plaidoyer : La modification du code de procédure pénale est entrée en vigueur le 1er janvier 2024. La situation des lésés et des victimes s’en trouve-t-elle améliorée?
Béatrice Müller: Effectivement, le nouveau code de procédure améliore la situation des lésés et des victimes. Je salue par exemple la nouvelle possibilité offerte aux plaignants de faire valoir des dommages et intérêts et une réparation morale dans la procédure d’ordonnance pénale. Jusqu’à présent, ils devaient toujours adresser leurs prétentions au juge civil. Il est aussi bienvenu que les plaignants privés puissent déposer et motiver plus tôt leurs prétentions civiles dans les procédures pénales.
Je souligne également un autre élément positif: l’assistance judiciaire dont bénéficient les plaignants ne devra plus être remboursée. Jusqu’à ce jour, la pratique différait d’un canton à l’autre. Il est toutefois regrettable que le législateur ait manqué l’occasion d’introduire une obligation d’enregistrement audiovisuel de l’audition des victimes de violence domestique.
plaidoyer : Ces modifications concernant les droits des lésés et des victimes n’affectent-elles pas la situation du prévenu dans la procédure pénale?
André Kuhn: Le code de procédure révisé a de nombreuses répercussions sur les droits des prévenus. La nouvelle réglementation ne permet plus à la partie plaignante de présenter et de motiver ses prétentions civiles au moment des débats. Les prétentions sont dès lors présentées plus tôt dans la procédure, ce qui est un avantage pour les prévenus.
Jusqu’à présent, un avocat de la défense pouvait être confronté à une requête préparée par écrit et présentée oralement lors des débats. En pareil cas, il devait improviser. La nouvelle réglementation met les parties sur un pied d’égalité. Et les tribunaux peuvent également mieux se préparer. À l’avenir, les prétentions civiles devraient être examinées avec plus de soin.
plaidoyer : Béatrice Müller, ne perdez-vous pas un avantage stratégique en motivant vos prétentions civiles plus tôt dans la procédure?
Béatrice Müller: Je n’ai pas besoin de cet avantage stratégique. En tant qu’avocate de victimes et de lésés, je connais généralement très tôt le préjudice financier – et chiffrer les prétentions en réparation du tort moral revient de toute manière à lire dans le marc de café. En présentant les demandes plus tôt et en les motivant, j’espère également que les tribunaux les examineront plus attentivement.
Cela va de pair avec l’espoir que les prétentions civiles seront plus souvent tranchées lors du procès pénal. Les victimes de violences domestiques ou sexuelles ne sont généralement pas motivées à engager une procédure civile après la procédure pénale.
plaidoyer : André Kuhn, en tant qu’avocat de la défense, quel est votre avis sur la possibilité donnée aux procureurs de statuer sur des demandes de prétentions pouvant atteindre un montant de 30'000 francs dans le cadre de la procédure de l’ordonnance pénale?
André Kuhn: Je pense que ce point mériterait d’être clarifié. Par exemple, comment les procureurs traiteront-ils les requêtes non chiffrées dans la procédure de l’ordonnance pénale? Comment traiter les cas dans lesquels le dommage est déterminé de manière discrétionnaire? À mon avis, les procureurs seront réticents à statuer sur les demandes civiles dans la procédure de l’ordonnance pénale. Il ne faut pas non plus oublier la nature potestative de cette disposition.
Béatrice Müller: Je suis également curieuse de savoir si les parquets et, dans l’affirmative, combien de parquets désigneront une personne en charge de se familiariser avec les questions de droit civil. Il y a des dommages simples comme des vitres cassées ou un costume déchiré. Mais souvent, les demandes civiles sont bien plus complexes. En règle générale, les personnes se dédiant au métier de procureur n’apprécient pas particulièrement s’occuper de droit civil.
plaidoyer : Les décisions ne risquent-elles pas d’être prises à la légère par un personnel non qualifié avec pour effet que les prévenus soient condamnés à s’acquitter de créances injustifiées?
André Kuhn: Non, je ne le crains pas. Les effets de cette nouvelle disposition potestative ne sont pas forcément négatifs. Peut-être conduira-t-elle à une augmentation des requêtes concrètes dans la procédure de l’ordonnance pénale. Le prévenu disposerait dès lors d’une meilleure base pour décider s’il veut accepter une requête et, dans l’affirmative, à concurrence de quel montant.
Je ne m’attends pas à ce que les procureurs statuent sur des requêtes dans le cadre de l’ordonnance pénale s’ils ne peuvent pas supporter totalement de telles décisions. Après tout, un procureur sait qu’il risque d’être confronté à une opposition si un prévenu ne peut pas comprendre une ordonnance pénale.
plaidoyer : De nombreuses ordonnances pénales ne sont pas contestées, alors que l’opposition ne serait pas dépourvue de chances de succès, loin de là. Les prévenus pourraient-ils être dissuadés de s’opposer à une ordonnance pénale parce que les coûts inhérents à la procédure suivante sont plus élevés que les montants exigés dans l’ordonnance pénale?
André Kuhn: Je ne pense pas. Les oppositions contre des ordonnances pénales ou au contraire l’absence de contestation trouvent leurs fondements dans différentes causes. Les frais peuvent effectivement justifier qu’il soit renoncé à l’opposition. Mais d’autres éléments peuvent expliquer l’absence de contestation, comme la crainte de la publicité des débats, entre autres.
plaidoyer : Lors de délits portant sur des violences domestiques ou sexuelles, le manque de sensibilité des autorités de poursuite pénale est un sujet récurrent. Le code de procédure révisé a-t-il tenu compte de cette thématique d’une manière ou d’une autre?
Béatrice Müller: Non, ce n’est guère possible. Ce sont plutôt les modifications du droit pénal matériel en matière sexuelle, qui entreront en vigueur le 1er juillet, qui devraient avoir un effet positif. Selon le droit en vigueur, les autorités de poursuite pénale doivent repérer les éléments de contrainte lors des entretiens avec les victimes. Selon le nouveau droit et la solution du refus (non, c’est non), ce processus ne sera plus nécessaire. Il s’agira plutôt de savoir comment la victime a exprimé son refus. C’est un tout autre signe avant-coureur pour les interrogatoires qui aura d’importantes conséquences.
André Kuhn: La révision du droit pénal en matière sexuelle n’est pas le cadre de référence de la nouvelle procédure pénale. C’est plutôt un autre état de fait qui mériterait d’être clarifié. Il en résulte de nouvelles difficultés: Par exemple, l’état de sidération d’une victime, dénommé freezing, est assimilé à un refus. Or l’accusé doit avoir reconnu l’état de victime. Les autorités d’enquête doivent donc demander à la victime si elle était dans un état de sidération. Et, si tel est le cas, comment son état était reconnaissable par l’accusé dans le cas concret.
Béatrice Müller: Il s’agirait là de questions suggestives inadmissibles. Mais la phase de l’établissement des faits restera certainement un point très délicat à traiter à l’avenir. D’une manière générale, il s’agit ici des valeurs sociales et de formation sur le comportement à adopter avec des personnes touchées par la violence sexuelle. Autrefois, on avait tendance à ne pas croire les femmes. Et les hommes ne pouvaient généralement pas s’exprimer lorsqu’ils subissaient des violences sexuelles.
plaidoyer : L’établissement des faits ne serait-il pas facilité par l’obligation d’auditionner les personnes concernées par voie audiovisuelle?
Béatrice Müller: Oui. C’est déjà le cas aujourd’hui pour les enfants. Leur interrogatoire doit faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel afin qu’ils soient épargnés d’un nouvel interrogatoire devant le tribunal. Selon moi, il devrait en aller de même pour les adultes victimes de violences domestiques ou sexuelles. Toutefois, la technique et la logistique des autorités chargées de l’enquête sont déjà partiellement défaillantes. Mais j’ai bon espoir que nous nous rapprochions d’un tel scénario dans le cadre de la procédure pénale.
André Kuhn: Cela peut sembler surprenant, mais je suis en principe favorable à l’enregistrement de toutes les auditions dans le cadre d’une procédure pénale. Cela vaut surtout pour les interrogatoires de police. Il en résulte souvent de nombreuses pages de texte. Il n’est pas possible de savoir si et quand des questions intermédiaires ont été posées lors de l’interrogatoire, et il arrive que des résumés soient réalisés. Si un avocat de la défense demande des modifications du texte, on lui répond que les propos ne sont pas reportés mot pour mot.
Lors de l’audience principale, il n’est pas rare que les juges s’appuient sur les détails de ce procès-verbal pour motiver leur jugement et le traitent donc comme une retranscription fidèle. Le principe non écrit en vertu duquel celui qui tient le procès-verbal a le pouvoir s’applique donc toujours à la procédure pénale. Il arrive souvent qu’un défenseur n’ait pas assisté au premier interrogatoire et ne puisse pas comprendre ce qui a exactement été demandé sur la base du seul procès-verbal. Il serait possible de remédier à tous ces défauts en enregistrant tout dès le début.
plaidoyer : Les autorités de poursuite pénale peuvent-elles renoncer à interroger plusieurs fois les victimes si tout est enregistré pour moins les accabler?
André Kuhn: Certainement pas. Les affaires de violences sexuelles sont souvent des procédures basées sur des déclarations. Le juge doit finalement évaluer les preuves et décider quelles déclarations sont plus crédibles. À cette fin, il doit analyser les déclarations, repérer les indices de mensonge et de vérité. S’il ne peut se baser que sur les déclarations faites dans le cadre d’un seul interrogatoire, il devra se passer de nombreux éléments lors de l’analyse des déclarations. Et une déclaration faite tôt dans la procédure peut donner une certaine impression – mais elle ne peut pas remplacer l’impression personnelle devant le tribunal.
Pour une analyse correcte, plusieurs entretiens sont donc nécessaires. Je comprends que cela puisse être stressant pour les victimes réelles. Il est possible d’y remédier en prenant certaines mesures de protection – par exemple en ne plaçant pas la victime et le prévenu dans la même pièce et en confiant l’interrogatoire à une personne du même sexe.
Béatrice Müller: Je peux comprendre le souhait que le tribunal puisse se faire sa propre impression et qu’il interroge donc une nouvelle fois les victimes potentielles. Je serais d’accord avec un total de deux interrogatoires sur l’ensemble de la procédure. Mais souvent, les victimes sont interrogées trois, voire quatre fois. Ce qui n’est pas possible en raison de la répétition du traumatisme. Un enregistrement audiovisuel pourrait être utile dans ce contexte. Il serait également utile pour les instances supérieures, où les interrogatoires ne sont plus menés en général.
André Kuhn: Je suis opposé à un mécanisme où le nombre d’interrogatoires dans la procédure serait limité à deux en présence d’enregistrements audiovisuels. Le problème des fausses accusations demeure, raison pour laquelle il est nécessaire de les repérer dans les déclarations. À cette fin, il faut une analyse des déclarations, et plusieurs interrogatoires sont utiles. Deux interrogatoires sont parfois insuffisants.
Béatrice Müller: Les avocats de la défense partent du principe que de nombreuses accusations sont fausses. D’après mon expérience d’avocate de victimes, les fausses accusations sont très rares, du moins pour les délits graves. Lorsqu’une femme s’adresse à moi en déclarant avoir été victime d’un délit sexuel, je l’informe de ce qui l’attend: une procédure d’une durée de plusieurs années. Des interrogatoires multiples. Le poids de rester dans l’incertitude pendant plusieurs années sur l’issue de la procédure et de ne pas pouvoir refermer la plaie causée par le délit. Certaines personnes se demandent alors si elles souhaitent vraiment s’engager sur cette voie. Il n’est pas rare qu’elles renoncent à porter plainte par la suite.
André Kuhn: Ma perspective est différente. Lorsqu’une personne est accusée d’un délit sexuel et arrêtée, l’avocat de la défense est la seule personne intervenant en sa faveur. En règle générale, les autorités de poursuite pénale se penchent résolument sur l’affaire avec un soupçon initial et recherchent des éléments à charge. Seul l’avocat de la défense se bat pour les droits du prévenu. Les avocats de la défense estiment qu’il est inadmissible que de fausses accusations conduisent à des condamnations parce qu’il faut éviter que les victimes potentielles ne souffrent de stress. Un certain degré de stress ne peut pas être évité si l’on souhaite un procès équitable.
plaidoyer : Le Tribunal fédéral a récemment décidé que les plaignants privés peuvent, après la mise en accusation, obtenir une qualification juridique du délit différente de celle déterminée par le ministère public. Ils seraient par exemple habilités à exiger la requalification de lésions corporelles simples en lésions corporelles graves si cela affecte les prétentions civiles. Cette décision vous semble-t-elle correcte, sachant qu’il appartient à l’État d’exiger la réparation pénale?
Béatrice Müller: En tant qu’avocate de victimes, je suis généralement impliquée dans la procédure dès son début. Je participe activement à la procédure en examinant les dossiers et en échangeant avec mes clients et clientes. Et j’interviens si l’enquête prend une mauvaise direction. Si j’estime que le ministère public a effectivement omis de traiter un délit, j’introduis des demandes dans ce sens et je conteste l’acte d’accusation. Je n’ai pas encore eu besoin de procéder de la sorte après la mise en accusation. Il est probable que ce récent arrêt concerne plutôt les personnes qui ne sont pas représentées par un avocat.
André Kuhn: La question de savoir sous quelle forme la partie plaignante peut intervenir dans la procédure pénale est importante. Il ne faut pas non plus omettre que la poursuite pénale reste une tâche étatique et non pas privée. À mon avis, la pratique actuelle est judicieuse. Si la partie plaignante est concernée et en désaccord avec une qualification juridique donnée du ministère public, elle peut se défendre. Pour le surplus, la souveraineté procédurale appartient à l’État. Je n’ai que rarement pu observer des cas où la partie plaignante n’intervient que tardivement dans la procédure devant le tribunal. Il est par contre usuel qu’elle le fasse plus tôt. En général, cela ne pose pas de problème.
Béatrice Müller: Au stade de l’enquête préliminaire, lorsque la police est encore compétente, j’ai dû déjà attirer l’attention sur ce point: la partie plaignante et son représentant sont encore présents et peuvent faire valoir leurs droits. Dès que le ministère public prend le relais, tout se passe bien en règle générale. Je suis également d’avis que la fixation de la peine ne doit pas être l’affaire de la victime. Si vous demandez à une femme violée quelle peine serait juste, il n’est pas rare que la réponse soit «prison à vie» ou «castration».» ❙
Béatrice Müller
Avocate spécialisée en droit des victimes et dans la représentation d’enfants dans les procédures pénales et civiles
André Kuhn
Avocat spécialiste du droit pénal et de la procédure pénale