Dans cette affaire jugée par le Tribunal fédéral (TF) le 27 août 2014 (ATF 140 III 496), des locataires lausannois se sont vu résilier leur bail en mai 2010 au motif que le bailleur voulait rénover et restructurer l’immeuble dans lequel ils habitent. Les locataires ont contesté les congés, lesquels ont été annulés tant par l’autorité de conciliation que par le Tribunal des baux vaudois.
La Cour d’appel civile vaudoise a, quant à elle, constaté la validité des congés et accordé aux locataires une prolongation de quatre ans, en retenant que les bailleurs avaient la volonté réelle de rénover et de transformer l’immeuble. Elle a notamment tenu compte du préavis favorable du Service cantonal de l’écologie, du logement et du tourisme (SELT) accordé en 2013, soit postérieurement à l’envoi des résiliations. Elle a estimé que, si la volonté des bailleurs s’apprécie au moment où le congé est donné, on peut prendre en compte des faits postérieurs au vu de reconstituer ce qui devait être la volonté réelle au moment déterminant (ATF du 18 août 2010, 4A_241/ 2010).
Saisi par les locataires, le TF n’est pas de cet avis et annule les congés. En préambule, il rappelle que dans un arrêt de principe rendu en 2008 (ATF 135 II 112), il a jugé qu’une résiliation de bail donnée en vue d’effectuer de vastes travaux d’assainissement ne contrevient pas aux règles de la bonne foi. Il en va ainsi même si le locataire se dit prêt à rester dans l’appartement et à s’accommoder des inconvénients qui en résultent, car sa présence est propre à entraîner des complications, des coûts supplémentaires ou une prolongation de la durée des travaux. La résiliation est critiquable uniquement si la présence du locataire ne compliquerait pas les travaux, ou seulement de manière insignifiante, par exemple en cas de réfection des peintures ou lors de travaux extérieurs.
Le TF rappelle par ailleurs que le congé donné en vue de gros travaux est abusif lorsque le projet du bailleur ne présente pas de réalité tangible ou s’il apparaît objectivement impossible. C’est le cas notamment s’il est incompatible avec les règles de droit public applicables et que le bailleur n’obtiendra ainsi pas les autorisations nécessaires. La preuve de l’impossibilité objective incombe aux locataires. La validité du congé ne suppose pas que le bailleur ait déjà obtenu les autorisations nécessaires, ni même qu’il ait déposé les documents dont elles dépendent (ATF du 17 juillet 2014, 4A_210/2014; ATF 136 III 190).
Droit d’obtenir une motivation
Examinant si les résiliations sont abusives ou non dans le cas d’espèce, le TF relève qu’il faut examiner si la présence des locataires serait susceptible d’entraîner des complications. Pour le déterminer, il est nécessaire de connaître la nature des travaux envisagés. Dès lors, au moment de la résiliation du bail, le bailleur doit disposer d’un projet suffisamment mûr et élaboré pour pouvoir constater concrètement que la présence des locataires entraverait les travaux. Par ailleurs, faute de projet concret, le locataire n’est pas en mesure de se faire une idée de la réalité des intentions du bailleur et la gêne que sa présence entraînerait pour l’exécution des travaux envisagés. Or, il a le droit d’obtenir du bailleur une motivation qui lui permette d’apprécier ses chances de contester le congé avec succès et de décider, en pleine connaissance de cause, dans les trente jours suivant la réception de la résiliation, s’il entend procéder.
En l’espèce, la motivation donnée par la gérance au moment de l’envoi des congés en mai 2010, est succincte et très générale: «rénovation, transformation, restructuration». Sur cette base, les locataires ne pouvaient guère imaginer quels travaux précis les toucheraient individuellement. Les bailleurs ne disposaient ni d’un projet ni même d’une ébauche des travaux futurs. La ferme intention générale de rénover et de transformer un immeuble ne saurait être considérée comme suffisante. Dès lors, les congés donnés contreviennent aux règles de la bonne foi et doivent être annulés.
S’en tenir aux faits existants
On retiendra de cet arrêt qu’il faut s’en tenir strictement aux faits existants au moment de la notification des résiliations. Contrairement aux juges vaudois, le TF n’admet pas de prendre en compte des faits postérieurs qui viendraient étayer la position du bailleur, comme des plans établis après l’envoi des congés, ou le préavis favorable des autorités auxquelles le projet a été soumis.
Le TF a confirmé cette jurisprudence dans un arrêt du 29 octobre 2014 (4A_291/2014). Dans cette affaire, le bailleur avait résilié le bail du locataire d’un salon de coiffure, en invoquant qu’il projetait de faire d’importantes transformations. Il n’avait toutefois mandaté aucun architecte ni ingénieur aux fins de développer son projet et ne disposait d’aucun document technique ou administratif, ni d’aucun devis. Le projet n’étant pas suffisamment concret et développé, le congé a été annulé.
Dans un arrêt du 23 janvier 2015 (4A_583/2014), le TF a, en revanche, validé les résiliations données en juin 2012 aux locataires dans le but de rénover leur immeuble datant de 1929. Une société avait établi, en 2010, un rapport de contrôle à propos des installations électriques de deux appartements, dont il ressortait que l’équipement était vétuste et devait être remplacé. Par ailleurs, dans un rapport de février 2011, l’architecte mandaté préconisait une importante rénovation comportant l’isolation du bâtiment, la refonte des installations techniques des installations de chauffage, sanitaires et électriques ainsi que la réfection des façades, et devisait le coût de ces travaux. Pour le TF, il en découle que les bailleurs avaient un projet suffisamment mûr et arrêté pour pouvoir apprécier l’importance des travaux à venir et la gêne que la présence des locataires induiraient pendant leur exécution.
Ces derniers jugements apportent une clarification importante et bienvenue: si le bailleur n’a entrepris aucune démarche et ne dispose d’aucun projet de rénovation au moment où il résilie le bail, il ne peut pas corriger le vice en constituant un dossier durant la procédure. Cette solution est préférable pour la sécurité du droit. En effet, la décision des autorités judiciaires ne risque pas de varier en fonction de la durée de la procédure, et donc de l’évolution du dossier. Quant aux locataires, ils peuvent apprécier leur chance de succès en se référant exclusivement aux pièces existant au moment de la réception des congés.