Dettes Conseils Suisse, regroupant les services de désendettement à but non lucratif, a publiquement dénoncé, en novembre dernier, les lacunes dans l'application de la LCC: «Notre pratique tend à démontrer qu'une grande majorité des examens budgétaires sont galvaudés et, ainsi, les emprunts dépassent régulièrement les montants limites déterminés par la LCC.» Et l'association faîtière de montrer du doigt les fournisseurs de crédit, chargés par la loi du contrôle de la solvabilité, à savoir la capacité de rembourser un crédit en 36 mois (même si les paiements sont échelonnés sur une plus longue durée) sans grever la part insaisissable du revenu, selon les normes des Offices des poursuites (art. 28 LCC).
En réalité, les banques se contentent souvent de s'informer du revenu du client (sur la base d'une à trois fiches de salaire en général), du montant du loyer et de la structure familiale (présence ou non d'enfants). Des forfaits sont généralement ajoutés pour les dépenses d'assurance maladie, les transports, les frais professionnels, tandis que les impôts sont calculés selon l'imposition à la source sur la base de tabelles. Au final, les fournisseurs de crédit ne s'enquièrent guère des charges familiales, comme les frais de formation et de garde des enfants, déplore Sébastien Mercier, juriste à Caritas et membre du comité de Dettes Conseils Suisse: «L'art. 31 de la LCC, qui permet au prêteur de s'en tenir aux informations fournies par le consommateur, ne dispense pas les banques de poser les bonnes questions. Et il existe des méthodes efficaces pour contrôler la solvabilité d'une personne, à l'image de ce qui se pratique dans les Offices des poursuites.»
A la négligence dans l'examen de la solvabilité s'ajoute parfois la volonté des prêteurs de fausser cet examen, dénonce encore Dettes Conseils Suisse. Tel le cas de ce couple qui contracte un crédit pour en rembourser un autre et dont la capacité financière est surestimée de plus de 20 000 fr. pour atteindre 81 000 fr., rendant la LCC inapplicable. Sébastien Mercier cite aussi le cas d'une rentière AI (sans autre revenu) se trouvant mystérieusement au bénéfice d'un 13e salaire avec, sous la rubrique «loyer», un montant de 800 fr. pour les intérêts de l'hypothèque sur sa maison sans ajout des autres charges. Sans parler du dossier d'un client contractant un crédit, dont le montant est directement versé de la banque à l'Office des poursuites pour régler une précédente dette...
Le CSP témoigne
Au Centre social protestant, le tableau est similaire. A la section vaudoise, 40% des personnes s'adressant au Service de désendettement ont un problème de crédit à la consommation, explique Florence Gentili, assistante sociale: «Certains postes du budget ne sont pas évalués en fonction de la réalité, les assurances complémentaires souvent oubliées, les frais de transport sous-estimés, les impôts mal calculés...» Admettant aussi que les débiteurs ne déclarent pas toujours leurs charges de manière transparente, Florence Gentili regrette que la LCC ne prévoie pas l'obligation, pour le prêteur, d'exiger des justificatifs pour l'établissement du budget. Elle rappelle que les petits crédits ne sont de loin pas toujours conclus pour satisfaire une envie de consommer, mais aussi pour rembourser un crédit précédent ou se sortir d'une autre impasse, comme le remboursement de frais dentaires, ce qui rend d'autant plus choquant la superficialité du contrôle de solvabilité.
Dans le canton de Berne, le Service Berner Schuldenberatung déplore le même genre de lacunes. «Dans les dossiers qui nous parviennent, il y a presque toujours des erreurs dans l'examen de la capacité de contracter», constate son coresponsable, l'avocat Mario Roncoroni, qui trouve cette situation particulièrement gênante à Berne, car ce canton disposait d'une loi cantonale plus efficace avant l'entrée en vigueur de la LCC: «C'était plus simple, car il suffisait d'établir que le montant du crédit ne dépasse pas trois salaires mensuels du client et que les éventuels crédits précédents avaient été remboursés.»
Arrangements négociés
Les Services de désendettement se servent des lacunes des dossiers pour négocier des arrangements avec les prêteurs. Des erreurs crasses permettent parfois d'annuler le contrat, mais, la plupart du temps, c'est une réduction ou une suppression des mensualités encore dues par le consommateur qui est négociée. Les débiteurs ne soumettent quasiment jamais leur litige à la justice, en raison du coût et de la longueur des procédures. Quant aux prêteurs, ils en auraient les moyens, mais ils ne sont visiblement pas intéressés à obtenir des décisions de justice... Résultat: on ignore toujours quelle serait la «faute grave» dans l'examen de la solvabilité qui, selon l'art. 32 LCC, obligerait le prêteur à renoncer au montant du crédit consenti, y compris les intérêts et les frais.
Des décisions sont néanmoins rendues dans le cadre de procédures de mainlevée d'opposition. «A Berne, nous avons souvent du succès dans ces procédures», relève Mario Roncoroni. A Genève, deux contrats de crédit ont été considérés comme nuls en procédure de faillite, tandis que, à Fribourg, il a été reconnu qu'un contrat mixte entre compte courant et crédit violait la LCC.
Solutions proposées
On l'aura compris, nos interlocuteurs appellent de leurs vœux un renforcement du contrôle de la capacité à contracter d'un demandeur de crédit à la consommation. Des exigences accrues qui ne nécessitent pas une révision de la LCC, estiment-ils. La loi impose déjà aux prêteurs de dresser un budget de minimum vital tel que réalisé par l'Office des poursuites, note ainsi Dettes Conseils Suisse: il suffirait d'établir par voie d'ordonnance un standard minimum, avec les différents postes à examiner. «A l'image de ce qui se fait au sein des OP», précise Sébastien Mercier qui, pour sa part, souhaite la mise sur pied d'une instance de contrôle publique: «Avec le crédit à la consommation, on assiste à une course en avant. Les banques ont intérêt à prêter et les clients à emprunter. Il n'y a personne pour freiner ce mouvement. Ce rôle devrait être joué par la Confédération, par le biais d'une autorité de surveillance.»
La faîtière des Services de dés-endettement réclame aussi une meilleure coordination entre les différentes formes de crédit de la LCC. Car, il est actuellement possible de cumuler des cartes de crédit, des crédits à la consommation et des leasings sans examiner la situation du débiteur dans son ensemble. Seules les deux dernières catégories font l'objet d'une annonce à la centrale des crédits ZEK. Pour les cartes de crédit, cette annonce n'est faite qu'en cas de gros retards de paiements. Et le leasing n'est pas soumis à la limite des 36 mois. Ce manque de coordination permet ainsi, en fait, à bon nombre de personnes d'engager la part saisissable de leur revenu pour une période parfois bien supérieure à trois ans.
Initiatives parlementaires
Sur la scène fédérale, trois initiatives parlementaires visent à renforcer la protection des débiteurs, mais elles ne s'attaquent pas au problème de fond de l'examen de la solvabilité. Celle de Hugues Hiltpold (PLR/GE) entend imposer un prélèvement sur le chiffre d'affaires des fournisseurs de crédit à la consommation pour financer des programmes de prévention de l'endettement des jeunes. Le conseiller national Jacques-André Maire (PS/NE) cible également les jeunes, en réclamant des exigences accrues pour les cartes de crédit délivrées aux moins de 25 ans: le débit immédiat du compte après paiement, l'impossibilité de payer avec la carte si le solde du compte est inférieur ou égal à zéro et un affichage immédiat du solde du compte. Quant à la conseillère nationale Josiane Aubert (PS/VD), elle réclame l'interdiction de la publicité pour les petits crédits, estimant que le cadre posé par la LCC en la matière n'est pas suffisant.
Les banques estiment établir des budgets corrects
Du côté des fournisseurs de crédit à la consommation, on estime contrôler correctement la solvabilité des clients. «Nous n'octroyons en principe des crédits qu'à des personnes tirant leur revenu d'une activité professionnelle régulière, en général des employés plutôt que des indépendants, explique ainsi GE Money Bank SA, à Zurich. L'acceptation d'une demande de crédit dépend du résultat d'un examen complet de la capacité à contracter un crédit par le demandeur, comme prescrit par la loi, mais également de directives internes. La loi nous oblige à établir un budget individuel pour définir le minimum vital et à clarifier l'existence d'engagements issus d'autres crédits à la consommation. Les antécédents financiers représentent un autre critère déterminant».
Le Groupe Aduno (comprenant Viseca Card Services) affirme de son côté «contrôler les demandes de crédit de manière plus stricte que ce que prévoit la loi en exigeant des documents complémentaires comme les décomptes de salaire des trois derniers mois. Les bonus, rémunérations variables et rentes ne sont en principe pas pris en compte comme revenus salariaux. Et seules les personnes âgées de plus de 20 ans obtiennent un crédit. Pour les jeunes entre 20 et 25 ans, le montant du crédit est limité.»
Un cadre d'une banque cantonale romande (ne souhaitant pas être cité) assure également que les banques appliquent la loi. Il estime que la LCC «est problématique, car elle fixe des seuils. Auparavant, les banques pouvaient plus facilement prêter sur la base du rapport de confiance établi avec leurs clients plutôt que sur des critères objectifs. Le plus gros problème vient des impôts: les arrangements concédés par l'Etat en la matière ne figurent nulle part. Il faudrait au moins qu'ils soient mentionnés à la centrale des crédits IKO.»
La prise en compte de certaines dépenses, comme l'assurance maladie, sous forme de forfait est par ailleurs satisfaisante du point de vue des banques interrogées. «C'est une manière rigoureuse de procéder, car on se base sur une valeur moyenne, commente encore le banquier romand. C'est ainsi largement compté pour les personnes à revenu modeste qui bénéficient de subsides de la LAMal.»
Quant aux charges familiales, elles font aussi l'objet de questions, indiquent les banques interrogées. GE Money Bank SA s'enquiert de «la pension alimentaire versée pour les enfants», tandis qu'Aduno les mentionne comme exemple dans une rubrique «autres charges» et déduit automatiquement des forfaits de formation, même pour les enfants majeurs en formation. (spr)