Risque de torture insuffisamment examiné par la Suisse
Le Tribunal administratif fédéral (TAF) n’a pas suffisamment examiné le risque encouru par un Afghan converti au christianisme, avant de décider de son renvoi en Afghanistan. C’est la conclusion de la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH), après examen de la requête déposée par un Afghan d’ethnie hazara ayant introduit une demande d’asile en Suisse en 2014. Il invoquait la situation d’insécurité régnant dans son pays d’origine et sa conversion de l’islam au christianisme, survenue après son arrivée en Suisse. Le TAF a estimé, en 2016, que la conversion au christianisme était authentique, mais que les motifs d’asile n’étaient pas crédibles. Il a considéré que, si le requérant ne pouvait pas être renvoyé vers sa région d’origine (province de Ghazni), une possibilité de refuge interne existait à Kaboul, où vivaient ses oncles et ses cousins. Sa conversion au christianisme, survenue en Suisse, n’était pas déterminante, étant donné qu’elle n’était pas connue de ses proches à Kaboul.
En 2017, le renvoi a été suspendu durant la procédure devant la CrEDH. Dans sa décision du 5 novembre dernier, celle-ci relève que de nombreux documents internationaux attestent que, en Afghanistan, les personnes converties au christianisme, ou soupçonnées de l’être, sont exposées à un risque de persécution qui peut conduire à la peine de mort. Le TAF se devait d’instruire la cause sur la manière dont le requérant vivait sa foi chrétienne en Suisse et pourrait continuer à la vivre en Afghanistan, par exemple par le biais d’un renvoi à l’autorité de première instance ou en soumettant au requérant une liste de questions portant sur ces points. Tel n’a pas été le cas. De plus, le fait que le requérant n’a pas informé ses proches en Afghanistan de sa conversion au christianisme implique qu’il serait contraint, là-bas, de cantonner sa foi dans le domaine strictement privé. Il devrait vivre dans le mensonge et pourrait se voir forcé de renoncer à tout contact avec d’autres personnes de sa confession. La CrEDH note, par ailleurs, que, dans un jugement de référence publié peu après l’arrêt rendu dans la présente affaire, le TAF lui-même a concédé que la dissimulation et la négation quotidienne de convictions intimes dans le contexte de la société afghane pouvaient, dans certains cas, être qualifiées de pression psychique insupportable.
Enfin, les juges de Strasbourg observent que le requérant appartient à la communauté hazara, qui continue de faire l’objet, en Afghanistan, d’une certaine discrimination. Ils ne peuvent ignorer que ce fait n’a pas été commenté par les tribunaux suisses dans leurs décisions, bien que le requérant ne se soit pas spécifiquement prévalu de son origine ethnique à l’appui de sa demande d’asile et que cet élément ne soit pas déterminant pour l’issue de la cause.
En conclusion, la Suisse ne s’est pas livrée à un examen suffisamment sérieux des conséquences de la conversion du requérant au christianisme. Il y aurait violation de l’article 3 CEDH (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) en cas de renvoi en Afghanistan.
CrEDH, arrêt de la 3e Chambre N° 32218/17 A.A. c. Suisse du 5.11.2019
En Norvège, une adoption a enfreint la CEDH
Dans une affaire d’adoption, la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation, par la Norvège, du droit à la vie privée et familiale (art. 8 CEDH).
Au cours du processus qui a abouti au retrait de l’autorité parentale à la mère et à l’autorisation de l’adoption, les autorités internes n’ont pas cherché à se livrer à un véritable exercice de mise en balance entre les intérêts de l’enfant et ceux de sa famille biologique. Les décisions se sont largement fondées sur le constat que la mère ne serait pas capable de s’occuper correctement de l’enfant. Les visites entre eux étaient rares et peu propices au développement de liens: elles se tenaient souvent dans les locaux des Services de protection de l’enfance et en présence de la mère d’accueil ainsi que d’un agent de supervision. Presque rien n’a été fait pour tester d’autres modalités d’organisation. D’ailleurs, les juridictions internes ont déclaré que les rencontres mère-enfant devaient servir à maintenir le contact, afin que le petit connaisse ses racines, mais il n’a jamais été question de l’établissement d’une relation en vue de son éventuel retour auprès de sa mère biologique. Il n’existait donc que peu d’éléments permettant de tirer des conclusions claires sur les aptitudes parentales de cette dernière.
Par ailleurs, entre le processus de placement en famille d’accueil et celui de l’adoption, les autorités n’ont pas ordonné de nouvelles expertises qui auraient permis d’évaluer la capacité de la mère biologique à s’occuper de son enfant, alors même que, dans l’intervalle, celle-ci s’était mariée et avait eu un second enfant. Pour statuer sur l’adoption, les juridictions internes ont tenu compte de la déposition d’experts qui n’avaient pas réexaminé la mère biologique depuis le placement en famille d’accueil. Enfin, les juridictions internes n’ont analysé que succinctement la vulnérabilité supposée de l’enfant, se contentant de relater brièvement qu’il était sujet au stress et qu’il avait besoin de calme, de sécurité et de soutien. Elles n’ont pas non plus indiqué comment sa vulnérabilité avait pu perdurer alors qu’il vivait en famille d’accueil depuis l’âge de trois semaines.
Dans ces conditions, la Cour considère que le processus décisionnel n’a pas été conduit de manière à ce que tous les avis et les intérêts soient pris en compte. La procédure en cause n’a pas été entourée de garanties proportionnées à la gravité de l’ingérence et des intérêts en jeu.
CrEDH, arrêt de la Grande Chambre N° 37283/13 «Strand Lobben et autres c. Norvège» du 10.9.2019.