de sénatrice. La Cour souligne premièrement que, au moment des faits litigieux, ni la loi ni le règlement du Sénat ne prévoyaient une procédure pour les cas de rétractation de la démission d’un sénateur. Deuxièmement, la procédure devant le Sénat n’a pas présenté de garanties procédurales contre l’arbitraire, car ni la requérante ni son conseil n’ont été entendus par le Bureau du Sénat chargé d’examiner le cas. Troisièmement, le Bureau était composé de sénateurs, dont deux qui étaient directement mis en cause par la requérante comme ayant participé à la contrainte exercée sur elle, lors de la signature de la lettre de démission. Quatrièmement, le déroulement de la séance plénière du Sénat n’a pas permis de remédier aux défaillances de la procédure devant le Bureau, notamment parce que la requérante n’a pas eu la possibilité d’être entendue et de faire valoir ses arguments. Par conséquent, la Cour estime que la démission de la requérante a été acceptée par le Sénat sans qu’elle ait bénéficié de garanties procédurales contre l’arbitraire.
CrEDH, arrêt de la 2e Chambre N° 58302/10 «G.K. c. Belgique» du 21.5.2019.