Entre 1995 et 2014, le nombre d’agences effectuant le placement fixe ou la location de services a explosé en Suisse romande (soit dans les cantons de GE, FR, VS, NE et JU) passant de 424 à 11791. Une situation qui vient renforcer les recommandations de l’OCDE, demandant d’exploiter davantage les possibilités de partage des tâches entre services de l’emploi et les placeurs privés; vu l’importance de ces derniers en Suisse2, le pays serait prédestiné à rechercher leur soutien. L’expérience du travail temporaire a fait ses preuves pour nouer des liens et retrouver un poste après une période de chômage: si un quart des travailleurs se tournant vers l’intérim étaient chômeurs avant de le faire, ils ne sont plus que 16% à l’être un an après leur mission temporaire3.
Moins d’anonymat
Cependant, la collaboration entre services de l’emploi et placeurs privés se heurtait encore, il y a six ans, à des difficultés. Dans une enquête similaire de 2010, les agences privées de placement se plaignaient de délais d’attente toujours trop longs, d’informations manquantes sur la base de données informatisée et de manque d’intérêt de la part des demandeurs d’emploi. La situation n’est, aujourd’hui, plus la même. Selon les chiffres du SECO, au 1er avril 2016, 118 877 demandeurs d’emploi donnaient leurs coordonnées personnelles avec adresse et numéro de téléphone aux 3555 placeurs privés disposant d’un accès à cette base de données. Ils n’étaient que 85 382 six ans plus tôt, à disposition de 830 entreprises de placement ou de location de services autorisées. Le nombre de demandeurs d’emploi qui figurent au fichier sous forme anonyme a fortement diminué dans le même temps, passant de 75 403 à 37 578. Globalement, 80% des demandeurs d’emploi enregistrés auprès des Offices régionaux de placement (ORP) ont enregistré leur profil sur la bourse d’emploi du SECO, intitulée «Job-Room» (ils n’étaient que 70% en 2009)4. Pour garantir la bonne utilisation de ces données par les placeurs privés, une convention, entrée en vigueur en juin 2012, a été signée entre le SECO et Swissstaffing, leur association faîtière.
Nouveaux projets
Les cantons ont, de leur côté, initié de nouveaux projets de collaboration. Saint-Gall, Thurgovie et Appenzell Rhodes-Extérieures sont les seuls, en 2015, à avoir indemnisé des placeurs privés pour avoir fourni des prestations, à hauteur de 125 409 fr., comme les y autorise l’art. 119cbis III OACI. Certains cantons romands, comme Fribourg, ont formalisé leur collaboration avec les agences de placement par une convention. A l’occasion des 20 ans des ORP, le service fribourgeois de l’emploi a lancé, en février dernier, une initiative originale en organisant des «Jobs dating» avec l’Association fribourgeoise des entreprises de placement privé (Afept). Lors de cette action basée sur le modèle du «speed dating», les demandeurs d’emploi ont cinq minutes pour se présenter à plusieurs placeurs privés potentiellement intéressés par leur profil. Des rencontres spécifiques sont consacrées au bâtiment, au secteur commercial (en mai) et à l’industrie (en septembre).
«Nous avons aussi amélioré le contact avec les entreprises en créant les pôles placement, explique le chef du Service public de l’emploi fribourgeois, Charles de Reyff. Concrètement, des spécialistes par région du canton (nord-sud-sud-centre) sont les interlocuteurs privilégiés des employeurs, qui ont ainsi un point de contact centralisé avec les Offices régionaux de placement. Même s’il est difficile d’en chiffrer les effets, nous avons bénéficié d’une meilleure renommée auprès des entreprises, tout en leur démontrant l’existence de compétences intéressantes parmi les chômeurs. Les dirigeants d’entreprise sont d’autant plus enclins à nous écouter que certains ont eux-mêmes désormais connu le chômage.» Le service public de l’emploi a aussi renforcé les contacts avec les entreprises en organisant des «petits-déjeuners» avec les associations patronales fribourgeoises, présentant les ORP comme des agences de placement. Ce succès a permis, en 2015, à plus de 70% des demandeurs d’emploi de se désinscrire du chômage dans les six premiers mois.
En 2014, Fribourg se situait encore en dessous de la moyenne des résultats des ORP calculés par le SECO (94, la moyenne étant à 100 (VD). Genève (82) étant dans le bas du placement, alors que le Valais (110) arrivait premier.
Plus de placements privés
Le Service neuchâtelois de l’emploi a aussi formalisé sa collaboration avec les agences de placement privées dans une convention cadre conclue avec l’Association neuchâteloise des entreprises de placement privé et de travail temporaire (Anept); une dizaine y ont adhéré, mais elle est aussi appliquée, par analogie, aux agences non membres de l’association. ProEntreprises, le secteur de l’ORP qui est la porte unique de contact des employeurs et leur propose une réponse aux demandes de personnel dans les 48 heures5, est en contact direct avec les agences de placement. Une table ronde en 2013, a réunit 34 agences et huit représentants du Service de l’emploi pour améliorer la collaboration et discuter de l’employabilité des demandeurs d’emploi. Avec un certain succès: le nombre de postes proposés par les agences du 1er avril 2015 au 31 mars 2016 a atteint un total de 117 postes ouverts via les ORP, pour un nombre de 26 placements.
Les placements de sans-emplois par le biais des agences augmentent régulièrement à Neuchâtel, passant de 167 en 2008 à 570 en 2015 (totaux annuels), avec de fortes variations saisonnières (secteur du bâtiment). De plus, si l’on prend les motifs de sortie des fichiers de l’ORP, le fait d’avoir retrouvé du travail par ce biais est aussi de plus en plus souvent cité: de 2,62% des cas en 2011, il est passé à 4,37% des cas en 2015 (après un fléchissement entre 2009 à 2011). Le «New Deal pour l’emploi», processus visant à annoncer les places vacantes et à examiner les candidatures possibles de demandeurs d’emploi, a aujourd’hui séduit lees deux tiers des trente plus grandes entreprises neuchâteloises. Son développement pourrait permettre de créer des formations très ciblées en réactivité avec les besoins spécifiques de certaines entreprises.
Promouvoir les gains intermédiaires
«La collaboration avec les agences de placement privées se développe à Genève avec la volonté de promouvoir les gains intermédiaires, qui permettent de maintenir l’employabilité des chômeurs», explique Laurent Paoliello, porte-parole de l’Office cantonal de l’emploi (OCE). Ainsi, le nombre de gains intermédiaires réalisés par les candidats à l’emploi a augmenté de 3,8% entre 2013 et 2015. «Il faut trouver un juste milieu, car ces emplois ne doivent pas être des placements immédiats sur appel. Mais des missions de courte, de moyenne ou de longue durée qui élargissent le réseau des intéressés», poursuit-il. De nouveaux partenariats sont actuellement en cours entre Office cantonal de l’emploi et grandes agences de placement, au sujet desquels l’OCE ne souhaite pas communiquer pour l’instant. En 2015, l’OCE a placé 1007 personnes à la suite de l’annonce d’un emploi vacant, parmi lesquelles 497 concernaient des gains intermédiaires.
Sanctions à la hausse
La Suisse faisait partie, en 2008, des pays de l’OCDE qui comptent le plus grand nombre d’exclusions de prestations: cette année-là, un quart des chômeurs bénéficiant d’indemnités journalières avaient été sanctionnés par leur ORP ou leur caisse de chômage. Cela n’a pas changé depuis lors. Au contraire, on observe une augmentation généralisée, en moyenne suisse, des décisions de sanctions. En 2009, elles n’étaient que de 65 pour 1000 demandeurs d’emploi, passant à 77 en 2010, de 86 à 89 entre 2011 et 2014 pour aboutir à 95 en 2015. Tout en augmentant parallèlement, le nombre de sanctions dans les cantons romands est cependant moins élevé que dans les cantons alémaniques, constate Charles de Reyff à Fribourg. Ainsi, elles ont passé de 21 pour 1000 demandeurs d’emploi à Neuchâtel en 2009 à 54 en 2015, soit environ la moitié de la moyenne suisse. Le canton de Genève relève que la politique du SECO est qu’une haute qualité de conseil aux chômeurs aille de pair avec la pratique systématique de sanctions – un discours qui contraste fortement avec le discours «conseiller ou sanctionner», adopté il y a une dizaine d’années, poursuit l’OCE genevois. En effet, une étude récente du Conseil fédéral établit un lien positif entre la fréquence et la sévérité des sanctions, d’une part, et l’indice d’efficacité, d’autre part: plus les sanctions sont fréquentes et sévères, plus l’indice est élevé.
Pour Charles de Reyff, «l’important est d’éviter le risque de traitements différents qui se produit inévitablement lorsque le pouvoir de sanctionner est laissé aux seuls conseillers en placement. C’est pourquoi, dans le canton de Fribourg, c’est la section juridique qui est chargée du suivi de toutes les sanctions, afin qu’une égalité de situation conduise à une égalité de traitement.»
Service de l’emploi vaudois: mandat revu à la baisse
Le Service vaudois de l’emploi avait suscité des remous en mandatant, pour un projet pilote, la multinationale australienne INGEUS comme mesure du marché du travail, pour prendre en charge intensivement 1350 chômeurs (ayant déjà réalisé au minimum neuf mois de chômage) durant six mois et 900 bénéficiaires du revenu d’insertion (RI) durant neuf mois, en vue de les placer sur le marché. Les coûts de cette mesure, critiqués par le député Nicolas Rochat (PS), étaient d’un peu plus de 8 millions en trois ans et demi, une partie étant versée sous forme de prime dépendant des placements et des maintiens en emploi faits par INGEUS. Un rapport évaluant cette mesure avait donné des résultats mitigés: si les bénéficiaires étaient satisfaits de l’écoute et de la préparation aux entretiens proposés par INGEUS, les résultats en termes de retour à l’emploi étaient, en revanche, inférieurs à ceux des demandeurs d’emploi suivis par un ORP. La collaboration avec cette société a été revue à la baisse, signale François Vodoz, directeur du Service vaudois de l’emploi. La prime au placement a été supprimée, la mesure a été restructurée, raccourcie et rebaptisée «JobLab» et le financement se fait en fonction du nombre de personnes inscrites par les conseillers ORP. Pour 2016, un budget permettant la prise en charge de 600 personnes au maximum pour 3000 fr. par personne a été prévu (durée: cinq mois). Le Service de prévoyance et d’aide sociales collabore de son côté avec INGEUS pour la mesure «en route vers l’emploi» destinée à l’insertion professionnelle de bénéficiaires du RI durablement éloignés du marché du travail, afin de les placer en emploi. Il s’agit d’une expérience pilote visant à en vérifier l’efficacité avant de l’inscrire dans le catalogue des mesures. Dix places sont disponibles et le coût de la place est de 1600 fr./mois (durée prévue: trois mois en principe). Cinq personnes ont terminé la mesure à ce jour; trois ont retrouvé un emploi (deux en fixe, un en temporaire), une a été orientée vers une autre mesure d’insertion sociale et une personne est restée sans solution.