Dans leurs rapports d'activité respectifs, les pouvoirs judiciaires des cantons de Genève et de Vaud se félicitent des résultats de la conciliation pour 2011, année de l'entrée en vigueur du Code de procédure civile unifié (CPC). Toutefois, une vraie comparaison intercantonale est impossible, faute de bases de calcul identiques. A titre indicatif, le taux de réussite de ce préalable désormais obligatoire est de 17,5% en matière civile à Genève (c'est compter sans les domaines du bail et du travail) et de 29,5 dans le canton de Vaud (sans le bail, mais avec les résultats des Prud'hommes). A Neuchâtel, le taux de succès (hors bail et travail) est de 27 %.
Ainsi, les premiers chiffres semblent encourageants pour la conciliation en général, sans toutefois atteindre le succès rencontré en matière de bail (50% à 80% selon les cantons) et de travail (40% à 60%), deux domaines où la tentative de résolution des litiges hors procès est bien rodée. Et, derrière les statistiques, les tribunaux se donnent-ils les moyens d'opérer une véritable conciliation? Notre coup de sonde est également encourageant à cet égard.
Juges spécialisés à Genève
Le Pouvoir judiciaire de Genève fait état de moyens supplémentaires dévolus à la conciliation au Tribunal civil (distinct du Tribunal des baux et de celui des prud'hommes): quatre juges sont chargés, pour l'équivalent d'un demi-poste chacun, de «procéder à de véritables tentatives de conciliation, avec une affaire convoquée par demi-heure en moyenne», contre six affaires convoquées par quart d'heure auparavant! Résultat: le taux de réussite s'est élevé à 17,5% en 2011, contre 4 à 9% les années précédentes. Ce qui est encore loin des résultats de Vaud et de Neuchâtel...
«Il faut admettre que, à Genève, nous revenons de loin, commente David Robert, juge au Tribunal civil et désormais magistrat conciliateur. Avant 2011, en dehors des affaires de bail et de travail, nous connaissions la conciliation «coup de tampon», confiée aux juges qui venaient d'arriver et n'aboutissant le plus souvent que lorsque les parties étaient déjà parvenues à un accord préalable. Pour réintroduire une véritable conciliation, il fallait prendre des mesures radicales. Nous l'avons fait en affectant quatre personnes à mi-charge à cette tâche.» Elles ont été recrutées parmi des juges expérimentés, volontaires pour cette fonction, qui échangent leurs expériences et développent des modèles, tout en continuant à être juges du fond pour leur autre demi- charge. Car, «pour être un bon conciliateur, il faut aussi avoir l'habitude de mener un procès, afin de pouvoir expliquer aux parties ce qui peut se passer si elles n'arrivent pas à un accord.» David Robert souligne encore que, en tenant compte des décisions rendues (sur requête du demandeur si la valeur litigieuse est inférieure à 2000 fr., selon l'art. 212 CPC ), des retraits et des propositions de jugement (aux conditions de l'art. 210 CPC) qui aboutissent, «ce sont environ 70% des affaires qui s'arrêtent au stade de la conciliation et 30% seulement pour lesquelles on délivre une autorisation de procéder».
L'expérience vaudoise
Commentant son taux de conciliation moyen de 29,5% (pour les Chambres familiales et pécuniaires, les Prud'hommes et les justices de paix), l'Ordre judiciaire vaudois précise que ce chiffre serait plus élevé si on ne comptabilisait pas, dans les échecs, les affaires où le défendeur ne s'est pas présenté. Il calcule par ailleurs un taux de liquidation de 54%, qui intègre les retraits, l'irrecevabilité, les propositions de jugement. Le canton de Vaud n'a pas opté pour une spécialisation des magistrats dans la conciliation, préférant un système de rotation. Il faut dire que, contrairement à Genève, «les magistrats vaudois sont formés depuis longtemps à la conciliation, qui était souvent tentée à chaque étape de la procédure, explique Katia Elkaïm, présidente du Tribunal d'arrondissement de Lausanne ainsi que de la Chambre patrimoniale cantonale. Mais, depuis 2011, le préalable obligatoire représente une motivation supplémentaire pour tenter de régler un litige hors procès. La situation est désormais plus confortable pour le juge, sachant qu'il n'aura pas à juger l'affaire au fond: il se sent plus libre de donner son avis et de proposer des solutions, en l'absence de public et sans que les propos des uns et des autres soient consigné. Vaud, à l'instar de Genève et de Neuchâtel, ne laisse pas le juge de la conciliation devenir juge du fond pour la même affaire, alors que, sur le plan fédéral, le CPC n'exclut pas ce double emploi.
Tradition neuchâteloise
A Neuchâtel également, ce particularisme donne davantage de liberté au juge de la conciliation. A l'instar de Vaud, ce canton n'a pas non plus affecté des magistrats spécialisés à ce préalable obligatoire, bien que, d'un point de vue organisationnel, il soit confié exclusivement à une nouvelle «Chambre de conciliation».
Isabelle Bieri, juge au Tribunal régional, ayant présidé sous l'ancien droit les instances de conciliation en matière de bail et d'égalité entre femmes et hommes, remarque qu'il y avait déjà une tradition de conciliation avant 2011 à Neuchâtel: «L'étape préalable obligatoire l'a encore renforcée, mais l'effet d'encouragement n'est pas aussi important qu'il aurait pu l'être si le législateur avait maintenu les mesures d'incitation à la conciliation qu'il avait précédemment initiées, en particulier en matière de bail à loyer.» La magistrate regrette ainsi que «le nouveau droit ait réduit les outils à disposition de l'autorité de conciliation en renonçant, dans certains domaines, tels le bail à loyer, à l'obligation faite aux parties de déposer les pièces justificatives, car une tentative de conciliation efficace suppose une bonne connaissance du dossier». Elle estime par ailleurs que la réussite de la conciliation dépend beaucoup de «la vision personnelle du juge». Un avis partagé par son confrère Nicolas de Weck, qui considère que «le texte de loi ne suffit pas à changer la pratique. Certains ont la fibre nécessaire, d'autres moins. Mais il faut aussi que les tribunaux soient dotés des effectifs suffisants. C'est le cas dans ce canton.» Pour le Neuchâtelois, il peut valoir la peine de passer quelques heures pour préparer un dossier de conciliation, puis encore deux heures en audience hors procès. «Mais, dans les causes avec une valeur litigieuse de plus de 30 000 fr., lorsque les parties ont peu documenté leur mémoire de requête et qu'il est prévisible qu'il n'y aura pas d'accord, j'évite d'y consacrer trop de temps.»
Effet d'allégement limité
Dans les trois cantons pris en compte (Genève, Neuchâtel et Vaud), il est difficile de mesurer l'effet d'allégement de la conciliation sur l'activité judiciaire. Pour Nicolas de Weck, cet effet n'est pas très important car les parties, en début de cause, se montrent souvent d'emblée opposées à un accord à l'amiable, parce que l'administration des preuves n'a pas encore eu lieu, et cela d'autant plus que la valeur litigieuse est élevée. Selon l'Ordre judiciaire vaudois, si les cas qui aboutissent «sont autant d'affaires qui ne feront pas l'objet d'une procédure au fond, il est toutefois trop tôt pour mettre en relation ces chiffres avec le nombre de procès ouverts au fond». La juge lausannoise Katia Elkaïm souligne encore que «l'infrastructure pour la conciliation est assez importante, avec un juge et un greffier». Elle est en quelque sorte rentabilisée si un accord est trouvé, mais, dans le cas inverse, cela accroît la charge de travail totale des juges... A Genève, David Robert constate que le juge du fond reçoit un peu moins de dossiers, ce qui tombe bien, car, avec le nouveau CPC, le temps de préparation et celui passé en audience sont plus importants.
En dehors du bail et du travail, où elle a déjà fait ses preuves, quels sont les domaines où la conciliation est la plus fructueuse? David Robert cite en premier lieu les affaires familiales (par exemple les contributions d'entretien hors mariage) et celles qui relèvent du contrat d'entreprise (qui sont parfois complexes et où les parties s'exposent à d'importants frais, notamment d'expertise). Nicolas de Weck souligne que la conciliation peut apporter de meilleurs résultats qu'un procès aux parties qui n'ont pas les moyens de se lancer dans une longue procédure d'administration des preuves: c'est notamment le cas lorsque le procès oppose un entrepreneur à des particuliers, petits propriétaires, qui sont en train de construire ou de rénover leur logement. Pour sa part, Katia Elkaïm considère que le droit matrimonial se prête bien à la conciliation, même lorsqu'il n'y a pas de préalable obligatoire.
Exceptions et conséquences du défaut
Les parties peuvent renoncer à la conciliation d'un commun accord dans les litiges patrimoniaux d'une valeur de 100 000 fr. au moins (art. 199 al. 1 CPC). Quant au demandeur, il peut y renoncer unilatéralement dans quelques cas, notamment dans les litiges relevant de la loi sur l'égalité (art. 199 al. 2 CPC). La tentative de conciliation n'a, par ailleurs, pas lieu dans diverses procédures, notamment en cas de divorce ou de procédure sommaire (art. 198 CPC). Mais attention, en cas de divorce sur demande unilatérale, une tentative de conciliation sur les effets du divorce a tout de même lieu, à certaines conditions (art. 291 al. 2 CPC).
A noter encore que, en cas de défaut du défendeur, l'autorité de conciliation agit comme si la procédure n'avait pas abouti à un accord (art. 206 CPC). Nos interlocuteurs sont unanimes à déplorer cette disposition, appelant de leurs vœux une amende pour le défendeur faisant défaut. «C'est une lacune du législateur, assène ainsi le juge neuchâtelois Nicolas de Weck. En effet, si la pratique devait aboutir au défaut systématique des défendeurs - dérive que la teneur actuelle de l'article 206 CPC pourrait encourager -, la procédure de conciliation deviendrait vite un préalable inutile et coûteux pour les demandeurs qui, avant de pouvoir agir au fond, sont tenus d'agir en conciliation pour recouvrer leur créance, lorsqu'une procédure de poursuite est impossible. On se souvient à cet égard de la conciliation systématique qui était prévue en procédure neuchâteloise pour les divorces, sous l'ancien droit.»
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Pas de formation obligatoire
Aucune formation obligatoire spécifique n'est prévue pour les juges amenés à faire plus intensément de la conciliation. A Genève, David Robert ne le regrette pas, estimant que les quatre juges affectés à cette fonction ont été choisis pour leur motivation, leur bon sens et leur longue pratique au sein des tribunaux. Pour le reste, ils se rencontrent pour échanger leurs expériences et élaborer des modèles de décision. A Lausanne, Katia Elkaïm pense que les juges sont motivés à faire de la conciliation, car ils ont conscience qu'il est souvent dans l'intérêt des parties de tenter ce processus. Ils sont, par ailleurs, nombreux à suivre des formations continues offertes aux juges, parmi lesquelles on trouve des modules sur la conciliation. «Et comment se former véritablement? se demande-t-elle. J'ai moi-même suivi des cours de gestion des conflits et de négociation: cela veut-il dire que je suis mieux préparée que les autres à la conciliation? Ce n'est pas sûr.»
La juge neuchâteloise Isabelle Bieri se félicite, de son côté, que des formations en conciliation commencent à émerger, notamment dans le cadre du CAS en magistrature de l'Académie suisse de la magistrature à l'Université de Neuchâtel. Elle y donne elle-même un cours sur les modes amiables de résolution des conflits, avec des jeux de rôle. «Dans mon activité de juge, ma formation en la matière, au degré du master, m'apporte une aide indéniable dans la recherche de solutions hors procès.» Isabelle Bieri signale aussi les cours proposés par le Groupement suisse des magistrats pour la médiation et la conciliation (Gemme-Suisse).
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