La sous-location à des touristes par le biais de plateformes communautaires de location de maisons, d’appartements ou de chambres se développe de manière importante. En 2016, le nombre d’objets loués par Airbnb a atteint 18 494 offres en Suisse, selon une étude de l’Observatoire valaisan du tourisme, soit trois fois plus qu’en 2014. En Suisse romande, cette offre est surtout répandue en Valais (2644 objets) et dans les cantons de Genève (2149) et de Vaud (2001); dans ces deux derniers cantons urbains, cette pratique n’est pas sans poser de problèmes au regard de la pénurie de location de logements qui y règne1. Par conséquent, une motion a été déposée au Grand Conseil de Genève, le 27 septembre dernier, visant à ce que l’Etat se donne les moyens nécessaires pour contrôler les dispositions légales applicables à cette activité2.
L’exposé qui suit entend démontrer que le droit et la jurisprudence récente permettent déjà d’éviter la plupart des cas de sous-location commerciale abusive, sans pour autant, comme le font à Genève l’art. 31B I de la loi générale sur le logement et la protection des locataires (RS/GE I 4 05) et l’art. 5 III du règlement d’exécution de cette loi (RS/GE I 4 5.01), interdire la sous-location sous peine de résiliation de bail de logements subventionnés. Une telle interdiction générale est en effet illégale car contraire au droit fédéral.
Nature du contrat
On peut se demander si le contrat qui lie le locataire principal au touriste hébergé par l’intermédiaire d’une plateforme communautaire de location est un simple contrat de sous-location, soit un contrat de bail à part entière, indépendant du bail principal auquel il vient se superposer, ou s’il s’agit d’un contrat d’hôtellerie, soit un contrat innommé auquel s’applique le contenu de la convention selon le principe de confiance3. Il suffit que la valeur de l’utilisation du logement contre un prix soit supérieure à la valeur des autres prestations fournies pour que le contrat soit soumis au droit du bail4. En l’occurence, d’éventuelles autres prestations que le logement (tels que des conseils sur la ville, un petit-déjeûner ou le nettoyage de la chambre) ont peu d’incidence sur le prix fixé. En outre, dès lors que l’ampleur des loyers encaissés ferait apparaître cette location comme une activité commerciale, les conditions de cette sous-location seraient abusives (art. 262 II let. b CO) et elle devrait être refusée par le bailleur (voir infra, ch. 3)5. On en conclura donc que les conditions d’une sous-location selon l’art. 262 II CO lui sont applicables6.
Taxe de séjour
La taxe de séjour est un impôt visant à promouvoir le tourisme et concernant les hôtes séjournant dans un lieu où ils n’ont pas leur domicile fiscal et où ils paient leur hébergement. Pour pouvoir être prélevée auprès des logeurs mettant à disposition des chambres sur des plateformes communautaires, une base légale expresse est nécessaire, qu’elle soit cantonale7 ou communale. La ville de Berne a ainsi modifié son règlement visant la perception de la taxe, tout comme Lausanne en 2015 et diverses communes de la couronne lausannoise8. De son côté, le conseiller national PDC Dominique de Buman demande au Conseil fédéral d’élaborer une base légale permettant aux plateformes de percevoir elles-mêmes de manière unifiée cette taxe de séjour qui serait versée à l’Administration fédérale des contributions puis redistribuée9.
Conditions de la sous-location
1) L’aval du bailleur
Le locataire ne peut sous-louer tout ou partie de l’objet loué que si le bailleur lui a donné son consentement (art. 262 I CO). Ainsi, pour pouvoir sous-louer son logement à des touristes par l’intermédiaire d’une plateforme de location, le locataire doit faire une demande de sous-location au bailleur qui devra y consentir. Puisque la personne du sous-locataire n’est pas indifférente au bailleur, une nouvelle autorisation de sous-louer devra être obtenue à chaque changement de sous-locataire. Pour certains auteurs, cette manière de voir serait dépassée au vu des formes modernes d’usage des habitations10 et une autorisation générale de louer sur Airbnb (précisant le montant de la sous-location, le nombre d’occupants, la durée d’occupation et d’éventuels autres services) suffirait, jointe à un lien renvoyant à l’annonce en cause. Pourtant, non seulement ces conditions peuvent varier, mais l’identité du sous-locataire fait partie des éléments essentiels du contrat. Ne pas la communiquer au bailleur autorisera ce dernier à refuser de consentir à la sous-location (art. 262 II let. a CO); persister à ne pas le faire après y avoir été invité par écrit pourra même l’autoriser à résilier le bail selon l’art. 257f CO11.
L’art. 262 I CO n’exige pas de forme spécifique pour ce consentement. L’exigence de la forme écrite pour le consentement du bailleur peut toutefois être imposée par une clause du contrat ou l’art. 8 du contrat-cadre romand de baux à loyer12. Ce consentement doit être sollicité au moins trente jours à l’avance13.
2) L’intention de réintégrer le bail
La sous-location est un contrat par lequel le locataire cède au sous-locataire l’objet loué en tout ou partie, contre un loyer lui permettant d’en user pour un temps déterminé ou non. Le locataire doit cependant, dans ce dernier cas, garder l’intention de réintégrer le logement, car, dans le cas contraire, le bailleur est en droit de refuser la sous-location et de signifier un congé ordinaire. Peu importe qu’une partie du logement soit encore utilisée partiellement par le locataire. Un usage se limitant à quatre ou à six semaines par an moyennant une participation infime au loyer (81 fr. par mois) ne fonde pas un droit à la sous-location14. On en conclura donc qu’un locataire qui louerait en permanence son appartement sur un plateforme de réservation, ne l’occupant que quelques semaines par année et ne payant qu’une partie infime du loyer, s’expose, lui aussi, à une résiliation ordinaire.
3) Un loyer de la sous-location non abusif
En application de l’art. 262 II let. b CO, cet abus se déterminera en comparant le loyer principal payé par le locataire et celui payé par ses sous-locataires; la sous-location sera illicite si le loyer de la sous-location (s’il est convenu par jour, multiplié par le nombre de jours dans un mois) est nettement supérieur au loyer principal sans que la différence soit justifiée par des investissements ou des prestations supplémentaires du locataire. En principe, «rien n’indique que la sous-location peut revêtir un caratère lucratif» (ATF 119 II 353, c. 6a). Le TF a cependant admis que le sous-loyer puisse être un peu plus élevé que le loyer, pour tenir compte de l’ameublement qui s’y touve, ou d’un service de nettoyage. Dans l’ATF 119 II 353, le TF a indiqué que, en cas de sous-location partielle, il faut baser la comparaison du loyer principal au nombre de pièces que le bail comprend, sans la cuisine. Il a admis qu’un supplément de 20% pouvait être perçu compte-tenu du risque encouru par le locataire en cas de sous-location et du fait que la pièce sous louée était meublée. Lücker admet, lorsque l’appartement est sous-loué meublé et/ou que le locataire y a fait des aménagements à ses frais, que le loyer soit majoré de 10 à 20%15. Il note à ce sujet: «Les loyers demandés sur des plateformes telles qu’Airbnb semblent souvent dépasser cette fourchette. Or, les prestations offertes en sus de la mise à disposition du logement ne justifient en général pas de telles majorations. Leur valeur est (...) contrebalancée par le fait que l’appartement n’est pas entièrement mis à disposition (le locataire laisse ses effets personnels dans les armoires ou les stocke dans une pièce du logement qu’il condamne). Ces sous-loyers ont dès lors, dans la plupart des cas, un caractère abusif.»16
Un sous-loyer qui dépasserait de 20 à 35% le loyer initial peut, par surcroît, donner lieu à une condamnation pénale pour usure (arrêt du TF du 29 septembre 2009, 6B_27/2009 c. 1.1, 1.2.) La Gérance immobilière municipale genevoise a obtenu 3-4 condamnations en 2016 pour usure dans des cas de sous-location).
Outre le risque de résiliation de bail, le locataire encourt, dans ce cas, le danger de devoir rembourser au bailleur le trop-perçu par rapport au loyer principal. En effet, une sous-location non autorisée est une immixtion du locataire dans les affaires patrimoniales du bailleur. Pour autant que le locataire soit de mauvaise foi, c’est-à-dire qu’il ait su ou dû savoir qu’il retirait de la chose un profit illégitime, le bailleur a le droit d’exiger la restitution de ce profit sur la base de l’art. 423 I CO (à défaut, sur la base de l’enrichissement illégitime). Le TF a réaffirmé ces principes dans un arrêt du 7 juillet 2016 (4A_211/2016)17 dans lequel une locataire sous-louait 1060 fr. un appartement dont le loyer était de 586 fr. Dès lors à Genève, la Gérance immobilière municipale demandera désormais la restitution du trop-perçu par le locataire principal.
A cela s’ajoute qu’un particulier qui mettrait à disposition de manière constante et réitérée un ou des logements jusqu’alors loués à disposition de touristes pour en faire une activité semblable à une profession indépendante et en tirer un revenu régulier se heurterait au droit public cantonal visant à préserver le parc locatif existant. Dans le canton de Vaud, il s’agit de la loi du 4 mars 1985 concernant la démolition, la transformation et la rénovation de maisons d’habitation ainsi que l’utilisation de logements à d’autres fins que l’habitation (LDTR, RS/VD 840.15) et son règlement d’application du 6 mai 1988 (RLDTR, RS/VD 840.15.1). Selon les art. 1 et 3 LDTR, l’autorisation sera en général refusée lorsque l’immeuble en cause comprend des logements d’une catégorie où sévit la pénurie, ce qui devrait être le cas vu la situation actuelle du marché du logement18. A Genève, les art. 7 ss LDTR exigent une dérogation pour effectuer un tel changement d’affectation, dérogation qui ne pourra être accordée, car non souhaitable au vu de la pénurie (RS/GE L 5 20).
En outre, si l’hébergement est pratiqué de manière commerciale, une autorisation d’exploiter du département sera souvent nécessaire (voir à Genève les art. 1, V de la loi sur la restauration, le débit de boisson, l’hébergement et le divertissement (LRDBHD, RS/GE I 2 22) et 2, II de son règlement d’exécution (RS/GE I 2 22.01) qui assimilent à des entreprises l’utilisation «d’un domicile de manière régulière et continue pour héberger à titre onéreux des hôtes ou leur proposer un service de restauration») ou une inscription dans le registre communal des entreprises19 pour celui qui loue ou sous-loue son appartement, même de manière occasionnelle.
4) Abscence d’inconvénients majeurs pour le bailleur
Ces inconvénients majeurs (art. 262 II let. c CO) peuvent avoir trait soit à la modification de la destination des locaux, soit à la personne du sous-locataire.
Dans un arrêt de 1994, le TF a affirmé que la situation financière du sous-locataire ne constituait pas un inconvénient majeur. Le bailleur était une caisse de prévoyance qui poursuivait une politique de location visant à procurer des logements à des conditions abordables aux personnes dans le besoin (SJ 1995 227). Cette jurisprudence est contestable20. En effet, que des gens bénéficiant d’une forme d’aide sociale (loyer subventionné) l’utilisent pour se faire une rente de situation en vivant momentanément chez des proches n’est pas acceptable. Donc, lorsque les locaux sont réservés à des personnes répondant à certaines normes de revenus, comme c’est le cas lors de logements subventionnés, le bailleur peut à bon droit s’opposer à la sous-location lorsque le sous-locataire ne remplit pas ces conditions21. Il ne sera donc pas nécessaire d’invoquer la clause d’un contrat de bail interdisant la sous-location, laquelle est nulle22.
Une utilisation commerciale d’un appartement peut constituer aussi pour le bailleur et les autres locataires (du fait du changement fréquent de sous-locataires) un inconvénient majeur justifiant le refus de consentir à la sous-location23.
En conclusion, dans de nombreux cas, le bailleur pourra valablement s’opposer à une sous-location par l’intermédiaire d’une plateforme communautaire s’adressant à des touristes. Dès lors qu’elle visera à obtenir un profit excessif, qu’elle ne communiquera pas les conditions de la sous-location malgré la demande du bailleur, qu’elle consistera en une opération commerciale ou qu’elle touchera des logements subventionnés, le droit du bail s’y opposera tout comme le droit public cantonal limitant le changement d’affectation de logements lors de pénurie. Le bail principal pourra, après mise en demeure du bailleur, être résilié de manière anticipée si le locataire passe outre le refus justifié de ce dernier (art. 257f III CO). Il pourra aussi, lorsque le bail est à durée indéterminée, être résilié pour l’échéance moyennant un congé ordinaire (art. 266a ss CO). C’est cette dernière procédure qui a été suivie par la Gérance immobilière municipale genevoise en 2015 et en 2016 dans le cas de logements à caractère social. Les clauses légales interdisant la sous-location étant nulles, il conviendra de citer le motif justifié de refus du bailleur.