La Suisse ne renvoie qu'exceptionnellement les demandeurs d'asile qui devraient retourner en Grèce, selon les Accords de Dublin. Car ce pays manque à toutes ses obligations en matière d'accueil des immigrés. Les annonces de réforme des procédures d'asile y sont malmenées par la crise tant économique que financière. Mais cela n'explique pas pourquoi les immigrants en situation irrégulière sont toujours considérées comme des criminels.
Athènes, sortie du métro Omonia, sur la place de la Concorde, un jeudi à 16 h 30: un Afghan, 16 ans à peine, adresse des clins d'œil entendus aux passants. Deux hommes, guidés par un maquereau apparaissent. La tractation avec l'adolescent dure quelques secondes. Les deux clients le suivent dans la misère des rues adjacentes, où les hôtels pouilleux n'accueillent plus de touristes depuis longtemps. Pour la justice grecque, ce jeune immigrant est un délinquant. Mais ce n'est pas la prostitution qui le rend coupable au premier chef. Entré clandestinement en Grèce, ce sans-papiers est considéré par les autorités grecques comme un criminel. Et ce, en violation du droit européen d'asile.
Porte d'entrée et de sortie principale de l'immigration clandestine dans l'Union européenne, notamment en raison de sa position géographique, la Grèce manque à toutes ses obligations d'accueil, qui demeurent le fait de la seule police grecque. La Suisse, comme la France d'ailleurs, a ainsi décidé de faire une exception aux Accords de Dublin prévoyant le renvoi en Grèce de demandeurs d'asile. Les autorités helvétiques préconisent désormais une analyse individualisée de chaque cas. Le Tribunal administratif fédéral (TAF) dénonce la violation de normes de droit international par l'Etat grec (Arrêt D-2076/2010 du 16.8.2011). Il souligne les carences dans l'accueil des réfugiés et la procédure d'asile. Désormais, dit-il, un renvoi ne sera envisageable que s'il est établi que le requérant échappera aux conditions déplorables de détention à son arrivée et aura droit à un recours effectif. Dans les autres cas, en particulier pour les personnes âgées ou vulnérables, les femmes seules, les familles avec enfants, un renvoi est exclu. Cet arrêt du TAF a été précédé, en janvier 2011, d'une modification de la pratique de l'Office fédéral des migrations qui avait décidé de ne plus renvoyer de requérants vers Athènes.
Chaque année, ce sont des dizaines de milliers de personnes en situation irrégulière et de demandeurs d'asile qui arrivent en Grèce. Pour être aussitôt incarcérées dans des centres de rétention proches des frontières. Et ce, dans des conditions inhumaines. La grande majorité des demandeurs d'asile, fuyant des pays déchirés par la guerre, sont des Afghans, des Erythréens, des Irakiens, des Palestiniens et des Somaliens.
Porte d'entrée dans l'UE
La frontière terrestre gréco-turque, qui court sur quelque 150 kilomètres au nord-est du pays, est devenue le principal point de passage des sans-papiers dans l'Union européenne, avec près de la moitié des entrées illégales détectées. Il y a deux ans encore, la majorité des immigrants traversaient la mer Egée dans des embarcations de fortune, pour venir s'échouer sur les rives des îles du Dodécanèse. Le Gouvernement grec estime que quelque 128 000 «clandestins» sont passés par le fleuve Evros l'année dernière. En moyenne, cela représente 350 personnes par jour.
Plusieurs fois mise à l'index par la Cour européenne des droits de l'homme depuis 2009, la Grèce s'est toutefois engagée, en octobre 2010, à changer la législation en vigueur, histoire de se mettre en conformité avec le droit international. Le gouvernement avait alors annoncé que le nouveau système de demande d'asile entrerait en vigueur en 2012. En application de ce système, la police ne sera plus en charge de l'asile qui relèvera alors de la compétence d'un nouveau service idoine. En attendant, le décret présidentiel N°114 a introduit ce qu'on appelle en Grèce le «système de transition», qui sera appliqué jusqu'à ce que le nouveau système d'asile soit adopté. Or, pour l'instant, même les modifications transitoires demeurent inabouties. «Le système d'asile ne s'est pas amélioré jusqu'à maintenant, déplore Marianna Tzeferakou, avocate, membre du Groupe des avocats pour le droit des réfugiés et des immigrants et qui travaille également dans le cadre du Conseil grec pour les réfugiés. L'accès aux procédures d'asile demeure restrictif, même à Athènes où il est difficile de simplement se présenter au Bureau des étrangers. Les demandeurs d'asile en rétention restent à la merci d'un refoulement. Il n'y a pas non plus d'amélioration dans les procédures d'accueil qui demeurent, de fait, inexistantes. Ni de système de détermination des nouveaux arrivants, ni d'identification des cas les plus vulnérables. Et, enfin, le fonctionnement et les installations des centres d'accueil restent très précaires et bien au-dessous des normes internationales.»
Pour cette juriste, il ne faut pas chercher plus loin les raisons qui expliquent les conditions de vie déplorables des immigrants, qui sont pour la plupart sans abri.
45 000 demandes en suspens
En dépit du fait que le dépôt des demandes d'asile demeure sous la responsabilité de la police, Marianna Tzeferakou note un seul progrès: l'examen des demandes pendantes par des comités de seconde instance représente une réelle avancée dans le système d'asile grec. Les entretiens sont approfondis, avec une augmentation du taux de reconnaissance. Mais cette évolution positive demeure relative. Il n'y a en effet que cinq comités pour un retard de 45 000 demandes en suspens.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) fait, en substance, le même constat: dans certains postes de police, la qualité des entretiens en première instance s'est améliorée, les examens de demande sont plus approfondis, quel que soit le verdict final. De récentes statistiques, publiées par l'agence onusienne, démontrent une hausse de plus de 30% des obtentions de statut de réfugié ou autres. Cet effet des nouvelles mesures mises en place par les autorités grecques est cependant pondéré par les retards en seconde instance. Le HCR a observé des problèmes «techniques» dans l'examen par les comités: reports fréquents, interruptions de séances en raison de l'absence des requérants lors des auditions.
Amnesty International (AI), active sur le terrain grec, concentre actuellement son attention sur ces nouvelles procédures d'asile. Elle suit de près ce qui se passe en particulier dans les deux plus grands centres d'enregistrement: à la Direction de la police des étrangers de l'Attique, rue Petrou Ralli à Athènes, et à la Direction de la police des étrangers à Thessalonique. «Malgré le nombre élevé d'immigrants susceptibles de faire une demande, les fonctionnaires de Petrou Ralli n'enregistrent qu'entre 20 et 30 requêtes par semaine, s'inquiète Dora Oikonomou, de la section grecque d'Amnesty International. On peut alors supposer que bon nombre de requérants doivent attendre des mois avant de pouvoir accéder à la procédure d'asile. Pendant ce temps, ils sont en danger d'être arrêtés et à la merci d'un renvoi.»
En mai 2011, un bureau d'avocats de Thessalonique a fait savoir à AI que la police du lieu avait même cessé d'enregistrer les demandes. Plusieurs cas de retards dans la remise de cartes de séjour ont également été observés par l'organisation de défense des droits de l'homme.
Mineurs négligés
Autre sujet d'inquiétude, et pas des moindres, la situation des mineurs, séparés de leurs parents ou non accompagnés. Le décret présidentiel N° 114 n'a tout simplement pas interdit la rétention d'immigrants n'ayant pas atteint l'âge adulte. En mai 2011, des délégués d'AI ont visité un poste de gardes-frontière à Soufli, dans la région frontalière d'Evros, en Thrace orientale. Ils y ont découvert sept enfants détenus parlant l'arabe. «Trois d'entre eux dormaient à même le sol dans une seule cellule, deux autres dans une deuxième cellule et les deux derniers dans le corridor, relate Dora Oikonomou. Ils avaient tous passé un mois déjà dans de telles conditions. Les autorités nous ont dit qu'elles prévoyaient de les envoyer dans un centre pour mineurs non accompagnés à Konitsa, dans le nord-ouest de la Grèce.» Ces enfants ont déclaré n'avoir pas eu le droit de quitter leur cellule pour prendre l'air durant toute la période de leur rétention. Ils n'en avaient la permission que lorsqu'ils étaient malades et devaient voir un médecin. Les locaux étaient, qui plus est, mal aérés. AI dénonce également le fait que ces enfants n'étaient pas informés de la durée de leur rétention. Ils ont été invités à signer des papiers en grec, sans comprendre ce qui y figurait.
Le seul interprète qui a été mis à leur disposition ne parlait que le français. Dans un autre centre de rétention de la région, à Filakio, une trentaine de garçons ont été découverts dans des cellules qui s'apparentaient à des cages, sans lumière naturelle. Les dortoirs et les latrines étaient inondés.
Mauvais traitements
«Entre juin 2009 et mai 2011, explique Dora Oikonomou, nous avons relevé de nombreux cas de mineurs enregistrés comme adultes. Cela s'est produit dans le centre de rétention de l'île de Samos, dans l'ancien et le nouveau centres d'Hellenikon à Athènes ainsi que dans les postes de surveillance de gardes-frontière de Tyhero et de Soufli, dans la région d'Evros, de même qu'au poste de police d'Exarcheia à Athènes.»
Les violations des droits humains ne concernent pas seulement les mineurs. De manière générale, le HCR, AI et plusieurs organisations non gouvernementales, des juristes grecs, tous constatent les mêmes manquements: cellules de rétention inappropriées, WC qui débordent, pas de savon, pas de serviettes éponge, pas de lessive possible, pas de fourniture d'habits de rechange, nourriture insuffisante, privation d'accès à des soins médicaux, mauvais traitements.
En mars 2011, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a enfoncé le clou, en décidant de faire une déclaration publique pour dénoncer «l'absence persistante de réaction de la part des autorités grecques, eu égard à la rétention des étrangers en situation irrégulière». Cette procédure, qui a fait suite à diverses visites du CPT en Grèce, s'est étendue aux conditions carcérales en général. En janvier 2010, le CPT a eu des entretiens à haut niveau avec les autorités grecques à Athènes, «afin de leur faire bien comprendre l'urgence qu'il y avait à nouer un dialogue constructif avec lui et à prendre des mesures pour améliorer les conditions dans lesquelles étaient maintenus les étrangers en situation irrégulière et les personnes incarcérées». Lors de sa dernière enquête de terrain, en janvier 2011, le CPT a émis un constat sans appel et qui fait douter de la fiabilité des annonces de réformes par Athènes: «Les établissements de police et des gardes-frontière abritaient un nombre sans cesse plus important d'étrangers en situation irrégulière dans des conditions bien pires encore. A titre d'exemple, au poste de police et de surveillance des gardes-frontière de Soufli, dans
la région d'Evros, les membres de la délégation du CPT ont dû enjamber des personnes pour pouvoir accéder aux locaux de rétention. Il y avait 146 étrangers en situation irrégulière entassés dans une pièce de 110 m2, sans aucune possibilité de pratiquer de l'exercice en plein air ni même de se déplacer dans les locaux, avec un seul WC et une seule douche en état de marche à leur disposition. Parmi eux, 65 étaient retenus dans ces conditions déplorables depuis plus de quatre semaines et certains depuis plus de quatre mois. Il ne leur a même pas été permis de changer de vêtements. Des femmes étaient parfois hébergées dans les mêmes locaux que les hommes. Des conditions similaires prévalaient dans presque tous les locaux de la police que la délégation a visités.»
Appel à l'UE
Dans leurs critiques, les observateurs reconnaissent l'immensité de la tâche pour la Grèce, qui n'avait, jusqu'aux années 2000, jamais été confrontée à l'immigration. Longtemps, ce sont les Grecs qui ont pris le chemin de l'exil. C'est pourquoi le HCR demande instamment à l'Union européenne et à ses Etats membres de se montrer solidaires avec Athènes en intensifiant leurs efforts pour aider le gouvernement à normaliser son système d'asile. Mais il existe désormais un facteur aggravant touchant la politique grecque de l'asile: les crises financière et économique du pays.
A ce propos, le témoignage de Marianna Tzeferakou est édifiant: «Nous ne pouvons rien attendre de la Grèce. La crise est telle que les autorités ne sont plus en mesure, administrativement et financièrement parlant, de respecter leurs engagements à réformer la procédure d'asile. Les acquis sociaux et les salaires ne cessent de diminuer, nos droits sont réduits, le chômage augmente, les Grecs commencent à avoir des problèmes de survie.» Pour cette avocate, «le sort des requérants d'asile est plus que jamais vulnérable. Ils ne parviennent plus à subvenir à leurs besoins, même ceux qui ont un statut de réfugiés peinent à s'en sortir et rejoignent les sans-abris.»
Amnesty International reconnaît également l'influence de la crise économique sur la situation de l'asile en Grèce. En particulier dans le désengagement financier de l'Etat grec, aux abois face à ses débiteurs internationaux. «Mais Amnesty n'en reste pas moins attentive à des cas de violation des droits des requérants qui ne sont pas liés à l'allocation de ressources financières, souligne Dora Oikonomou. La rétention prolongée des demandeurs d'asile, les obstacles à l'accès aux procédures de requête, le retard dans le traitement des cas ne peuvent pas être excusés au nom de cette crise économique.»