La Suisse a violé la liberté d’expression d’une ONG contre le racisme
La CrEDH a condamné la Suisse à verser une indemnité de 5000 euros à la Fondation contre le racisme et l’antisémitisme (GRA), pour avoir limité sans droit sa liberté d’expression. En novembre 2009, la fondation a publié sur son site internet, sous une rubrique intitulée «Chronologie – Racisme verbal», des propos tenus par un jeune UDC à l’approche du référendum sur l’interdiction de la construction de minarets. Il avait dit qu’il était temps de mettre un terme à l’expansion de l’islam, que «la culture dominante suisse, fondée sur le christianisme, ne pouvait pas se laisser supplanter par d’autres cultures» et que l’interdiction de construire des minarets serait une expression de la préservation de l’identité nationale. En août 2010, le jeune UDC a porté plainte contre la fondation pour atteinte à la personnalité. En première instance, sa demande a été rejetée au motif que l’article publié sur le site de la fondation avait été justifié, car il avait trait à un débat politique sur une question d’intérêt public. En appel, le Tribunal a, en revanche considéré que le discours incriminé ne présentait pas un caractère raciste, ordonnant le retrait de l’article et son remplacement par l’arrêt rendu en appel. Le TF a confirmé cette décision. A Strasbourg, les juges ont livré une autre analyse. Ils ont examiné les propos tenus par le politicien UDC au travers du prisme de rapports publiés par divers organismes de défense des droits, dont la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) et le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale, qui ont qualifié l’initiative populaire sur l’interdiction de la construction des minarets de discriminatoire, xénophobe ou raciste. La classification du discours du jeune UDC sous la rubrique «Racisme verbal» n’est donc pas dénuée de base factuelle. Par ailleurs, la Fondation GRA n’a jamais suggéré que les déclarations incriminées pouvaient être considérées comme relevant du droit pénal en vertu de la législation nationale sur la discrimination raciale, et ses actes n’ont pas constitué une attaque gratuite dirigée contre la personne du politicien, ni une insulte à l’égard de celui-ci. Dans l’ensemble, la Cour conclut que les juridictions nationales n’ont pas dûment pris en considération les principes et les critères énoncés dans sa jurisprudence lorsqu’elles ont mis en balance le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression, et qu’elles ont ainsi outrepassé la marge de manœuvre qui leur était consentie.
(Arrêt de la 3e Chambre N° 18597/13 «Fondation GRA contre le racisme et l’antisémitisme» c. Suisse du 9.1.2018)
Espagne: des pratiques du renvoi contraire à la CEDH
Cet arrêt porte sur la pratique espagnole du renvoi et sa compatibilité avec l’article 13 CEDH (droit à un recours effectif) et avec l’article 4 du Protocole No 4 (interdiction des expulsions collectives d’étrangers). Les requérants, un Malien et un Ivoirien, ont tenté, le 13 août 2014, de pénétrer illégalement sur le territoire espagnol en escaladant les clôtures qui entourent l’enclave espagnole de Melilla, sur la côte nord-africaine. La Cour note que les deux requérants ont été éloignés et renvoyés au Maroc contre leur gré et que les mesures d’éloignement ont été prises en l’absence de toute décision administrative ou judiciaire préalable. A aucun moment, ils n’ont fait l’objet d’une quelconque procédure d’identification de la part des autorités espagnoles. La Cour conclut que, dans ces circonstances, il s’agit bien d’expulsions de caractère collectif. La version des requérants relative à la tentative de franchissement des clôtures de Melilla est corroborée par de nombreux témoignages recueillis par différents témoins et des journalistes, mais aussi par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou par le Commissaire aux droits de l’homme. La Cour relève enfin l’existence d’un lien évident entre les expulsions collectives dont les deux requérants ont fait l’objet et le fait qu’ils ont été concrètement empêchés de bénéficier d’une voie de recours leur permettant de soumettre leur grief à une autorité compétente et de disposer d’un contrôle attentif et rigoureux de leur demande avant leur renvoi.
(Arrêt de la 3e Chambre N° 8675/15 et 8697/15 «ND et NT c. Espagne» du 3.10.2017)
Décision de renvoi d’un Iranien converti au christianisme justifiée
Un Iranien a été débouté des trois procédures de demande d’asile qu’il avait engagées en Suisse. La première fois, il a invoqué le fait qu’il avait été emprisonné pour avoir manifesté à l’occasion des élections présidentielles et qu’il s’était ensuite enfuit, tandis qu’un tribunal le condamnait à une peine de 36 mois. Les autorités suisses ont estimé que ce récit était non crédible ou insuffisamment étayé. Lors de sa deuxième demande, le requérant a déclaré que, dans l’intervalle, il s’était converti de l’islam au christianisme et que, pour cette raison, il serait en danger s’il était renvoyé en Iran. Les autorités ont toutefois émis des doutes sur l’authenticité et la durabilité de sa conversion, et ont de nouveau rejeté sa demande. Le Tribunal administratif fédéral a confirmé cette décision, estimant que les convertis au christianisme ne risquaient des mauvais traitements à leur retour en Iran que s’ils étaient particulièrement en vue sur la scène publique en raison de leur foi chrétienne et si, de ce fait, les autorités iraniennes étaient susceptibles de les percevoir comme une menace. Les autorités helvétiques ont estimé que tel n’était pas le cas du requérant, qui, selon elles, était un membre ordinaire d’un groupe chrétien, et que les autorités iraniennes n’étaient très probablement même pas au courant de sa conversion. A l’issue d’une troisième procédure, la demande d’asile a été de nouveau rejetée, essentiellement pour les mêmes motifs. Invoquant l’article 2 (droit à la vie) et l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants), l’Iranien a saisi la CrEDH. Sa requête a été rejetée, les juges de Strasbourg ne considérant pas non plus qu’un renvoi en Iran mettrait le requérant en danger.
(Arrêt de la 3e Chambre N° 60342/16 «A c. Suisse» du 19.12.2017)