Un refus d’extradition par la Belgique jugé contraire à la CEDH
La Cour européenne des droits de l’homme a condamné, pour la première fois, un Etat pour violation des droits fondamentaux au motif qu’il refusait d’extrader une personne soupçonnée d’assassinat. Car, la plupart du temps, les jugements portant sur une extradition concernent la situation inverse, à savoir que la remise à un autre Etat risque d’exposer la personne concernée à des traitements inhumains contraires à la CEDH.
Les requérants sont les enfants du lieutenant-colonel Ramón Romeo, tué à Bilbao en 1981 par un commando de l’ETA. Des mandats d’arrêts européens ont été émis par l’Espagne contre N.J.E., soupçonnée de cet assassinat, qui s’était réfugiée en Belgique avant d’y être emprisonnée. Mais les juridictions belges ont libéré N.J.E. et refusé son extradition, estimant qu’elle risquait de porter atteinte aux droits fondamentaux de N.J.E. Devant la Cour de Strasbourg, les requérants se sont plaints de la violation de leur droit à une enquête effective.
La Cour souligne que, à cause des conditions de détention en Espagne, un risque de traitement inhumain de la personne réclamée peut constituer un motif légitime pour refuser la coopération avec ce pays. Toutefois, il faut que le constat d’un tel risque repose sur des bases factuelles suffisantes. Or, la Cour estime que cette condition n’est pas remplie en l’espèce. En Belgique, les autorités se sont en effet fondées essentiellement sur des rapports internationaux ainsi que sur le contexte de «l’histoire politique contemporaine de l’Espagne». Elles se sont aussi référées à un rapport établi à la suite de la visite périodique du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT). Elles n’ont pas cherché à identifier un risque réel et individualisable de violation des droits de la CEDH dans le cas de N.J.E. ni des défaillances structurelles quant aux conditions de détention en Espagne. En outre, les autorités belges n’ont pas fait usage de la possibilité que la loi belge leur donnait de demander des informations complémentaires quant à l’application du régime de détention dans le cas de N.J.E., plus particulièrement quant à l’endroit et aux conditions de détention, afin de vérifier l’existence d’un risque concret et réel de violation de la CEDH en cas de remise. Dès lors, la Belgique a manqué à l’obligation de coopérer qui découlait, pour elle, du volet procédural de l’article 2 CEDH (droit à la vie).
La Cour souligne toutefois que ce constat de violation n’implique pas nécessairement que la Belgique ait l’obligation de remettre N.J.E. aux autorités espagnoles. C’est l’insuffisance de la base factuelle sur laquelle repose le motif de refus d’extradition qui est déterminante. Cela n’enlèvera rien à l’obligation de la Belgique de s’assurer que, en cas de remise aux autorités espagnoles, N.J.E. ne courra pas de risque de traitement contraire à l’article 3 CEDH.
CrEDH, arrêt de la 2e Chambre N° 8351/17 «Romeo Castano c. Belgique» du 9.7.2019.
La Suisse n’a pas violé le droit à un procès équitable
La Cour européenne des droits de l’homme a débouté un requérant qui reprochait à la Suisse d’avoir violé son droit à un procès équitable (art. 6 CEDH).
Condamné par les juridictions suisses pour un assassinat dans le cadre d’une «vengeance de sang», le requérant a notamment invoqué une violation de l’article 36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 (CVRC). Il soutenait en particulier que son père, son oncle et le fils de son oncle n’avaient pas été informés devant le tribunal du district de leurs droits consulaires découlant de la CVRC. Ce vice de procédure aurait été si grave qu’il aurait rendu les déclarations de ces témoins inexploitables dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui.
La Cour estime, entre autres, que le requérant n’a pas démontré de manière concrète et étayée dans quelle mesure le fait que les autorités suisses n’aient pas informé les trois témoins de leur droit à l’assistance consulaire découlant de l’article 36 de la CVRC aurait eu le moindre effet sur l’équité du procès. L’utilisation des déclarations de ces témoins par les juridictions suisses, qui se sont d’ailleurs fondées sur un vaste faisceau de preuves, n’a donc pas entaché d’iniquité la procédure dans son ensemble.
CrEDH, arrêt de la 3e Chambre N° 63896/12 «Shala c. Suisse» du 25.7.2019.
La Grèce a violé le droit au mariage
L’affaire concerne un jugement grec décrétant la nullité du mariage de la requérante avec le requérant, au motif que la première était l’ancienne belle-sœur du second. C’est l’ex-épouse du requérant qui a dénoncé la nullité de l’union auprès des autorités grecques. L’art. 1357 du Code civil grec (CC) interdit, entre autres, le mariage entre alliés en ligne collatérale jusqu’au troisième degré. Dans sa décision, le tribunal grec a relevé que les époux concernés étaient alliés en ligne collatérale au deuxième degré et que le droit grec empêche leur mariage pour des raisons de décence et de respect de l’institution de la famille.
La Cour européenne des droits de l’homme note d’abord qu’il existe un consensus au sein du Conseil de l’Europe en matière d’empêchement au mariage des «anciens» belles-sœurs et beaux-frères, puisque seuls deux Etats examinés (Italie et Marin) connaissent un tel empêchement, qui n’est toutefois pas absolu. Les juges de Strasbourg soulignent ensuite que les requérants n’ont dû faire face à aucun obstacle avant la contraction de leur mariage et que les autorités internes ne s’y sont pas opposées. Les autorités compétentes n’ont exprimé aucun doute avant de délivrer le permis de mariage. L’ex-épouse n’a dénoncé le mariage qu’un an et cinq mois environ après la contraction de celui-ci. De plus, il est difficile d’envisager quels sont les estimations de nature biologique et le risque de confusion empêchant le mariage des requérants, à partir du moment où ils ne sont pas parents de sang et n’ont pas d’enfant ensemble. Enfin, il est paradoxal que les requérants soient actuellement dépourvus de tous les droits accordés aux couples mariés, alors qu’ils en ont joui pendant dix ans. Par conséquent, la Cour considère que le jugement de nullité du mariage des requérants a, d’une manière disproportionnée, restreint leur droit de se marier, à un tel point que ce droit s’est trouvé atteint dans sa substance même. Il y a donc eu violation de l’article 12 CEDH.
CrEDH, arrêt de la 1re Chambre N° 57854/15 «Theodorou et Tsotsorou c. Grèce» du 5.9.2019.