Introduction
Dans le contexte de la crise énergétique, le Conseil fédéral (CF) a mis en consultation, entre fin août et mi-décembre 2022, plusieurs projets d’ordonnances fondés sur la loi sur l’approvisionnement du pays (LAP), dont l’objet était de prévoir des dispositions permettant de pallier l’éventualité d’une grave pénurie de gaz et d’électricité. Depuis lors, certains projets ont été modifiés en mars 2023, mais les prescriptions initiales ont suscité de nombreux questionnements, notamment quant à leurs conséquences en matière de droit du bail. En effet, parmi les mesures envisagées par ces réglementations – dont un grand nombre ont été conservées, en l’état actuel des travaux législatifs –, l’on trouve diverses restrictions et interdictions d’utilisation visant au pilotage de la consommation d’énergie, qui ont un impact sur la vie quotidienne sur les lieux de travail et d’habitation. Il n’est pas inutile d’en rappeler les contours, pour une meilleure compréhension de ce qui suivra.
L’annexe 1 au projet d’ordonnance concernant l’énergie électrique prescrit l’introduction échelonnée de limitations, des plus mineures aux plus sévères. Au palier 1, sont notamment prévues diverses températures limites autorisées (utilisation de lave-linge: 40 °C; chauffage des pièces accessibles au public: 20 °C), mais aussi d’autres prescriptions, portant par exemple sur le chauffage des bâtiments non utilisés (devant obligatoirement demeurer au niveau minimal). Au palier 2, la température de l’eau chaude serait limitée à 60 °C (initialement, il était prévu que celle des pièces accessibles au public soit limitée à 19 °C). Au palier 3, les pièces principalement chauffées à partir d’énergie électrique (chauffages électriques, pompes à chaleur, etc.), y compris dans les logements et lieux de travail, devraient être chauffées à 20 °C au plus (exception faite de diverses situations «sanitaires»). Initialement, un maximum de 18 °C avait été prévu en pareil cas. Quant aux interdictions, l’annexe 2 au projet d’ordonnance précité envisage là encore une gradation, d’un palier 1 (interdictions de portée réduite, comme celle des chauffages mobiles, des saunas ou des éclairages de jardin) à un palier 4 (mesures de grande ampleur qui, combinées à un contingentement, ont pour but d’éviter de devoir recourir à des délestages électriques, parmi lesquelles l’interdiction des discothèques, de la projection publique de films et de certaines manifestations sportives ou culturelles publiques qui consomment de l’électricité – théâtre, concerts, etc.). En ce qui concerne le gaz, le projet d’ordonnance y relatif prévoit, entre autres limitations, celle de la température des logements privés et des locaux commerciaux à 20 °C (après qu’une température de 19 °C avait été initialement envisagée). Il s’agit d’une prescription de comportement destinée aux locataires, sauf s’ils ne peuvent régler la température des pièces de manière autonome, auquel cas il appartient aux bailleursde limiter le chauffage de sorte à respecter ce plafond. La température de l’eau chaude ne doit pas dépasser 60 °C. Des interdictions d’utilisation sont également projetées, parmi lesquelles celle de la production de chaleur et d’eau chaude pour les piscines et installations de wellness, ou les locaux d’habitation et commerciaux inoccupés durant plus de 24 heures. L’utilisation de foyers à gaz (cheminées, barbecues) ou de nettoyeurs à haute pression serait également proscrite, parmi d’autres utilisations prohibées.
Ces divers projets législatifs posent en particulier la question des conséquences en matière de droit du bail, pour les bailleurs et les locataires, de l’imposition de températuresmaximales de chauffage des locaux par la Confédération, que celles-ci soient respectées ou pas. Relevons d’emblée, puisque les projets d’ordonnances sont évolutifs et qu’ils ont initialement prévu des seuils différents, que nous analyserons ci-après divers scénarios. Quoiqu’ils ne soient pas ceux actuellement retenus par le CF, ils pourraient bien se présenter à l’avenir. Par ailleurs, faute ici de place, ou eu égard au caractère moins probable – pour l’heure – de leur mise en œuvre, les autres restrictions et interdictions prévues dans les ordonnances susmentionnées ne seront pas abordées par la présente contribution.
Après un rappel de la notion de défaut de la chose louée et des droits issus de la garantie contre celui-ci, il sera question de sa concrétisation en matière de température des locaux loués. Puis nous examinerons la question des leviers en main des locataires, en cas de limitation de la température de la chose louée par le bailleur, que ce dernier agisse de son propre chef ou en application d’une prescription légale. Deux sections de la présente contribution se pencheront brièvement sur les cas particuliers des frais accessoires et des locaux commerciaux. Enfin, en guise de conclusion, nous nous attacherons brièvement à l’examen des objections possibles du bailleur, notamment à la question de son droit de se prévaloir d’un changement imprévisible des circonstances, pour échapper aux prétentions du locataire.
Garantie contre les défauts
Il y a défaut lorsque l’objet loué ne présente pas une qualité que le bailleur avait promise ou sur laquelle le locataire pouvait légitimement compter, en se référant à l’état approprié de l’usage convenu des locaux (art. 256 al. 1 CO). En principe, l’état approprié à l’usage convenu se détermine par référence aux termes du contrat et de ses annexes, ou, tacitement, par une utilisation adoptée pendant longtemps sans opposition du bailleur. Dans certaines circonstances, si le bail n’est pas suffisamment précis à cet égard, l’on se référera aux qualités auxquelles tout locataire peut s’attendre (standards minimaux). En tout état de cause, il convient d’avoir à l’esprit que la notion de défaut est relative, si bien que son existence dépendra des circonstances du cas (notamment la destination de l’objet loué, l’âge et le type de la construction, ainsi que le montant du loyer). Par ailleurs, pour consacrer des défauts, les désagréments doivent excéder les limites de la tolérance.
Selon l’ampleur du défaut, plus spécifiquement son impact quant à l’usage convenu de la chose louée, la loi accorde des droits différents au locataire. Il convient par conséquent de distinguer entre un défaut mineur (qui n’affecte l’usage des locaux que dans une faible mesure), un défaut de moyenne importance (qui restreint l’usage, sans l’exclure ni l’entraver considérablement) et un défaut grave (qui exclut ou entrave considérablement l’usage). Si le défaut empêche ou restreint l’usage de la chose, le locataire peut exiger sa remise en état (art. 259b CO), consigner son loyer (art. 259g à 259i CO), réclamer une réduction de loyer (à condition que l’usage de la chose soit restreint dans une mesure de l’ordre de 5% ou que le défaut mineur se prolonge sur une longue durée; art. 259d CO) ou prétendre à des dommages-intérêts (art. 259e CO), voire, pour les cas de défauts graves, résilier son bail de manière anticipée (art. 258 al. 2 et 259b let. a CO).
La réduction ou la suppression du loyer en cas de défaut, dont le but est de rétablir l’équilibre entre les principales prestations contractuelles du locataire (paiement du loyer) et du bailleur (remise et entretien de l’objet loué dans un état approprié), est de nature causale, c’est-à-dire qu’elle est indépendante de toute faute du bailleur. Le locataire a alors droit à une réduction proportionnelle de son loyer, dès le moment où le bailleur a eu connaissance du défaut, et jusqu’à sa suppression (art. 259d CO). Cette dernière prétention sera analysée de manière plus approfondie, tant il est vrai qu’elle est celle qui entrera le plus souvent en ligne de compte.
Températures limites des locaux loués
De jurisprudence constante, il est admis que des locaux peuvent être considérés comme affectés d’un défaut en cas de températures insuffisantes ou, à l’inverse, excessives. Les règles applicables en droit du bail ne définissent pas à partir de combien de degrés la température est excessive, ou insuffisante, ni a fortiori à partir de quelle température une réduction de loyer peut être octroyée aux locataires. De manière générale, répondre à ces questions exige de prendre en compte l’ensemble des circonstances du cas.
La jurisprudence donne quelques repères:
• Défaut en cas de température dans un logement de 17-18 °C;
• Défaut en cas de température inférieure à 18 °C dans un appartement;
• Température dans la norme, pour des logements: 20 à 21 °C (ou 19 à 20 °C en cas de standard «Minergie»);
• Température attendue entre 20 et 21 °C dans un logement;
• Température minimale de 18 °C dans un logement;
• Une personne dont la sensibilité au froid n’est pas hors du commun devrait pouvoir se tenir dans son logement sans avoir à revêtir des habits particulièrement chauds.
En doctrine, Thomas Oberle estime que la température normale dans un logement se situe entre 20 °C et 21 °C, entre 7 heures et 2 heures. Bohnet et DuPasquier considèrent quant à eux qu’un défaut existe uniquement si la température des locaux est égale ou inférieure à 18 °C. Selon ces auteurs, 19 °C constitue une entrave «mineure». Ils admettent toutefois qu’un bailleur ne pourrait pas décider unilatéralement d’une diminution du chauffage à 19 °C, car cette température serait en dessous de ce qui est attendu…
D’autres sources d’interprétation existent:
• Le rapport explicatif concernant le projet d’ordonnance sur les interdictions et les restrictions d’utilisation de gaz mentionne une température normale entre 20° C et 22° C, pour les logements et les locaux commerciaux.
• Des valeurs indicatives figurent sur le site suisseenergie.ch de l’OFEN, et sont citées par l’OFL sur sa page «Logement et pénurie d’énergie», en réponse à une question juridique sur la température ambiante minimale pour que l’on ne puisse pas considérer que l’objet présente un défaut: salle de bains 23 °C, pièces de séjour 20 °C, chambres à coucher/hall d’entrée 17 °C.
• Les recommandations générales de l’OFSP préconisent des températures de 20 à 21 °C, sauf dans la chambre à coucher (18 °C).
• Les recommandations du SVIT mentionnent une température minimale pour les pièces à vivre de 20 °C, entre 6 heures et 23 heures.
• En matière de droit du travail, une température de 21 à 23 °C est adéquate pour du travail de bureau assis en saison froide, selon le SECO.
• La SIA estime enfin que la température de confort des locaux d’habitation en hiver est de 21 °C, les normes SIA prescrivant une température intérieure usuelle des bureaux et des logements entre 20 et 21 °C.
À nos yeux, le standard actuel devrait être celui suggéré par Thomas Oberle, qui semble aussi être confirmé par le Tribunal fédéral et les autres sources d’interprétation précitées, soit une température pour les logements et les bureaux de 20-21 °C, entre 6 heures et 23 heures. Les attentes de confort ont en effet évolué, si bien que les anciennes décisions de justice faisant état d’une température minimale de 18 °C semblent n’avoir plus cours.
On peut certes se demander si cette norme devrait être revue à la baisse au vu du contexte actuel de crise énergétique. Tel n’est pas le cas à notre avis. En effet, la norme de température entre 20 et 21 °C résulte d’un consensus assez large et semble admise par les milieux de défense des locataires et les milieux immobiliers. La crise énergétique n’a au demeurant pas vocation à durer (telle n’est pas, à ce stade, l’anticipation des locataires dans leur majorité), si bien que l’on ne peut affirmer actuellement que les attentes des locataires en la matière auraient d’ores et déjà été modifiées durablement. Le fait que le Conseil fédéral ait envisagé de fixer, dans un premier temps, la température minimale à 19 °C pour les biens chauffés principalement au gaz, voire que le projet d’ordonnance sur les restrictions et les interdictions d’utilisation de l’énergie électrique ait pu prévoir dans sa première version une température de 18 °C (au palier 3 des mesures, néanmoins), ne change rien à cette conclusion, au contraire. En effet, telles mesures ne sont prévues que pour le cas de pénurie grave, et ce pour une période limitée, si bien que, là encore, manque un élément de temporalité pour qu’on puisse en inférer un changement durable du standard actuel.
Autre est la question de savoir à partir de quelle température il existe un défaut de la chose louée ouvrant droit à une réduction de loyer. Le Conseil fédéral, en réponse à une motion parlementaire, indiquait que cela fait longtemps que le TF n’a plus eu à trancher la question du seuil de tolérance admissible, pour les écarts de température vers le bas. Cette question doit s’envisager selon nous sous deux angles, matériel et temporel. Ainsi, sous l’aspect temporel, une baisse de la température de courte durée (quelques heures de nuit; ou 1-2 jours, même dans les heures usuelles de chauffe) ne devrait pas ouvrir droit à une réduction du loyer. En revanche, une diminution de la température, même de 1 °C par rapport à la norme, peut justifier une réduction de loyer, si elle se prolonge suffisamment dans le temps. Sous l’aspect matériel, une différence de moindre intensité (moins de 1 °C par rapport à la norme de température) ne saurait justifier une réduction de loyer. À moins qu’elle ne s’accompagne d’autres désagréments, comme le passage incessant de corps de métiers pour des interventions sur le système, ce qui n’entre pas en ligne de compte si la baisse de température résulte d’un réglage volontaire, comme c’est le cas dans notre hypothèse de travail. En revanche, un écart prolongé de 1 °C vers le bas devrait à notre sens être qualifié de défaut et justifier une réduction de loyer, sauf circonstances particulières.
Droits des locataires en cas de respect ou de non-respect des températures limites
À ce stade, il convient de passer en revue lesdifférentes situations qui peuvent se présenter en pratique.
Cas de figure 1: les températures limites sont respectées
Si la limite de 20 °C est respectée en cas de restriction de la consommation de gaz, la température sera probablement considérée comme normale, sauf particularités du cas d’espèce (garantie de température plus élevée prévue par le bail ou autres circonstances, notamment pour le cas de personnes âgées ou handicapées).
S’agissant des limites initialement prévues de 19 °C (palier 2) pour les pièces accessibles au public et de 18 °C (palier 3) pour toutes les pièces principalement chauffées à partir d’énergie électrique, la question est plus délicate. La température est ici respectivement inférieure et nettement inférieure à ce qui est considéré comme confortable, et l’on devrait admettre que les locaux sont affectés d’un défaut.
Il convient toutefois de distinguer le cas du bailleur qui, avant toute injonction légale, entreprend de diminuer la température (pour réduire les avances qu’il doit consentir au titre du paiement des frais de chauffage ou parce qu’il a convenu de charges forfaitisées d’un montant insuffisant pour couvrir les coûts effectifs), de celui qui le fait de manière à respecter une prescription légale. Dans le premier cas, le locataire dispose de l’ensemble des garanties contre les défauts, et pourrait ainsi par exemple recourir à la consignation du loyer, pour amener son bailleur à rétablir une température admissible dans les locaux. Dans la seconde hypothèse, le locataire ne peut qu’exiger une réduction de loyer. Une remise en état n’entre pas en ligne de compte, puisque la température n’est pas le résultat d’une installation de chauffage défectueuse ou d’un choix du bailleur; autrement dit, il s’agit d’un défaut irréparable. Pour un locataire d’appartement, une résiliation anticipée n’est pas non plus à envisager, parce que le défaut ne serait pas suffisamment grave et que de toute façon elle serait inopportune (le cas particulier des locaux commerciaux sera analysé ci-après).
Quant à la quotité de la réduction du loyer, elle tiendra compte des circonstances du cas (par exemple, si le loyer s’entend frais de chauffage inclus, il faut en tenir compte pour fixer la réduction plutôt dans la fourchette haute) et, en particulier de la température effective des locaux, une réduction de 5 à 20 % – voire davantage – n’apparaissant pas d’emblée déraisonnable pour un logement, au vu de la jurisprudence.
Cas de figure 2: les températures limites sont supérieures aux limites
Dans cette hypothèse, il convient en premier lieu de se demander qui est responsable du dépassement.
S’il s’agit du bailleur, l’existence d’un défaut, et donc d’un droit à une réduction de loyer, dépendra du dépassement. Si les températures ne dépassent que de 1 ou 2 degrés les 20 °C, l’on ne devrait pas pouvoir retenir que les locaux souffrent d’une chaleur excessive, mais il n’en resterait pas moins que l’appartement serait affecté d’un défaut juridique, le bailleur ne respectant pas une ordonnance de la Confédération lui imposant une température précise. Le locataire pourrait alors exiger l’élimination du défaut, et au besoin recourir à la consignation du loyer, le bailleur étant contraint de régler le chauffage de telle sorte que les températures respectent les limites fixées. On relèvera que cela pourrait ne pas s’avérer chose facile, tant les températures peuvent varier d’un local à l’autre, notamment en fonction de son emplacement dans l’immeuble. En revanche, aucune réduction de loyer ne semble envisageable: pourquoi réduire le loyer si la température des locaux est de 21-22 °C, ce qui semble être dans la cible des températures dites de confort les plus largement admises? Il devra en revanche être tenu compte de cela, comme nous le verrons ci-après, si le loyer exclut les frais de chauffage, qui sont payés séparément comme frais accessoires. En cas de chaleur excessive, à savoir en cas de dépassement de 3 à 4 °C ou plus de la température de 20 °C, il y a défaut matériel en plus du défaut juridique, avec la possibilité pour le locataire d’exiger non seulement l’élimination du défaut (au besoin en recourant à la consignation du loyer) mais également une réduction de loyer.
Si le locataire est responsable du dépassement, le bailleur pourra lui demander de régler son thermostat correctement afin que la température ne dépasse pas 18 à 20 °C (selon le contexte légal). En cas de dépassements importants et répétés, et sans omettre de tenir compte des circonstances du cas (on sera plus indulgent avec une personne âgée ou un couple avec un nouveau-né; et la température peut être supérieure aux limites, même avec un thermostat en mode «hors gel» en raison de l’emplacement du logement), le bailleur aura la possibilité, en dernier recours et dans les cas extrêmes, d’avertir le locataire en le menaçant de résiliation au sens de l’art. 257f al. 3 CO. Toutefois, il semblerait plus opportun, et plus conforme à la plus élémentaire proportionnalité, que le bailleur signale le cas aux autorités (qui pourraient prononcer une peine pécuniaire à l’encontre du locataire récalcitrant).
Cas de figure 3: les températures sont inférieures aux limites
Dans ce cas, il convient aussi de distinguer le cas du bailleur qui, avant toute injonction légale, entreprend de diminuer la température de celui qui le fait pour respecter une prescription légale.
Si les températures limites sont situées entre 18 et 20 °C, il est renvoyé à ce qui a été dit ci-dessus pour le cas de figure 1. Si elles sont inférieures à 18 °C, il ne fait aucun doute que le locataire peut se plaindre d’un défaut de la chose, exiger que la température soit augmentée à la température minimale prescrite par l’ordonnance, au besoin consigner le loyer, et prétendre à une réduction de son loyer.
Cas particulier des frais accessoires
Il est permis de se demander si le loyer qui inclut les frais de chauffage doit être diminué si le chauffage et l’eau chaude sont moins coûteux, puisque diminués quant à leur température maximale. Une baisse du loyer peut en effet résulter d’une baisse des frais (art. 270a al. 1 CO). Il faudrait pour l’envisager que les restrictions à l’utilisation du gaz ou de l’électricité soient suffisamment importantes et durables pour que cela se répercute de manière notable sur l’ensemble des coûts couverts par le loyer, et qu’elles ne soient pas simplement contrebalancées par la hausse des prix, qui se répercute sur toutes les charges (par exemple, les frais d’entretien) et pas seulement celles de chauffage/eau chaude. Et probablement faudrait-il en plus que telles restrictions se répètent sur plusieurs années successives (pour pouvoir établir, en vertu de la méthode relative, que la baisse des charges incluses dans le loyer modifie notablement les bases de calcul depuis la dernière fixation du loyer). Une telle hypothèse semble donc difficilement envisageable.
Par ailleurs, si les frais de chauffage et d’eau chaude sont payés séparément comme frais accessoires, il conviendrait de tenir compte de l’impact des mesures de restrictions à l’utilisation du gaz et de l’électricité en tel contexte, du moment que le défaut concerne une partie de la chose pour laquelle le locataire paie des frais accessoires.
On peut ici reprendre les trois cas de figure déjà évoqués:
Cas de figure 1: les températures limites sont respectées
On peut penser à une baisse du forfait ou de l’acompte de frais accessoires, ou dans le cas de la facturation par acomptes, d’un solde réclamé amoindri. Il faut relever qu’ici encore, il faudrait que la baisse des coûts induite par la diminution de température ne soit pas largement contrebalancée par la hausse des frais d’énergie.
Cas de figure 2: les températures sont supérieures aux limites
Dans cette hypothèse, il convient à nouveau en premier lieu de se demander qui est responsable du dépassement.
S’il s’agit du locataire et que le système de facturation des frais accessoires pratiqué est celui de l’acompte, il pourrait être tenu en fin de saison de payer une proportion plus importante des frais. En effet, pour chaque degré de température ambiante supplémentaire, les frais de chauffage augmentent de 6%. En cas de répartition de ceux-ci entre divers locataires, celle-ci s’avérera toutefois compliquée. En outre, s’il est recouru au système du forfait, le bailleur devrait pouvoir exiger l’indemnisation du dommage lié à ce manquement du locataire (art. 97 al. 1 CO).
Si le bailleur est responsable de la surchauffe des locaux, et que le système de facturation des frais de chauffage est le forfait, tant pis pour lui, puisqu’il en supportera seul les conséquences. Relevons que, du point de vue théorique, il semble inenvisageable qu’il puisse prétendre, si la crise perdure trois ans (cf. art. 4 al. 2 OBLF), à une hausse du forfait qu’il aurait lui-même engendrée. En cas de facturation des frais selon le système de l’acompte, le locataire devrait pouvoir solliciter une baisse du solde réclamé, en proportion des surcoûts générés par le comportement du bailleur, s’il a perduré assez longtemps. Vu les difficultés de preuve en la matière, une baisse de 6% pour chaque degré de dépassement semblerait justifiée, en application des règles d’équité et d’expérience (cf. supra pour l’estimation de l’OFL et art. 42 al. 2 CO cum art. 99 al. 3 CO).
Cas de figure 3: les températures limites sont inférieures aux limites
On peut ici renvoyer à ce qui a été dit pour le cas 1.
Cas particulier des locaux commerciaux
À première vue, il faudrait tenir compte des spécificités de la location commerciale sous trois aspects au moins.
D’abord, en majorant les quotités de réduction du loyer, si la destination pour laquelle l’objet est loué le justifie. La jurisprudence est de manière générale plus généreuse en matière de réduction de loyer, si la marche des affaires est entravée par le défaut (en cas de chantier voisin par exemple, des facteurs supérieurs de réduction sont accordés aux commerçants, dépassant largement ce à quoi peut prétendre le locataire de logement). Il semble en aller de même en matière de défaut de chauffage.
Ensuite, sous l’angle d’éventuelles prétentions en dommages-intérêts (art. 259e CO). On peut songer, par exemple, à une perte de chiffre d’affaires d’un restaurant, liée à un défaut de température important, induit par le fait que le bailleur a intentionnellement diminué les températures en deçà des prescriptions de la Confédération. En revanche, si les températures limites imposées par les ordonnances fédérales ont été respectées, le bailleur fera la preuve libératoire.
Enfin, la possibilité d’un congé anticipé au sens de l’art. 259b let. a CO peut entrer en ligne de compte. Par exemple, pour un spa qui ne pourrait plus accueillir de clientèle, ne pouvant chauffer au-delà de 18-20 °C, ou d’une location de surface pour une patinoire extérieure qui ne pourrait plus réfrigérer la glace, en raison d’une mesure d’interdiction d’utilisation de l’électricité.
Objections possibles du bailleur?
On peut tirer quelques enseignements, selon nous, de la crise sanitaire liée au COVID et des débats juridiques qu’elle a suscités.
D’emblée, on peut souligner que l’argument de la répartition des risques ne permet pas au bailleur de se libérer de ses obligations de garantie contre les défauts, comme certains tribunaux ont pu l’admettre dans le cas des restrictions d’ouverture de commerces liées au COVID. Le bailleur assume en effet le risque lié à la remise des locaux, exempts de tout défaut. Il doit donc assurer le chauffage des lieux en vertu de l’art. 256 al. 1 CO. S’il ne peut le faire, il supporte le risque y lié, ne pouvant satisfaire à son obligation de remettre une chose exempte de défaut.
Vu le caractère provisoire des mesures de restrictions à l’utilisation de l’énergie, on devrait conclure, comme cela fut dit par diverses décisions de justice pour le cas des mesures de restrictions prises lors de la crise sanitaire, que l’art. 119 CO ne trouve pas à s’appliquer.
Reste la possibilité pour le bailleur de se prévaloir d’un changement brusque et imprévisible des circonstances, qui a un impact sur l’équilibre des prestations contractuelles. Cela devrait à notre avis être admis, selon les cas. Le bailleur diligent devrait, dans un premier temps, approcher son locataire pour tenter de trouver un terrain d’entente (par exemple sur des demandes moindres en réduction de loyer) et compter sur la compréhension du locataire, au vu du contexte actuel. Mais que cela soit dans un cadre amiable ou judiciaire (face à d’éventuelles prétentions du locataire déduites en justice), l’examen de l’ensemble des circonstances sera crucial. Dans ce contexte, il faudra être particulièrement attentifs à ce que le bailleur établisse le rendement que lui procure le loyer et démontre en quoi le fait de réduire le loyer le mettrait dans une situation financière intolérable. ❙