Le reproche d’antisémitisme portait atteinte à la personnalité
La CrEDH a soutenu un arrêt du TF de 2008, qui avait privilégié les droits de la personnalité d’un professeur genevois contre la liberté d’expression du plaignant. Ce professeur avait publié, en 2005, le livre «Israël et l’autre», comprenant des contributions d’universitaires à propos de la politique israëlienne et du judaïsme. La Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad) critiqua par la suite, dans une Newsletter, cette publication et prétendit que l’avant-propos publié par le professeur comprenait des propos antisémites. Le professeur accusé porta plainte en juillet 2006 devant le Tribunal genevois de première instance contre l’auteur de la Cicad et fit valoir une violation injustifiée de ses droits de la personnalité. Cette instance suivit l’avis du professeur et estima que les assertions de l’auteur de la Cicad étaient attentatoires à l’honneur; elle ordonna que l’article blessant soit retiré de la homepage de la Cicad. En outre, les considérants du jugement devaient être publiés dans la newsletter de l’organisation. La Cicad et le professeur interjetèrent appel à la Cour de justice, qui confirma le jugement de première instance dans son arrêt du 21 décembre 2007. Dans ses considérants, la Cour de justice affirma que l’atteinte à l’honneur au sens de code civil devait être comprise dans un sens plus large qu’en matière pénale, c’est-à-dire comme touchant à l’estime professionnelle, économique et sociale, et qu’eu égard à la profession exercée par le professeur, l’allégation soutenue par l’association à son encontre était susceptible de rabaisser de manière sensible la considération sociale de l’intéressé. Le TF suivit aussi cet avis, ce qui fait que la Cicad saisit la CrEDH. Le recourant faisait valoir à Strasbourg la violation de la liberté d’expression garantie par l’art. 10 de la CEDH. La Cour a jugé que les instances judiciaires nationales avaient correctement effectué la balance des intérêts entre le droit au respect de la vie privée et familiale du professeur (art. 8 CEDH) et le droit à la liberté d’expression. Elle a soutenu l’opinion du TF, selon lequel les passages discutés de l’avant-propos du professeur ne pouvaient être classés comme antisémites. Les juges ont estimé au contraire que le reproche d’antisémitisme de l’auteur de la Cicad était potentiellement très attentatoire à la réputation, si on tenait compte du fait que les propos antisémites sont punissables pénalement et du contexte historique. En outre, la Cour a estimé que les reproches d’antisémitisme étaient particulièrement susceptibles de nuire à la réputation du professeur. En effet les articles étaient disponibles sur internet et par conséquent faciles à trouver en donnant au moteur de recherche, simplement, le nom du professeur.
(Arrêt de la 3e Chambre N°17676/09 «Cicad contre Suisse» du 7.6. 2016)
Pas de violation du droit à un recours effectif lors de convention d’arbitrage
La Cour a débouté un homme d’affaires tunisien qui avait créé un partenariat avec la société de droit français Colgate-Palmolive. Dans ce but, un contrat fut signé qui contenait une clause compromissoire en cas de litige. Le 9 mars 2011, un Tribunal arbitral à Genève rendit sa sentence en ordonnant à l’homme d’affaires de transmettre toutes leurs actions à la société Colgate et de payer les dépens et les frais d’avocat. Il forma un recours en matière civile devant le TF pour obtenir l’annulation de la sentence; ce recours fut jugé irrecevable au motif que les parties avaient valablement renoncé à recourir contre toute décision rendue par le Tribunal arbitral, conformément à l’article 192 de la loi fédérale sur le droit international privé.
Invoquant les articles 6 § 1 (droit d’accès à un tribunal et droit à un procès équitable) et 13 (droit à un recours effectif), le recourant se plaignait d’avoir été privé de l’accès à un tribunal en Suisse pour contester la procédure d’arbitrage. Il alléguait que l’article 192 de la loi fédérale sur le droit international privé n’était pas compatible avec l’article 6 § 1 de la convention.
La Cour a estimé que l’homme d’affaires avait librement renoncé à soumettre les litiges à un tribunal ordinaire. Les parties ont exclu tout recours contre la sentence arbitrale. Quant à l’art. 192 LDIP, il reflète un choix de politique législative qui vise à augmenter l’attractivité et l’efficacité de l’arbitrage international en Suisse. Le grief relatif à la privation d’accès à un tribunal en Suisse pour contester la procédure d’arbitrage est donc mal fondé. A l’unanimité, la Cour a déclaré la requête irrecevable.
(Arrêt de la 3e Chambre N° 41069/12 «Noureddine Tabbane contre Suisse» du 1.3.2016)
Le système britannique de détention administrative est conforme à la CEDH
La Cour a considéré que le système britannique de détention administrative, qui ne prévoit pas de délai maximum et dont le système est, à ce titre, un cas isolé au sein de l’UE, est compatible avec la CEDH et en particulier avec son article 5 (Droit à la liberté et à la sûreté). En effet, alors que les membres de l’UE prévoient un délai maximum de dix-huit mois, la Grande-Bretagne n’est pas concernée par ce délai, du fait d’une réserve faite à la directive correspondante. Le cas que devait trancher la Cour était celui d’un Iranien qui avait sollicité vainement l’asile en Angleterre en 2003, puis, un an plus tard, avait été condamné à une peine de douze mois de prison pour contrainte sexuelle; il était resté en détention administrative au total durant quatre ans et demi pendant ces deux périodes. Dans sa requête, il faisait valoir que le droit britannique en la matière n’était globalement pas compatible avec la CEDH du fait de l’absence d’un délai clair, car il n’assurait aux intéressés aucun horizon temporel sûr et prévisible.
La Cour a rejeté cette argumentation en se référant à ses décisions précédentes, affirmant que l’art. 5 CEDH ne prévoyait pas de règle nationale se rapportant à des délais maximaux pour la détention administrative. La question centrale était bien plutôt de savoir si le droit national offrait suffisamment de garanties procédurales contre des décisions arbitraires. Une telle protection pouvait s’opérer sous la forme d’un examen régulier de la détention. Un tel examen existait dans le cas de la Grande-Bretagne, et c’est pourquoi la situation actuelle n’entrait pas en conflit avec l’art. 5 CEDH. Le recourant obtient cependant gain de cause sur la violation des garanties par la Grande-Bretagne dans son cas précis. La Cour a qualifié la seconde période durant laquelle le recourant s’est trouvé en détention administrative de violation de l’art. 5 §1 CEDH, parce que les autorités compétentes avaient négligé de rechercher de façon suffisante une solution à la détention administrative de l’intéressé. La durée de sa détention n’était donc pas claire au cours de cette période et non prévisible pour le détenu.
(Arrêt de la 1re Chambre N° 37289/12 «J.N. contre Grande-Bretagne» du 19.5.2016)