En entendant prononcer le nom d’Alberto Achermann, certains directeurs de prison et ministres cantonaux de la justice pourraient s’inquiéter. Car le professeur de droit des migrations est aussi président de la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT). Et quand il effectue ses visites dans les prisons, son regard est affûté. En cas de violation des droits des détenus, il émet des recommandations concrètes à l’intention des autorités. Et ses critiques ne plaisent pas toujours aux directeurs d’établissements pénitentiaires.
Alberto Achermann a tout de même des raisons de se réjouir: «A l’occasion de nos visites de suivi, je suis positivement surpris de voir qu’un bon nombre de nos remarques ont été prises en compte, même quand elles avaient été rejetées dans un premier temps.» Il a conscience que personne n’apprécie d’être sous le feu de la critique, mais on doit parfois admettre la nécessité d’intervenir: en matière de détention en vue de l’expulsion par exemple, les conditions de détention des étrangers devraient être distinctes de celles qui prévalent dans la détention préventive ou en exécution de peine, même si elles ont lieu dans les mêmes établissements.
Souvenirs d’Espagne
S’il se consacre «de tout son cœur», comme il le dit, à son activité à la CNPT, Alberto Achermann est principalement professeur associé en droit des migrations à l’Université de Berne. Formé au droit des gens, il s’occupe de droit des migrations au sens large: droit des étrangers et des réfugiés, droit de la nationalité.
L’ancien secrétaire central de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) est avocat indépendant et consultant juridique depuis 2003. Il organise également les Journées du droit de la migration et coédite l’Annuaire suisse de la migration. Né en 1961 à Madrid, ville d’origine de sa mère, il a grandi entouré de juristes: son grand-père et plusieurs de ses oncles l’étaient. «L’un de mes oncles travaillait à l’élaboration de la Constitution espagnole. Cela m’intéressait beaucoup.» Ses propres enfants ne sont en revanche pas juristes: «Ils suivent leur propre chemin.» Et les petits-enfants doivent encore grandir…
Multiples défaillances
Commentant l’augmentation du nombre des réfugiés, Alberto Achermann n’hésite pas à parler d’une «crise générale», qui ne peut trouver d’issue que dans le cadre d’une conférence internationale. Le spécialiste regrette, à cet égard, l’absence, dans les Conventions de Genève, d’un devoir de collaboration entre Etats et d’un mécanisme pour le concrétiser. Il constate une défaillance de tous les acteurs concernés. L’UE se montre incapable de résoudre deux crises à la fois: «Pendant la rencontre au sommet permanente pour surmonter la crise financière, on n’a pas vu le problème des réfugiés.» De plus, les pays membres de l’UE ont également échoué dans la coopération et la répartition des réfugiés: «A la grande vague de solidarité, de compassion et d’ouverture s’est ensuivi une phase de la cruauté calculée.»
Le professeur bernois critique également l’ONU. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) est, selon lui, politiquement marginalisé depuis dix ans. «Le message de l’UE était clair nous avons une politique d’asile commune et le HCR n’a qu’à se concentrer sur l’Afrique et l’Asie.» Et le HCR lui-même n’a rien entrepris en Europe.
Leçons de l’histoire
On peut pourtant trouver des réponses à la crise actuelle en se replongeant dans l’histoire: «Après la chute de Saigon en 1975, 4 millions de personnes avaient pris la fuite. L’Europe et les Etats-Unis en avaient accueilli 2,5 millions.» Une conférence internationale sur les réfugiés s’était tenue deux mois après cet exode massif. «S’était ensuivie l’évacuation de 240 000 personnes en quelques semaines, et la conclusion d’un programme d’émigration avec le Vietnam. Les gens pouvaient s’annoncer au Vietnam même et avaient une réelle chance de pouvoir s’installer aux Etats-Unis, en Europe ou en Amérique latine.» La Suisse avait aussi apporté sa contribution. «En l’espace de quelques mois, le nombre de demandes avait sérieusement reculé.»
Les fréquentes révisions de la loi sur l’asile compliquent la politique dans ce domaine, regrette Alberto Achermann. Le droit suisse devrait, par ailleurs, être révisé en fonction du droit de l’UE. «Nous devons tirer à la même corde, mais de nombreux employés des Offices des migrations n’arrivent plus à suivre. Ils ne savent parfois plus quel est le droit en vigueur.» Sans parler des révisions qui n’ont fait que de créer de nouveaux problèmes, commente encore le spécialiste. Par exemple, la non entrée en matière pour les réfugiés sans-papiers. «La règle fut appliquée au début, avant d’être supprimée sans tambour ni trompette peu de temps après.»
Les durcissements sont une sorte de symbole de la politique intérieure, mais leur effet en pratique est très limité, observe le professeur: quand un pays, comme le Danemark, se donne une image «dure», cela peut avoir une influence à court terme sur le choix de pays d’asile par les réfugiés, mais à long terme, l’incidence sur les statistiques n’est guère mesurable.
Aux yeux de l’expert en migrations, il est spécialement dramatique qu’un quart de la population de la Suisse ne possède pas la citoyenneté du pays. «Voulons-nous vraiment exclure autant de monde du processus politique et de la participation au système de milice?» Et Alberto Achermann de critiquer la séparation en trois niveaux des droits politiques: commune, canton et Confédération. Dans la société mobile d’aujourd’hui, l’espace de référence devrait être la Suisse. Mais on en est encore loin: «Si j’ai le le droit de cité de Zurich, Appenzell ou Genève, cela ne signifie pas que je suis intégré dans ces lieux.»