Tard dans la soirée du 17 septembre 2011, une fête de rue non autorisée au Central de Zurich s'est terminée en affrontements avec la police. Celle-ci chargea la foule avec des tirs de balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes et arrêta quelque 90 personnes pour émeute (260 CP), comme le communiqua la police zurichoise aux médias. Parmi les personnes encerclées se trouvaient pourtant des curieux et des passants qui s'en retournaient à la gare, comme l'ont révélé les interrogatoires de police et les procédures pénales qui ont suivi. A côté du cas du Central, il y a eu, durant ces dernières années, nombre de procédures ouvertes dans les cantons pour émeute, comme le montre une brève revue des cas récents (lire encadré ci-dessous).
Les boules de neige ne suffisent pas
Certains tribunaux se sont montrés enclins à appliquer restrictivement l'art. 260 CP. Ce fut le cas du Tribunal de police de La Chaux-de-Fonds qui, dans un arrêt du 12 mai 2006 (POL.2005.382), a acquitté 29 prévenus d'émeute dans le cadre d'une manifestation anti-UDC ayant eu lieu en janvier 2005 devant la halle de Polyexpo. Relevant le caractère lacunaire de l'enquête des forces de l'ordre, le président du tribunal a refusé de suivre l'interprétation extensive de l'émeute faite par le Ministère public. En effet, il n'était pas établi que les sommations de la police aient été entendues par les manifestants. En outre, si 13 prévenus ont bien lancé des boules de neige, «on ne peut pas admettre que ce comportement soit constitutif de violence au sens de l'art. 260 CP», dès lors qu'aucun dommage, même de minime importance, n'en est résulté et que ce lancer répondait aux bras d'honneur adressés aux manifestants par des membres de l'UDC.
Si des dommages ont tout de même été commis, puisque trois voitures ont subi des dégâts à la suite des jets de pierre et de pieux en bois, «le lien entre ces dégâts et la manifestation faisait défaut», puisqu'ils se sont produits à l'écart de la foule, à un endroit non visible par elle et étaient le fait d'un groupe de casseurs isolé. Suivant les avis d'une partie de la doctrine qui se prononce en faveur d'une interprétation restrictive, de la notion d'émeute (Gerhard Fiolka, dans le «Commentaire bâlois» et Hans Vest in RSJ 1988 p. 247 notamment), le juge a relevé que «les violences n'apparaissaient pas caractéristiques de l'état d'esprit de la foule à laquelle appartenaient les prévenus et n'étaient pas prévisibles par eux», les boules de neige ne suffisant pas à cet égard. Ce jugement est entré en force, n'ayant pas fait l'objet de recours.
Pas besoin d'approuver
La jurisprudence du Tribunal fédéral relative à l'art. 260 CP a fait l'objet de deux interprétations successives. Jusque dans les années 1970, la Haute Cour interprétait strictement cet article en retenant que toute personne qui approuve, même tacitement, les violences commises est punissable, mais non celui qui, tout en assistant à la manifestation, ne les approuve pas (ATF 99 IV 218). Dans sa jurisprudence plus récente, le TF estime que celui qui, consciemment, rallie une foule ou y demeure alors qu'elle annonce par des signes concrets qu'elle va porter atteinte à la paix publique, participe à une émeute, car il doit compter que des violences pourraient se produire. La preuve que l'auteur a approuvé les violences commises n'est donc pas nécessaire (ATF 108 IV 33).
Ce raisonnement a été consacré dans une affaire qui concernait une manifestation organisée dans les rues de Genève par l'association Intersquat, au terme de laquelle une centaine de manifestants avaient pénétré dans un immeuble commercial vide appartenant à UBS. Dans cet immeuble, des faux plafonds avaient été arrachés et brûlés et des murs sprayés. «Il importe peu que le recourant n'ait pas lui-même causé des dégâts ou ne les ait pas approuvés (...). Il s'est associé à l'action collective d'une foule ameutée menaçant la paix publique [et] n'est pas resté sur la voie publique comme un simple spectateur, mais il a pénétré dans les lieux en exprimant ainsi clairement sa volonté de s'associer à l'action collective. Cette action était telle que des actes de vandalisme étaient à l'évidence prévisibles» retient cet arrêt, qui confirme la condamnation de l'intéressé pour émeute (ATF 124 IV 269).
Pris par hasard dans la foule
Qui s'est cependant trouvé pris par hasard sur une place publique dans un affrontement entre policiers et manifestants sait pourtant à quelle vitesse les choses se passent, et la difficulté, même si on le souhaite, d'obtempérer à l'ordre de dispersion lorsqu'un cordon de police bloque précisément la rue où se trouve votre domicile. La IIe chambre pénale du Tribunal cantonal zurichois ne dit pas autre chose dans son jugement SB 12 0196 du 19 juin 2012. Les personnes susceptibles d'être condamnées doivent savoir qu'il se produit une émeute violente. Cet élément fait défaut «lorsqu'une personne se trouve prise par hasard dans un rassemblement qu'elle ne peut quitter ou dont l'ambiance a changé du tout au tout».
Slogans hostiles au premier rang
Il suffit cependant de peu pour être condamné. «Se mettre au premier rang et crier des slogans hostiles pour chauffer la foule» qui bombarde les policiers de projectiles, en se masquant d'un keffieh et de lunettes de soleil, sans observer l'invitation à se disperser, «parce qu'il s'était laissé emporter par l'ambiance», a valu une condamnation à trois mois d'emprisonnement avec sursis durant deux ans pour émeute et violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires prononcée par le Tribunal de police de Genève à un coorganisateur d'une manifestation contre le G8, qui n'avait rien lancé lui-même (arrêt confirmé par la Chambre pénale de la Cour de justice de Genève du 23 janvier 2006, ACJP/1/2006). Un autre manifestant contre le G8, à Lausanne cette fois-ci, a été reconnu coupable d'émeute, parce qu'il avait participé à une manifestation composée de nombreuses personnes, en partie armées d'objets contondants et de projectiles, ayant pour but d'entraver la circulation et au cours de laquelle des dommages ont été commis contre des biens et des violences subies par la police.
Cet étudiant a toutefois été exempté de toute peine, puisque, au moment de son interpellation il avait subi une importante lésion de l'œil droit, ayant nécessité plusieurs interventions médicales (art. 66bis CP). Il a dû cependant payer les frais d'enquête (ordonnance rendue par le juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne, le 5 décembre 2003, PE03.017158-CM). Il en a été de même pour une personne condamnée pour émeute lors de la venue du conseiller fédéral Blocher au Comptoir suisse à Lausanne, mais exemptée de peine, car elle avait subi à cette occasion une blessure à la tête nécessitant des points de suture (ordonnance de condamnation rendue par le juge d'instruction de l'arrondissement de Lausanne, le 17 juin 2008.
Les dégradations subies par un bâtiment, le barbouillage de voitures de tram à l'occasion d'un attroupement public (ATF 108 IV 175), tirer des cartouches de signalisation au cours d'une émeute (ATF 108 IV 232), voire même, dans le cas d'un supporter du Lausanne HC qui faisait partie d'un groupe s'étant mal comporté sur le trajet de la patinoire et ayant commis des déprédations dans un tunnel de lavage, être simplement en possession d'un fumigène utilisé généralement pour faire fuir des taupes dans le jardin de particuliers (!) qu'il aurait pris des mains d'un tiers, suffisentt pour être qualifié d'émeutier (décision du chef de Département neuchâtelois de la justice, de la sécurité
et des finances, 19 juillet 2012, REC.2012.96, c. 4.2. et 2.7, un recours devant le Tribunal cantonal est pendant).
Traces de peinture
En revanche, «les traces de peinture laissées (involontairement) sur la chaussée par des manifestants à l'aide de leurs pots percés» ou forcer la porte d'un bâtiment n'atteint pas l'intensité nécessaire des violences permettant de retenir l'émeute (SJ 1998, p. 241 cité in DOLIVO, Jean-Michel, TAFELMACHER, Christophe, Manifester: vos droits, Editions d'En bas, 2003, p. 16). Le Tribunal de district zurichois qui a tranché l'affaire du Central est aussi parvenu à la conclusion que se trouver au second rang des spectateurs, derrière des journalistes, ne suffit pas pour faire partie des émeutiers (jugement GG110298-L/U du 12 juin 2012). Un juge unique constate, dans un autre arrêt du Tribunal de district de Zurich (GB110071-L/U du 2 février 2012) que «demeurer dans les parages d'une émeute est peut-être peu intelligent, mais ne suffit pas à remplir les éléments constitutifs de l'infraction».
Des prévenus d'émeute souvent libérés
Fribourg, 12 juin 2010 - Sous le slogan «Justice pour tous», une manifestation autorisée contre les violences policières s'est terminée par l'arrestation de 47 personnes à la suite de dommages matériels. Elles ont été interpellées jusqu'à une heure après l'attroupement en ville, dans des restaurants et à la gare. Parmi elles, 11 ont été accusées d'émeute et sept acquittées le 8 mai 2012 par le tribunal pénal.
Lausanne, 3 juin 2000 - Une «Street party» entendant plaider en faveur de la culture alternative et de lieux autogérés ayant fini en un affrontement contre les forces de l'ordre, des bâtiments et la chaussée ont été barbouillés de spray, certains policiers ayant été blessés et leurs vêtements souillés. Ceux des manifestants qui s'étaient bornés à défiler au grand jour n'ont été condamnés pour émeute qu'à des peines de cinq jours d'arrêts avec sursis pendant deux ans. Ceux qui avaient peint divers motifs sur la chaussée l'ont été à dix jours d'arrêts avec sursis pendant deux ans, pour émeute et dommages à la propriété qualifiés. Tous les 14 accusés ont été libérés de l'accusation d'entrave au service d'intérêt général, le trafic n'ayant été interrompu qu'une trentaine de minutes et sur ordre de la police (jugement rendu dans l'enquête PE00.016452 par le Tribunal correctionnel de Lausanne le 21 février 2003).
Zurich, 17 septembre 2011 - Une fête de rue non autorisée au Central finit en affrontement avec la police. Trente-trois des 91 personnes arrêtées ont été condamnées pour émeute par ordonnances pénales par le Ministère public à des peines allant jusqu'à 180 jours-amende, soit la compétence maximale de cette autorité. Six personnes firent recours contre leur condamnation. A une exception près, tous ces recourants furent acquittés par le Tribunal de district de Zurich ou le Tribunal cantonal.