N° 1 – Une motivation erronée
L’automobiliste qui avait fait un doigt d’honneur par la fenêtre de son véhicule à deux jeunes gens a «provoqué lui-même le malheur qui s’est ensuivi», selon le Tribunal fédéral (arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013). Il aurait créé activement la cause première de l’agression dont il a été ensuite victime (il avait été battu par les deux jeunes gens jusqu’à en perdre connaissance). Car le malheureux aurait dû, selon l’expérience de la vie et le cours ordinaire des choses, connaître les risques d’un tel geste. Auparavant, les deux jeunes étaient arrivés devant la voiture du recourant et de son épouse, les avaient gênés en passant lentement devant eux, les avaient provoqués avec des gestes et des insultes.
C’est l’un des nombreux arrêts, émanant de divers domaines du droit, que les lecteurs de plaidoyer ont proposé, à la fin de 2013, pour le concours de l’arrêt le plus désolant. Un arrêt dont plaidoyer s’est fait l’écho dans son édition 3/2013, et qui a remporté la palme, à l’unanimité du jury. Celui-ci était composé de Roland Fankhauser, professeur de droit civil et de procédure civile à l’Université de Bâle, de Bernhard Rütsche, professeur de droit public et de philosophie du droit à l’Université de Lucerne, et de Christof Riedo, professeur de droit pénal et de procédure pénale à l’Université de Fribourg.
Ils ont tous les trois estimé que ce jugement était erroné dans son argumentation juridique: l’automobiliste n’a pas eu un comportement actif, mais il n’a fait que réagir à une provocation des deux jeunes gens. On ne peut négliger les actes préalables de ces derniers. Dans ces circonstances, avec son doigt d’honneur, la victime n’a pas participé activement à l’altercation, condition nécessaire pour la diminution de moitié des indemnités en cas d’accident, approuvée par le TF. Une décision qui donne un signal «scandaleux» en matière de politique juridique, estiment les trois professeurs.
N° 2 – L’affaire «Carlos»
Aux yeux de notre jury, le cas «Carlos» de la justice zurichoise est l’un des plus choquants de l’année 2013 (jugement du 17 septembre 2013, UH130283 du Tribunal cantonal zurichois). Le jeune délinquant suivait un traitement ambulatoire individualisé prometteur, avant de se retrouver au cœur d’un documentaire sur le procureur des mineurs de l’époque. Le film a fait grand bruit, présentant Carlos négativement et mettant le doigt sur les coûts élevés du traitement. Pour sa «protection personnelle», le jeune homme a été emmené dans un établissement fermé, «car il ne pouvait pas affronter la pression des médias sans réagir impulsivement et agressivement», selon les dires du Tribunal zurichois. Le jury voit les choses différemment: il aurait plutôt fallu protéger Carlos de l’émission de télévision. Les suites d’une telle campagne de dénigrement médiatique sont inquiétantes; on a l’impression que les autorités ont voulu se protéger de la critique des médias.
N° 3 – Formalisme à outrance
Dans sa décision RH.2013.6 du 2 octobre 2013, le Tribunal pénal fédéral a fait preuve d’un formalisme excessif, estiment nos trois professeurs.
Le 28 août, l’Office fédéral de la justice (OFJ) a ordonné à la police de remettre un mandat d’arrêt au destinataire. Le 2 septembre, ce dernier a été mis en prison, non sans avoir signé l’accusé de réception du mandat. Le 29 août, l’OFJ a appris qu’il avait une avocate. Le mandat d’arrêt est parvenu par fax le 3 septembre à son étude. Le recours de l’avocate, daté du 13 septembre, a été retourné comme étant hors délai. Il aurait dû être déposé le 12 septembre. Le jury ne peut comprendre l’irrecevabilité du recours, car le Code de procédure pénale prévoit que les délais de recours commencent quand la communication est notifiée au défenseur. En l’occurrence, l’OFJ connaissait l’existence du rapport de représentation avant que le mandat d’arrêt ne soit notifié valablement au destinataire. Le jury observe que le comportement des autorités ne respecte pas vraiment le principe de la bonne foi ancré dans le CPP.