A l’image de son prédécesseur de 1881, le Code suisse des obligations (CO) de 1911 est un ouvrage de codification d’importance majeure. Pour qu’il conserve ses qualités et continue de rendre ses indispensables services, un texte d’une telle envergure doit toutefois être mis à jour de temps à autre. Une analyse approfondie du CO démontre en effet que nombre de ses dispositions sont tantôt incomplètes, parfois trop détaillées, voire même contradictoires.
C’est dans cette optique que 23 chercheuses et chercheurs ont de leur propre initiative retravaillé et mis à jour la Partie générale du Code des obligations. La méthode qu’ils ont suivie devait rassembler le plus de sources possibles, sans différencier entre le droit en vigueur, le droit qualifié de «soft law» et les projets législatifs. L’équipe de recherche s’est, de plus, largement fondée sur la jurisprudence et la doctrine qui se sont développées au fil des années en matière de droit des contrats. Constituée de chercheurs des deux bords de la Sarine, elle a pu ainsi rassembler diverses sensibilités juridiques, voisines et plus lointaines.
Cinq sources d’obligations
L’équipe de recherche a pris comme point de départ le texte actuel de la Partie générale du CO. Elle a synthétisé ce texte, en a supprimé les contradictions et comblé les lacunes. Les dispositions ont en partie été réorganisées et la systématique a été rationnalisée. Le résultat, le «CO 2020», est un projet structuré de façon claire et compréhensible, avec une terminologie entièrement harmonisée.
Le projet CO 2020 est divisé en six parties. La première partie s’aligne sur le droit moderne et présente les cinq sources des obligations, à savoir le contrat, l’acte illicite, l’enrichissement illégitime, la gestion d’affaire sans mandat et la liquidation. En droit actuel, la gestion d’affaire sans mandat est codifiée par erreur dans la Partie spéciale du code. Elle a donc naturellement trouvé sa place dans la Partie générale du projet. Le projet apporte également des nouveautés importantes à la responsabilité civile. Ces nouveautés, longuement discutées par l’équipe de recherche, ont su convaincre une majorité de ses membres. Elles présentent des solutions uniques où se rejoignent les influences juridiques voisines. En particulier, la clause générale de responsabilité civile a été élargie et retient qu’un comportement est en principe illicite dès que l’auteur viole un devoir général de comportement (article 46 CO 2020). Quant à la liquidation, qui sert à se départir des contrats devenus caducs, le projet la règle maintenant d’une façon générale et complète.
La deuxième partie traite de l’exécution et de l’inexécution des obligations. A l’inverse du droit actuel, l’inexécution n’est plus axée sur la demeure, l’impossibilité et la violation positive du contrat, mais sur le concept unifié de «violation d’une obligation». De plus, la première disposition sur l’inexécution contient une vue d’ensemble des différentes actions à la disposition du créancier (article 118 CO 2020).
La troisième partie est nouvelle et règle la fin et la résiliation des contrats de durée. La Partie générale actuelle du CO étant largement inspirée des contrats synallagmatiques typiques, telle la vente, la nécessité de cette adaptation n’est pas à démontrer. La quatrième partie est également une nouveauté. Elle traite de la prescription et de la péremption. En droit actuel, les dispositions concernant la prescription sont réparties à travers tout le CO. La péremption est actuellement admise, mais n’est pas réglée explicitement. La cinquième partie est constituée de la cession et de la reprise de dette. La sixième partie contient les modalités spéciales (solidarité, conditions, arrhes, dédit et clause pénale), auxquelles vient s’ajouter la représentation. De l’avis de l’équipe de recherche, la représentation est moins une source d’obligations qu’un mode particulier menant à la conclusion du contrat. De plus, la représentation ne joue pas seulement un rôle lors de la conclusion du contrat, mais permet également l’exécution de prestations à la place du débiteur, pour autant que cela ne soit pas exceptionnellement exclu.
L’essentiel des dispositions du CO 2020 est, comme le CO actuel, de droit dispositif. Toutefois, l’équipe de recherche a également formulé des propositions de dispositions de droit impératif. Le législateur pourra ainsi choisir le degré de droit impératif qu’il souhaite, en augmentant ou en réduisant les conditions nécessaires.
Incorporation du contrôle des conditions générales
Le projet suit une approche neutre. Par rapport au droit en vigueur, les auteurs n’ont ni augmenté le droit impératif ni revu systématiquement l’équilibre actuel entre les droits et les obligations. L’équipe de recherche a choisi de codifier le contrôle des conditions générales, tel qu’il est déjà applicable aujourd’hui. Toutefois, elle n’a pas souhaité limiter ce contrôle aux seuls consommateurs, comme le fait le nouvel article 8 LCD.
L’équipe de recherche est convaincue que les règles détaillées qui visent à protéger certains groupes particuliers de personnes appartiennent soit à la Partie spéciale du CO, dont le droit du bail et le droit du travail en sont les principaux exemples, soit à la législation spéciale. Ces dernières années, le législateur a de plus en plus souvent codifié le droit de la consommation dans la Partie générale du CO et dans la Loi sur la concurrence déloyale (LCD). Il l’a fait malgré l’existence de législations spéciales, telles la Loi sur les voyages à forfait, la Loi sur les crédits à la consommation et les ordonnances qui s’y rapportent. En ce moment, les dispositions sur le démarchage à domicile (articles 40a ss CO) sont en révision. L’Avant-projet prévoit d’étendre les sept dispositions de 1991, déjà révisées en 1993, à onze dispositions, qui deviendraient ainsi les articles 40a à 40k. La plus longue de ces dispositions devrait contenir cinq alinéas.
Intégration du droit de révocation en cas de démarchage par téléphone
Par ailleurs, le législateur prévoit d’élargir le champ d’application des dispositions sur le démarchage à domicile à d’autres formes de démarchage à distance, comme l’indique le rapport de la Commission des affaires juridiques du 23 août 2012 au sujet de l’initiative parlementaire «Pour une protection du consommateur contre les abus du démarchage téléphonique». C’est également l’optique suivie par le législateur européen, qui prévoit dans son projet pour un droit commun européen de la vente de se distancer des contrats à domicile et de s’attacher uniquement au concept de contrat à distance(3).
Les développements européens sont rapides, sans être toujours logiques. Dans la perspective suisse, cette évolution peut être difficile à suivre. Néanmoins, la politique actuelle qui consiste à ajouter de temps à autre dans l’une ou l’autre loi quelques dispositions supplémentaires n’est pas judicieuse. Les dispositions en question, éparpillées, deviennent difficiles à trouver; de plus, elles ont tendance à désarticuler les lois dans lesquelles elles figurent, en premier lieu la Partie générale du CO et la LCD.
Accès instructif à la loi
Pour l’équipe de recherche, il existe plusieurs possibilités pour contenir toutes les dispositions à caractère véritablement général dans la Partie générale du CO. Elle a opté pour une disposition qui lie la Partie générale avec le droit de la consommation (article 16 CO 2020). Une alternative consiste à mettre en place, en plus d’une nouvelle Partie générale du CO, un Code de la consommation. Un tel code permettrait également d’absorber la Loi sur les voyages à forfait et la Loi sur les crédits à la consommation(4).
Il reste que la relation entre le droit dispositif et le droit impératif doit régulièrement être redéfinie. Elle dépend de nombreux facteurs sociaux. Ainsi, il appartiendra au législateur de décider du niveau de protection qu’il veut appliquer et des lois dans lesquelles il veut régler cette protection. Dans le projet CO 2020, le but poursuivi par l’équipe de recherche était de maintenir un accès direct et instructif à la Partie générale du CO. La devise: «conserver les valeurs sûres, intégrer les nouveautés».
Allemand, français, italien et anglais
Le projet «CO 2020» a été soutenu par le Fonds national suisse. Selon les besoins, deux à huit collaborateurs scientifiques ont contribué au projet. L’équipe de recherche était soutenue par un «Advisory Board» composé de membres internationaux, par le Département fédéral de justice et police et par l’Institut suisse de droit comparé (ISDC) à Lausanne. Les langues de travail étaient le français et l’allemand, les versions italiennes et anglaises ont été produites ultérieurement. L’instrument de planification le plus important était une plateforme commune permettant de partager les parties du projet en cours d’élaboration, une bibliothèque électronique et un masterplan. L’équipe a travaillé, d’une part, dans des groupes de travail, de réflexion et de comparaison, tous constitués en fonction des besoins et, d’autre part dans des commissions de rédaction et de traduction et, finalement, en séances plénières. Les dispositions ont également fait l’objet d’un examen de compatibilité avec les domaines juridiques voisins par des experts de droit suisse. Le projet final a été adopté lors de séances plénières de plusieurs journées. Le CO 2020 est disponible sous la forme d’une monographie en allemand, en français, en italien et en anglais, accompagnée de notes explicatives, ainsi que sur la plateforme www.co2020.ch
(1) Membre de l’équipe de recherche CO 2020.
(2) Collaborateur scientifique du CO 2020.
(3) Lire le projet de rapport de la Commission des affaires juridiques du Parlement européen sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un droit commun européen de la vente du 18 février 2013.
(4) Cf. Davide Giampaolo et Claire Huguenin, Entwicklungen im schweizerischen Konsumrecht, Plädoyer für ein integrales Konsumschutzgesetz, Jusletter du 8 juillet 2013.