Arrêts «Big Brother Watch»
Cet arrêt circonscrit des limites à l’adresse des Etats, mais admet aussi le recours à cette sorte de surveillance pour des raisons de sécurité nationale.
Dans l’affaire dite «Big Brother Watch», trois requêtes ont été jointes dans la suite de la procédure. Elles provenaient de militants de la défense des droits civils et des droits des journalistes après les révélations de Edward Snowden sur l’existence de programmes de surveillance et de partage de renseignements entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
Le cas est présenté devant la Grande Chambre suite aux demandes des requérantes (article 43 CEDH).
L’affaire «Big Brother Watch et autres» c. Royaume-Uni concerne trois régimes différents de surveillance: (1) le régime d’interception de masse de communications; (2) la réception de renseignements obtenus auprès des gouvernements; (3) l’obtention de données auprès de fournisseurs de services de communication.
La Cour mentionne d’abord que le principe de surveillance électronique de masse est admissible. Une large marge de manœuvre devrait ainsi être laissée aux Etats vu l’accroissement global de l’utilisation des technologies de l’information. La Grande Chambre rappelle toutefois la nécessité d’un encadrement de «bout en bout» d’un tel régime pour éviter tout abus. En fait, l’évaluation au niveau national de l’utilité et de la proportionnalité des mesures à chaque étape du processus de surveillance demeure un élément clé. A priori, la raison et l’étendue des mesures devraient être clairement définies et approuvées par une autorité indépendante. A posteriori, une autorité indépendante compétente devrait contrôler et superviser les opérations.
Le régime de surveillance de masse appliqué au moment de l’introduction des requêtes, le ré-gime de surveillance de masse présente les défauts suivants, selon la CourEDH: les surveillances de masse sont autorisées par le Secrétaire d’Etat et non pas par un organisme d’exécution indépendant; l’absence de catégorie de termes de recherche (sélecteur) dans le mandat définissant les mesures de surveillance qui n’étaient pas, de ce fait, avalisées par une instance indépendante; et les termes de recherche reliant une personne (à savoir les données d’identification telles que le courriel ou l’IP) ne faisaient pas l’objet d’une autorisation préalable en interne.
La Grande Chambre juge, à l’unanimité, que la réglementation relative à la surveillance de masse et à l’acquisition de données de communication de fournisseurs de communication viole les articles 8 (droit à la vie privée) et 10 CEDH (droit à la liberté d’expression) – en omettant de prévoir des mesures suffisantes pour protéger les sources des journalistes. Par douze voix contre cinq, la Cour exclut toutefois toute violation de la CEDH concernant la réception d’informations provenant de gouvernements ou de Services de renseignements étrangers. Elle souligne que la législation offre des garanties suffisantes pour éviter les abus à toutes les étapes du processus. Sur ce point, la Cour s’écarte de l’exigence d’un contrôle indépendant pour les informations provenant d’Etats tiers.
Le présent raisonnement apparaît autant absurde que son résultat est contradictoire: la captation par le Royaume-Uni d’une communication sur sol britannique serait soumise à autorisation indépendante et, a contrario, exemptée d’une telle obligation en cas d’interception par les Etats-Unis par le biais d’un fournisseur de communication américain. Nous ne manquerons pas de citer la conclusion du juge Pinto De Albuquerque qui illustre à point nommé cette jurisprudence: «Pour le meilleur ou pour le pire – pour le pire selon moi, l’arrêt de la Cour ouvre la voie à un «Big Brother» électronique en Europe. Si telle est la nouvelle normalité que mes éminents collègues de la majorité souhaitent pour l’Europe, je ne puis m’y rallier, et je le dis, le cœur lourd, avec la même désolation que celle qui émane du Miserere mei, Deus de Gregorio Allegri.»
CourEDH, arrêt de la Grande Chambre N° 58170/13, 62322/14 et 24969/15 du 25 mai 2021, Big Brother Watch et autres c. Royaume-Uni.
Cour constitutionnelle polonaise
Dans l’affaire Xero Flor w Polsce sp. z o.o. v. Polen, la Cour conclut, à l’unanimité, à l’existence d’une violation de l’article 6, paragraphe 1 CEDH (droit à un procès équitable et à un tribunal établi par la loi). Par ce jugement, la Cour s’ingère dans les affaires du parti au pouvoir, Droit et Justice (PiS), et tout particulièrement dans son projet de réforme de la justice, déjà vertement critiqué sur la scène internationale. Le point critique concerne la composition du comité de cinq juges de la Cour constitutionnelle. Le président polonais avait effectivement refusé de nommer trois juges régulièrement élus par la Diète (parlement) précédente. Trois autres juges avaient donc été élus en 2015 à des places déjà occupées par la Diète dominée par le parti au pouvoir (PiS) pourtant déjà occupés. Ce procédé avait été jugé comme contraire à la Constitution par la Cour constitutionnelle. Toutefois, ledit arrêt avait toujours été ignoré par le gouvernement et n’avait même pas été publié.
Dans les faits, la société requérante exigeait le dédommagement pour des dommages causés à l’un de ses produits (gazon en rouleau) par des animaux sauvages. Après avoir introduit une requête auprès de l’Etat, un dédommagement de l’ordre de 60% du montant réclamé lui fut octroyé. Ayant requis à de nombreuses reprises, sans succès, un contrôle de constitutionnalité de la loi appliquée dans la présente affaire, la société en cause forme un recours constitutionnel. La Cour constitutionnelle déclare le recours irrecevable par trois voix contre deux. Le juge MM., élu en 2015, y siège.
D’après la CourEDH, la nomination des juges et l’absence de toute prise en compte du jugement de la Cour constitutionnelle sur ce point permettent de conclure que le comité de juges ayant traité le cas n’était pas un tribunal établi par la loi. La Cour se réfère à son jugement dans l’affaire Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande et met en place un test à trois niveaux pour évaluer une éventuelle violation de la convention. Il est ainsi question d’une violation évidente du droit interne, de la possibilité du tribunal de travailler au regard de la garantie de l’Etat de droit et de la séparation des pouvoirs, de la légitimation de la nomination des tribunaux nationaux par un jugement. Après cette analyse, le CourEDH conclut que la nomination des trois juges était contraire au droit interne et que le refus de prendre en compte le jugement de la Cour constitutionnelle démontraient que le rôle de la Cour constitutionnelle devait être remise en question.
Le jugement est ainsi considéré comme contraire à la CEDH en raison de la participation d’un des trois juges élus en décembre 2015.
CourEDH, arrêt de la 1re Chambre N° 4907/18 du 7 mai 2021, Xero Flor w Polsce sp. z o.o. v. Polen (arrêt disponible en une seule langue officielle, soit l’anglais).
Les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme sont disponibles dans leur intégralité ou sous forme résumée à l’adresse suivante: hudoc.echr.coe.int