1. CPC et droit transitoire
1.1. Dénominations trompeuses
Voici une année que nos tribunaux appliquent le Code de procédure civile suisse, mais pas seulement, car les procédures introduites avant le premier janvier 2011 demeurent soumises au droit cantonal (art. 404 al. 1 CPC). Si l'application de normes différentes d'un dossier civil à l'autre est sans doute une excellente stimulation intellectuelle, elle sera parfois la source de confusion, dans l'intitulé des audiences par exemple, dont l'objet n'est pas nécessairement le même, malgré une dénomination identique, sous l'ancien et le nouveau droits. On a ainsi vu, à Neuchâtel, des audiences citées pour «instruction», expression qui, sous le nouveau droit, ne se confond pas avec l'introduction des débats principaux (comp. art. 226 et art. 228 CPC). Ou, pour être sûr de viser juste, sous objet de l'audience: tentative de conciliation, instruction, débats, plaidoiries et jugement. Or, la conciliation - en l'occurrence dans une cause en divorce sur demande unilatérale - est l'objet d'une audience spécifique sous le nouveau droit (art. 291 CPC). Un juge zougois, peut-être habitué hier à ne pas initier un procès sur demande unilatérale motivée par une audience de conciliation, l'a supprimée. On verra ci-dessous qu'on ne sait pas, pour l'instant, si le CPC le lui autorisait...
1.2. Recours et décisions selon l'ancien droit
Le Tribunal fédéral a vite été saisi de recours contre des décisions dont on ne savait si elles avaient été communiquées, au sens de l'art. 405 CPC, en 2010 ou en 2011. Or, le CPC s'applique aux décisions dont la communication est intervenue en 2011. Le TF a tranché:
• La communication de la décision aux parties peut intervenir par remise d'un dispositif à l'audience (art. 239 al. 1 let. a CPC), par notification d'un dispositif écrit (art. 239 al. 1 let. b CPC) ou par notification d'une expédition motivée incluant le dispositif. La remise aux parties d'un dispositif écrit, intervenue en l'occurrence en février 2010, vaut communication de la décision; celle-ci n'est pas reportée à la remise d'une expédition motivée en 2011 (ATF 137 III 127).
• Un jugement du Tribunal cantonal neuchâtelois rendu en instance unique le 23 décembre 2010 par voie de circulation, expédié le 27 décembre 2010 et réceptionné par une partie le 28 décembre 2010... et par l'autre le 4 janvier 2011, est réputé «communiqué» au sens de l'art. 405 al. 1 CPC à la date d'expédition (ATF 137 III 130).
La première décision est raisonnable, la seconde discutable. Retenir qu'une décision est communiquée au moment de son envoi ne correspond manifestement pas au sens que prend cette notion à l'art. 239 CPC, puisqu'on y vise manifestement sa notification, comme le relève du reste l'ATF 137 III 127.
Que dire des décisions cantonales sur recours, rendues en 2011, mais par une autorité cantonale inférieure? Le Tribunal fédéral retient qu'elles doivent faire l'objet d'un appel ou d'un recours au sens du CPC devant l'autorité cantonale supérieure, conformément à l'art. 75 al. 2 1re phrase LTF, avant de pouvoir faire l'objet d'un recours au Tribunal fédéral (ATF 137 III 238; TF in RSPC 2011 494, avec note de Nicolas Pellaton). Trois instances cantonales donc, alors que le CPC en prévoit deux. Mais la LTF prend ici le dessus.
On l'a dit, l'application de deux droits de procédure différents suivant le dossier en cause peut être source de confusion. Les choses se compliquent encore lorsque l'ancien et le nouveau droits s'appliquent, alors que la première instance n'a pas rendu sa décision finale. Le Tribunal fédéral retient en effet que l'art. 405 CPC en matière de voie de recours s'applique à toute décision rendue sous l'empire du CPC, qu'elle soit d'instruction ou finale (TF in RSPC 2011 489 avec note de Denis Tappy). Il en va ainsi, par exemple, d'une demande de récusation dans un dossier soumis à l'ancien droit: le recours (et ses conditions de recevabilité) contre le rejet d'une telle demande est soumis au CPC. Il en irait de même des contestations portant sur une institution juridique inconnue du nouveau droit, on songe, entre autres, à la réforme du droit vaudois ou neuchâtelois, ou des décisions pour lesquelles le droit cantonal excluait un recours immédiat.
1.3. La compétence locale
Les avocats audacieux auront peut-être déposé en 2010 une demande à un for non ouvert sous l'empire de la LFors, mais à disposition dès 2011, pronostiquant l'absence de prononcé avant la nouvelle année. On pense par exemple au for du lieu d'exécution en matière contractuelle (art. 31 CPC). L'art. 404 al. 2 CPC retient en effet que le CPC s'applique en matière de compétence locale dès l'instant où la cause était pendante au 1er janvier 2011, la compétence conférée en application de l'ancien droit est également maintenue. Le TF l'a confirmé dans un arrêt 4A_145/ 2011 du 20 juin 2011.
2. CPC et audience de conciliation
2.1. Le défaut
Les demandeurs doivent y être attentifs: leur défaut en procédure de conciliation entraîne le classement du dossier (art. 204 al. 1 CPC). La seule présence de leur mandataire en audience ne suffit pas, à moins d'un domicile hors canton ou à l'étranger, d'une maladie ou d'un autre motif justifiant leur absence (art. 204 al. 3 CPC). Certes, la possibilité existe d'obtenir dans les dix jours le relief du défaut, mais uniquement en cas d'absence de faute ou de faute légère (art. 148 CPC). Les pratiques s'annoncent variées sur ce point.
A Genève, où un tel classement est intervenu dans une affaire de bail (par chance, le motif invoqué était l'inefficacité de la résiliation, d'où l'absence de péremption), on discute à notre connaissance d'introduire une règle en la matière. Le CPC ne semble pourtant pas laisser de marge de manœuvre à cet égard. Il n'empêche qu'une interprétation stricte des art. 204 al. 1 et 148 al. 2 CPC peut avoir des conséquences désastreuses pour un locataire agissant en annulation du congé et étant absent à l'audience, quand bien même son mandataire serait présent. On le comprend d'autant moins que, de son côté, le bailleur peut toujours, dans ce type de cause, être représenté par le gérant de l'immeuble, tout comme l'employeur par un employé (art. 204 al. 3 let. c CPC).
A notre avis, la notion de faute légère doit être interprétée largement en cas d'absence à l'audience, la faute grave ne devant être retenue qu'en cas d'absence intentionnelle ou très gravement négligente. Mais l'absence de demandeur due à une mauvaise information du mandataire risque d'être opposée à celui-là.
On l'aura compris, le CPC insiste sur la présence des parties à l'audience de conciliation, afin que celle-ci ne soit pas vide de sens et qu'une véritable tentative d'arrangement intervienne. Le temps consacré à la cause n'est pas sans incidence à cet égard. Or, les pratiques demeurent très variables sur ce point, la durée des audiences de conciliation étant généralement inversement proportionnée au nombre de causes à traiter par un tribunal.
2.2. La suppression de l'audience
Peut-on aller jusqu'à supprimer cette audience de conciliation, par exemple lorsqu'on sait que son résultat ne sera pas concluant ou parce que le défendeur annonce qu'il ne viendra pas? Non, à notre avis, à moins qu'on souhaite un rapide déclin de l'institution. L'histoire en fournit un bon exemple: en France, la conciliation devant le juge de paix étant devenue une simple formalité, elle avait été supprimée en 1949. On a connu le même phénomène à Neuchâtel, à plus petite échelle1.
Le Tribunal fédéral n'a pas encore eu l'occasion de trancher. Saisi d'un recours contre un jugement déclarant irrecevable la mise en cause d'une décision supprimant par ordonnance d'instruction l'audience de conciliation prévue en cas de demande unilatérale de divorce (art. 291 CPC), il a cependant considéré qu'une telle ordonnance était susceptible de causer un dommage difficilement réparable au défendeur (art. 319 let. b ch. 2 CPC), d'où l'ouverture du recours devant l'instance cantonale. Il arrive à cette conclusion après avoir retenu que le recours en matière civile était bien ouvert, le rejet du recours au niveau cantonal étant lui-même susceptible de causer un dommage irréparable au recourant (TF 5A_233/2011 du 5 août 2011). Le juge de première instance avait supprimé l'audience de conciliation parce que la demande contenait une brève motivation. Cela ne justifie en aucun cas la suppression de l'audience de conciliation: la connaissance des arguments peut au contraire favoriser l'émergence d'une solution négociée.
3. CPC et organisation du procès
Quelques remarques dans l'attente des premiers jugements sur ce point. Les magistrats sont très libres dans l'organisation du procès. A notre connaissance, bien des tribunaux, faisant usage de la souplesse du code (ou de son interprétation), maintiennent leurs anciennes pratiques. Ainsi, les délais de réponse, le cas échéant de réplique et de duplique, sont souvent calqués sur ceux accordés sous l'ancien droit et les audiences ressemblent souvent furieusement à celles que l'on connaissait auparavant. Un tribunal qui avait l'habitude de citer une seule audience de débats principaux, prévue pour l'audition de l'ensemble des témoins, plaidoiries et jugement, maintiendra en principe cette pratique, au contraire du tribunal devant lequel se succédaient plusieurs audiences espacées de plusieurs mois.
4. CPC et formalisme
La requête en procédure sommaire doit-elle être rédigée selon les formes de la procédure ordinaire? Un acte ne présentant pas les faits par allégués avec mention des preuves à l'appui doit-il être renvoyé à son auteur pour rectification? Certains tribunaux semblent le retenir. Il est vrai que la doctrine est partagée à cet égard2. Pourtant la procédure sommaire, compte tenu de son caractère simple et rapide, s'oppose par nature à un tel formalisme. Une requête de cas clair, de mesures protectrices ou de mesures provisionnelles doit pouvoir être rédigée simplement. Les modèles mis à disposition par le Conseil fédéral conformément à l'art. 400 al. 2 CPC ne mentionnent du reste pas d'exigence de forme de ce type. Peut-être que le Tribunal fédéral devra trancher si, plutôt que de rectifier son acte, un plaideur recourt jusqu'à lui3, pour peu cependant qu'on admette qu'un tel prononcé est susceptible de lui causer un dommage irréparable.
Si certains tribunaux ont une approche assez formelle, d'autres ne s'embarrassent pas de certaines règles jugées superflues: ils n'adressent pas d'accusé de réception de l'acte introductif d'instance (art. 62 al. 2 CPC) ni de copie de l'ordonnance fixant un délai pour répondre à l'adversaire (art. 136 let. b CPC). Le demandeur ne sait donc ni si son acte est bien parvenu au tribunal, ni à quel moment il peut s'attendre à devoir répliquer, par exemple.
La charge des greffes en est-elle allégée? Pas forcément, s'il faut renseigner ensuite le demandeur par téléphone.
5. CPC et cumul/concours d'actions
De manière certes paradoxale, le premier «grand arrêt» consacré au CPC a été rendu en application des règles... de la LFors. La disposition sur le cumul d'actions (art. 7 al. 1 LFors), reprise dans le CPC après un toilettage mineur (art. 15 al. 2 CPC), n'avait en effet pas fait l'objet à ce jour de l'examen détaillé auquel procède le Tribunal fédéral dans l'ATF 137 III 311. En deux mots: le cumul d'actions est-il envisageable quelle que soit la nature du for en cause et peut-on agir, lorsqu'une prétention a plusieurs fondements (on parle de concours d'actions), au for ouvert pour chacun de ces fondements (contrat, acte illicite, droits réels)? La question se pose en particulier en droit du travail, où certaines prétentions, par exemple celles découlant du harcèlement, violent tant la personnalité (art. 28 CC) que le contrat (art. 328 CO). En l'espèce, l'employé avait agi au for de son domicile en faisant valoir le for de l'atteinte à la personnalité et de l'acte illicite en raison d'un harcèlement sur sa place de travail, qui se trouvait cependant être à Neuchâtel, tout comme le siège de l'employeur. Il invoquait le cumul d'actions pour agir également à son domicile fribourgeois en indemnité pour congé abusif, solde de vacances et délivrance d'un certificat de travail. Le Tribunal fédéral rappelle que, lorsque l'employé agit, le for est dispositif: l'employeur attaqué au mauvais for doit s'en plaindre. S'il entre en matière sur le fond, il y a acceptation tacite. Dès lors, un cumul d'actions était envisageable, faute de for partiellement impératif. Encore fallait-il que la prétention pour harcèlement puisse être invoquée au for de l'atteinte à la personnalité ou de l'acte illicite. Certes, le for n'était pas partiellement impératif, puisque la demande émanait de l'employé, mais le litige divisant les parties prenant racine dans les seuls rapports de travail noués par elles, la saisine des tribunaux fribourgeois résultait d'une construction juridique artificielle échafaudée par le recourant, reposant sur la combinaison de la règle touchant le cumul objectif d'actions et celle du concours d'actions, si bien que la compétence des juge fribourgeois n'était pas donnée. Sans trancher définitivement, le Tribunal fédéral privilégie manifestement l'approche fondée sur le caractère prépondérant du litige, approche proposée par Patricia Dietschy dans sa thèse sur les conflits de travail en procédure civile suisse4.
6. CPC et mesures provisionnelles
L'art. 265 CPC prévoit que, en cas d'urgence particulière, le tribunal peut accorder des mesures superprovisionnelles, sans audition préalable de la partie adverse. Dans un tel cas, le tribunal cite en même temps les parties à une audience qui doit avoir lieu sans délai ou impartit à la partie adverse un délai pour se prononcer par écrit. Après avoir entendu la partie adverse, le tribunal statue sur
la requête sans délai. Le Tribunal fédéral a tout d'abord précisé que la règle valait également en cas de rejet de la requête de mesures provisionnelles (TF 4A_242/2011 consid. 1.4, du 13 mai 2011). Dans un arrêt destiné à la publication, il retient désormais qu'un recours devant lui n'est pas ouvert contre un prononcé refusant d'accorder des mesures à titre superprovisonnel (TF 4A_577/2011 du 4 octobre 2011). La solution n'est manifestement pas satisfaisante dans les cas d'extrême urgence pour lesquels seules des mesures superprovisionnelles de l'instance de recours, et le cas échéant du Tribunal fédéral, peuvent sauver la situation. On songe par exemple au refus, à titre superprovisionnel, d'une inscription provisoire d'une hypothèque légale des artisans et des entrepreneurs, alors qu'il ne reste que six jours avant l'inscription selon le recourant et que le juge a fixé l'audience au-delà dudit délai. Le Tribunal fédéral semblait du reste lui-même admettre la recevabilité du recours devant lui et le prononcé de mesures superprovisonnelles dans un tel cas (TF 5P.344/2005 in: RSPC 2006 163).
1 Voir FRANÇOIS BOHNET, Procédure civile suisse: Plaidoyer pour un retour vers le futur, in Le temps et le droit, Neuchâtel 2005, p. 5 ss.
2 BSK ZPO-MAZAN, art. 252 N 9 ss et MARTIN KAUFMANN, DIKE-Komm-ZPO, art. 252 N 13, retiennent l'application de l'art. 220 CPC (demande en procédure ordinaire), par le renvoi de l'art. 219 CPC. Or une «requête» n'est pas une «demande», si bien que le renvoi de l'art. 219 CPC ne trouve pas à s'appliquer.
3 Comp. l'arrêt de principe ATF 102 Ia 96.
4 PATRICIA DIETSCHY, Les conflits de travail en procédure civile suisse, Thèse, Neuchâtel 2010, N. 107. Voir également FRANÇOIS BOHNET, note in RSPC 2011, p. 372.