Soyons «cash»: même si la médiation se développe et rencontre un intérêt croissant dans le monde judiciaire, certains confrères considèrent qu’elle pourrait être une perte d’argent pour leur étude. Et si la médiation pouvait, au contraire, s’intégrer dans l’activité de l’avocat et être un facteur augmentant la rentabilité de l’étude plutôt que de la réduire? C’est ce que nous allons démontrer dans le cadre de cet article.
Les avocats se trouvent dans un contexte économique qui s’est durci, ces dernières années. La concurrence est rude pour les dossiers dits «rentables». Dans ce contexte, un avocat pourrait être tenté de penser qu’il ne peut pas «se permettre de conseiller la médiation à son client», car cela irait à l’encontre de la rentabilité de son étude. Le calcul est simple: un dossier qui part en médiation peut se terminer en quelques séances, voire quelques heures, alors qu’une procédure judiciaire, dans le même dossier, pourrait durer plusieurs années. L’avocat est donc face à un dilemme: conseiller la médiation et «gagner moins» ou conseiller une procédure et «gagner plus». Dans cet état d’esprit, on pourrait rappeler que la médiation peut ne pas aboutir, ce qui entraînerait une perte de temps et d’argent et la peur de perdre un client insatisfait. Cette tension peut amener certains confrères à ne pas proposer la médiation, par crainte pour la rentabilité de leur étude.
L’objectif de la présente contribution est de mettre fin à ces craintes et de proposer une façon de voir comment la médiation peut s’intégrer dans la pratique d’un avocat et être un facteur de croissance et de rentabilité pour l’étude.
Le souci de rentabilité est une préoccupation légitime pour l’avocat, comme elle l’est pour un médecin ou tout autre professionnel. La rentabilité peut se maintenir et se développer de différentes manières.
Comparaison de rentabilité
Le raisonnement qui consiste à comparer la rentabilité d’un dossier qui se termine en médiation en l’espace de trois mois par un accord, avec une procédure qui durerait deux ans dans le même dossier, est erronée et procède d’une vision à court terme. Tout d’abord, il faut comparer ce qui est comparable. La rentabilité doit se calc uler sur la même période: donc deux années de travail pour l’avocat (incluant la médiation) et deux années de travail pour le même avocat (incluant la procédure).
Sur la période de deux ans, la rentabilité de l’étude pourrait, au contraire, être augmentée, car l’avocat pourra s’engager pleinement au côté de son client durant les trois mois de la médiation et il pourra, ensuite, se consacrer à d’autres dossiers également rentables, voire plus rentables. On pourrait donc considérer que les dossiers partant en médiation rapportent de l’argent en peu de temps et libèrent du temps pour d’autres mandats.
Durant la médiation, l’avocat peut en effet intervenir de façon intensive et donc facturer en conséquence sur une période courte, souvent plus que pendant les trois premiers mois d’une procédure. L’avocat va, dans un premier temps, conseiller son client sur le processus de résolution des conflits et expliquer les avantages et les inconvénients d’une médiation par rapport à une procédure judiciaire. L’avocat conseillera son client dans le choix du médiateur et l’aidera dans les premiers contacts avec celui-ci. Il le conseillera lors de la signature de la convention de médiation. Durant le processus de médiation, comme conseil en médiation, l’avocat va accompagner son client, l’aider à clarifier sa position juridique, élaborer une stratégie conforme à ses intérêts, rechercher les intérêts de l’autre partie et réfléchir en termes d’options et de solution alternative (BATNA)1. Il est important de rappeler que l’avocat peut être présent ou non pendant les séances de médiation et qu’il continue de conseiller son client tout au long du processus. L’avocat va encore vérifier la faisabilité de la solution préconisée en médiation, aider dans la rédaction de l’accord final et organiser le raccord avec la procédure judiciaire s’il y a lieu, notamment pour une ratification de l’accord2. L’avocat ne perd pas son client parce qu’une médiation commence. Force est de constater que l’avocat peut être impliqué dans le cadre de la médiation, dès la mise en place et jusqu’à l’aboutissement du processus.
Lorsque la médiation aboutit, ce qui représente dans environ 70% des cas tous domaines confondus selon les statistiques3, le client satisfait restera le plus probablement un client de l’étude et contribuera à la bonne réputation de l’avocat en vantant ses services auprès d’autres clients potentiels. En effet, le client qui voit son litige résolu en quelques heures de médiation grâce aux précieuses recommandations de son conseil sera non seulement satisfait de cette réussite, mais surtout aura noué un lien de confiance particulier avec son avocat. La médiation est ainsi une manière de fidéliser sa clientèle, de remporter de nouveaux mandats et de nouveaux clients. Comme l’a dit Bill Gates: «La meilleure publicité est un client satisfait!»
De plus, quand la médiation aboutit et qu’une relation commerciale est maintenue, ou une entreprise familiale préservée ou encore une famille sortie d’une succession très acrimonieuse, il y aura certainement d’autres prestations à effectuer. C’est à l’avocat qui aura contribué à ce résultat favorable que le client demandera naturellement de faire les nouvelles conventions, prévoir la charte familiale, conseiller la famille ou l’entreprise et rédiger les documents dans le cadre d’un nouveau projet. C’est une nouvelle relation qui se crée entre le client et son avocat. L’avocat sort de son rôle de conseil axé exclusivement sur la négociation directe ou le combat et il devient un partenaire et un conseiller en qui le client aura toute confiance.
Option de la transaction
Pourtant, certains avocats ne se laissent pas séduire par la médiation et préfèrent tenir les rênes de l’affaire en tentant une transaction avec l’avocat de la partie adverse. L’option de la transaction est certainement intéressante pour trouver rapidement un accord amiable, à moindre coût, et sans entamer une procédure judiciaire. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’il y a des dossiers où les parties, voire les avocats respectifs, n’arrivent tout simplement pas à s’entendre pour trouver une solution. Une tierce personne serait alors nécessaire pour débloquer ces situations et aider les parties à trouver un accord. A défaut d’accord transactionnel, la médiation semble donc être une piste à envisager très sérieusement pour s’entendre rapidement et à moindre frais, et éviter une procédure judiciaire.
La médiation n’est cependant pas toujours une réussite: il se peut, en effet, que les parties ne parviennent pas à un accord. Dans le processus de médiation, ce sont les parties, et non leurs avocats, qui sont responsables de l’aboutissement favorable ou non du processus. En cas de non-accord, il est possible que les parties poursuivent leurs échanges en dehors de la médiation et parviennent à un accord. Si vraiment aucun arrangement n’est trouvé, et qu’une procédure judiciaire ou arbitrale doit être mise en place, la procédure sera souvent simplifiée. En effet, la médiation aura permis, le plus souvent, de clarifier la situation et les positions des parties en conflit. De plus, contrairement au processus collaboratif où les avocats qui ont assisté leurs clients doivent se retirer en cas d’échec, l’avocat qui a accompagné son client en médiation peut continuer à représenter son client dans une procédure judiciaire ou un arbitrage ultérieur4, alors même que la médiation n’a pas abouti.
Nouveau marché
La diversité des services proposés par l’avocat est aussi un critère qui permettra d’augmenter sa clientèle et, dès lors, la rentabilité de l’étude. La pratique de la médiation peut ainsi être considérée comme un nouveau marché pour les avocats, on pourrait presque dire que c’est la nouvelle tendance. D’ailleurs, les Ordres des avocats s’intéressent de très près à la médiation, de même que l’Ordre judiciaire. Pour le canton de Vaud par exemple, l’OJV a publié une brochure sur la médiation destinée aux justiciables pour promouvoir la médiation5. Quant aux magistrats, ils se forment de plus en plus à la médiation. Leur objectif n’étant pas de devenir des médiateurs, mais d’intégrer dans leurs audiences de conciliation certains outils de communication enseignés dans les formations et, surtout, de comprendre quand cela fait du sens de renvoyer en médiation6.
Pour suivre la tendance, les grandes études de la place ont ajouté, ces dernières années, des services de médiation ou de conseil en médiation dans leur liste de services pour attirer la clientèle7. Dans cette optique, de plus en plus de confrères se forment à la médiation. Proposer la médiation comme alternative à une procédure judiciaire peut aujourd’hui être considéré comme une obligation professionnelle pour les avocats, à l’instar des articles 9 et 11 du Code suisse de déontologie et des directives de la FSA sur la médiation, sans oublier le Message du 28 juin 2006 relatif au CPC sur les articles 213-218 CPC (FF 2006 6943-6946)8. La plupart des Facultés de droit proposent des cours de médiation et des séminaires pratiques pour former les avocats de demain qui auront tout naturellement cette corde supplémentaire à leur arc en entrant dans la profession.
Conclusion
Le rôle de l’avocat est de défendre les intérêts de son client, par le conseil, la médiation ou une procédure judiciaire. Comme pour le chirurgien qui propose au patient un traitement chirurgical classique ou une nouvelle technologie moins invasive, l’avocat doit pouvoir conseiller à son client l’ensemble des services sur la base de critères objectifs relatifs au dossier et aux personnes impliquées9. La rentabilité, bien qu’étant une préoccupation légitime pour l’avocat, ne peut pas être le critère déterminant pour conseiller ou non la médiation. La pratique de la médiation peut parfaitement s’intégrer dans les services proposés par l’avocat et augmenter la rentabilité de son étude.
La pratique de la médiation est un service supplémentaire qu’offre un avocat, pour laquelle il assurera le rôle «d’avocat conseil en médiation». Cependant, il ne renonce pas à ses autres activités menées comme «avocat au barreau». La médiation ne se pratique pas «à la place de» mais bien en complément des services classiques que propose l’avocat. La médiation comporte en outre de nombreux avantages pour l’avocat, comme la satisfaction de son client, le pourcentage de réussite, la satisfaction dans l’accompagnement, l’utilisation de ses compétences juridiques et humaines pour construire plutôt que de combattre, la participation à un processus plus souple, sans délais de procédure et avec moins d’animosité, moins de contraintes et plus de liberté et, tout simplement, une autre façon de travailler10.
La médiation et les modes alternatifs de résolution des conflits en général se développent en Suisse et dans le monde. Le train est en marche. Comme avocat, on peut soit faire partie du voyage et diversifier ses services pour y inclure la médiation, soit rester sur le quai de la gare. y
1Sur la «Best Alternative to a Negotiated Agreement»: N. Lynedjian, C. Courbat, Négociation, PJA 3/2008, pp. 263–274; BATNA Basic: Boost your power at the bargaining table, Harvard Law School, Program on Negotiation, Harvard University 2012.
2Art. 217 CPC, F. Pastore, B. Sambeth Glasner, La médiation civile dans le Code de procédure civile, Revue de l’avocat, 8/2010, p. 332.
3Enquête Médiation Suisse 2014, 2012 et 2008 disponibles sur le site de la Fédération suisse des associations de médiation (FSM): http://www.swiss-mediators.org/cms2/fr/actualites/statistique
4Sur le rôle de l’avocat en médiation, voir aussi M. Schaller Reardon, De l’importance pour les avocats de s’investir dans la médiation, Revue de l’avocat, 3/2016, pp. 123-125.
5Brochure n° 2 établie par l’OJV, La médiation en matière civile – Méthode alternative de règlement des conflits, septembre 2015, http://www.vd.ch/themes/etat-droit-finances/justice/publications/
6A ce sujet, voir la check-list pour les magistrats, élaborée par la Chambre de médiation de l’Ordre des avocats vaudois, http://www.mediation-oav.ch/cms/info prof.php
7C. Lévy, Médiation et avocat: diversifier les services pour les clients et rentabilité de l’étude, Chambre de médiation de l’OAV, 5 à 7 de la Chambre de médiation de l’OAV, 4 novembre 2014.
8Sur la responsabilité et les fonctions
de l’avocat en lien avec la médiation, voir M. Schaller Reardon, op. cit., p.123, note 8.
9Check-list pour les avocats, élaborée par la Chambre de médiation de l’Ordre des avocats vaudois, http://www.mediation-oav.ch/cms/infoprof.php
10C. Lévy, Les avantages de la médiation pour l’avocat, Revue de l’avocat 11/12 2013, pp. 470-476; M. Schaller Reardon, op. cit.
*Chargée de cours et de recherche à l’Université de Lausanne, chargée d’enseignement aux Universités de Neuchâtel et de Genève.
**A la Faculté de droit de l’Université de Lausanne.