1. Indemnité du défenseur d’office et reformatio in pejus
C’est une précision utile qu’apporte l’arrêt TF 6B_1362/2021 du 26 janvier 2023, destiné à la publication, où notre Haute Cour se prononce sur la portée de la prohibition de la reformatio in pejus dans le cadre de l’application du CPP en lien avec la fixation de l’indemnité du défenseur d’office (c. 4): s’il n’y a pas eu un appel principal du ministère public sur l’indemnité allouée à l’avocat d’office, l’autorité de recours ne peut pas réduire dite indemnité, sauf à violer le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus. En l’espèce, la Cour cantonale avait réduit l’indemnité d’office du recourant fixée en 1re instance. Après avoir rappelé l’obligation d’accepter les défenses d’office (art. 12 let. g LLCA), le Tribunal fédéral souligne que l’avocat d’office accomplit une tâche étatique lui conférant une prétention de droit public à être rémunéré. Il n’est pas une partie ou un participant à la procédure (cf. art. 104, 105 CPP). Sa qualité pour recourir contre la fixation de son indemnité résulte de l’art. 135 al. 3 CPP, correspondant au recours des art. 393 ss. CPP. Comme pour le plaignant quant à ses conclusions civiles (art. 391 al. 3 CPP), le recours de l’avocat d’office contre la fixation de son indemnité a un caractère purement patrimonial (c. 4.1.4), si bien que s’applique l’interdiction de la reformatio in pejus. Cette solution se justifie d’autant plus en procédure pénale, où le ministère public peut contester en appel l’indemnité d’office. De plus, cette interdiction est violée lorsque l’autorité de recours modifie au détriment du prévenu la décision statuant sur l’indemnité liée à ses frais de défense privée, de sorte qu’il n’y a pas de raison d’adopter une autre solution pour le recours du défenseur d’office.
2. Violation par dol éventuel du secret bancaire par l’avocat
À la même date, le Tribunal fédéral a rendu – à cinq juges et suite à une audience publique – l’arrêt 6B_899/2021, étonnamment non destiné à la publication, qui a reconnu la violation du secret bancaire (art. 47 al. 1 let. c LB) par dol éventuel (art. 12 al. 2, 2e phr. CP) par un avocat. Cette affaire avait déjà donné lieu à l’arrêt 6B_247/2019 du 22 juin 2020. Il s’agissait d’un procès en droit du travail contre une banque, où l’avocat avait produit intégralement un document «US-Exit-Report» remis par son client, ancien employé de cette banque. C’était un document de six pages, dont deux pages contenaient des données couvertes par le secret bancaire (noms des clients, numéros de comptes, soldes). L’avocat, qui n’avait pas lu entièrement le document, pensait que son client avait déjà caviardé ces données. Il avait été acquitté par l’Obergericht zurichois, qui avait retenu un motif justificatif (art. 14 CP), lequel a été nié par le Tribunal fédéral dans l’arrêt précité 6B_247/2019, qui avait renvoyé la cause à l’autorité cantonale. Celle-ci a acquitté à nouveau cet avocat, en retenant qu’il avait agi par négligence (art. 47 al. 2 LB). Le Tribunal fédéral a admis le recours du Ministère public. Suite à l’examen détaillé de l’élément constitutif subjectif (c. 3), il a retenu que l’avocat avait agi par dol éventuel. Sous l’angle de l’élément cognitif, l’avocat avait choisi de ne pas savoir en ne lisant pas intégralement un document qu’il a produit, tenant au moins pour possible qu’il produisait un document contenant de telles données. Quant à l’élément volitif, le fait, pour un avocat, de ne pas lire en entier un document avant de le produire en procédure constitue une violation grave de son devoir de diligence (art. 12 let. a LLCA), d’autant qu’il ne s’agissait que d’un document de six pages dont la lecture intégrale demandait peu d’efforts. La probabilité de la réalisation de l’infraction était connue de l’avocat, qui n’avait pas demandé au client si ces données avaient bien été caviardées, se fiant aveuglément à son mandant pour produire le moyen de preuve, créant ainsi un risque important de violation du secret bancaire. Il ne s’agit pas d’une négligence consciente, mais bien d’une violation par dol éventuel.
3. Violation de l’obligation d’exercer avec soin et diligence
Nous proposons de nous arrêter sur cinq arrêts récents illustrant divers types de manquements d’avocats violant l’art. 12 let. a LLCA.
L’arrêt TF 2C_209/2022 du 22 novembre 2022, rendu à cinq juges, porte sur la production par un avocat, dans le cadre d’une procédure matrimoniale, de pièces que lui avait remises son mandant et que l’épouse de celui-ci avait reçues de son propre avocat. Après avoir confirmé (c. 2) que «la production en justice par un avocat de propos (écrits ou oraux) de nature confidentielle formulés par un confrère» peut constituer une violation de l’obligation de diligence, notre Haute Cour a retenu que les pièces produites en l’espèce étaient bien protégées par l’obligation de confidentialité déduite de l’art. 12 let. a LLCA, même si elles avaient été obtenues licitement par le mari, dont l’épouse avait demandé l’année précédente d’effectuer une sauvegarde informatique de ces pièces. Le Tribunal fédéral a rappelé qu’il est certes possible pour un client de renoncer à la confidentialité protégeant les pièces reçues de son avocat, mais qu’il n’y avait pas eu ici une telle renonciation explicite de l’épouse, l’autorisation de faire une sauvegarde n’impliquant pas que le mari pouvait consulter ces pièces, et encore moins que l’avocat pouvait les produire en justice. Le client avait d’ailleurs lui-même exprimé ses doutes à l’avocat et demandé conseil sur le droit de les utiliser, ce qui aurait dû inciter l’avocat à se renseigner. «En décidant de les produire quand même, le recourant s’est accommodé du risque que ces documents soient protégés par l’obligation de confidentialité déduite de l’art 12 let. a LLCA», ce qui était effectivement le cas, vu l’absence de renonciation expresse de l’épouse à l’obligation de confidentialité protégeant ces documents.
Le deuxième arrêt (TF 2C_868/2022 du 23 février 2023) concerne un avocat qui avait procédé à l’enregistrement d’une séance devant une commission de conciliation, sans y être autorisé ni avertir les personnes présentes. Ce n’est qu’à l’issue de l’audience que la présidente avait remarqué le dictaphone posé sur la table et demandé que l’enregistrement soit effacé par l’avocat, lequel s’était montré surpris, affirmant notamment que c’était sa méthode de travail habituelle. Le Tribunal fédéral a qualifié sa faute de grave (c. 5.2). Le fait d’enregistrer les propos confidentiels (art. 205 CPC) tenus lors d’une audience de conciliation «compromet la confiance nécessaire au bon fonctionnement des institutions judiciaires» et «porte atteinte à la réputation de la profession d’avocat». Le fait que cela n’a pas empêché de trouver un accord n’ôte rien à sa gravité, la condamnation disciplinaire ne présupposant pas que le comportement incriminé ait causé un préjudice. Tenant compte de son absence de prise de conscience et de ses antécédents, l’amende de 10 000 francs a été confirmée.
Dans l’arrêt 2C_712/2021 du 8 novembre 2022, le Tribunal fédéral s’est penché sur des propos d’un avocat tenus dans deux courriers aux autorités genevoises et une écriture, afin de déterminer s’ils violaient l’art. 12 let. a LLCA. Notre Haute Cour a rappelé (c. 7) que tous les moyens ne sont pas permis, même si une «marge d’exagération, voire même de provocation, doit être acceptée». Un comportement inutilement agressif est contraire à l’art. 12 let. a LLCA. L’avocat doit s’abstenir d’attaques personnelles, de propos diffamatoires ou injurieux, sous peine d’«entraver le fonctionnement de la justice et, surtout, mettre en péril la protection efficace des intérêts du client». En l’espèce, le recourant avait affirmé que son confrère «ne pouvait intervenir que dans une perspective que l’on doit définir comme criminelle» et qu’il aurait commis «des manipulations avérées de la justice genevoise», propos constitutifs d’atteintes à l’honneur, non justifiées pour la défense du client, d’autant moins admissibles dans un contexte hors judiciaire. Mettre frontalement en cause l’éthique professionnelle de son confrère constitue «une attaque personnelle manifestement incompatible avec le devoir de l’avocat» de «conserver en tout temps une certaine distance et un comportement professionnel», d’autant plus que ces propos «avaient été adressés sans aucune nuances aux plus hautes instances politiques et judiciaires».
Signalons encore l’arrêt TF 1B_196/2022 du 25 avril 2022, concernant un avocat qui avait annoncé son mandat le 11 mars 2022 et avait requis à la Cour d’appel le report des débats d’appel des 19 et 20 mai 2022, lesquels avaient été fixés le 29 décembre 2021. Le Tribunal fédéral a considéré (c. 3.2) que c’est à juste titre que l’instance cantonale avait appliqué l’art. 12 let. a LLCA: «un avocat ne peut accepter un mandat que s’il est d’emblée en mesure de le traiter de manière satisfaisante et dans les délais». En l’espèce, les débats avaient été fixés depuis plusieurs mois, de sorte que, au vu de ses propres disponibilités, l’avocat ne devait pas accepter ce mandat, même si le recourant était d’accord avec le report d’audience.
Enfin, dans l’arrêt 2C_360/2022 du 5 décembre 2022 concernant un avocat qui avait indiqué contrairement à la vérité qu’il était parti sans donner d’adresse, se soustrayant ainsi à la prise de contact d’un avocat dans un litige civil en rapport avec son activité professionnelle, le Tribunal fédéral a retenu qu’un tel comportement n’était pas compatible avec l’obligation d’exercer avec soin et diligence et souligné l’importance de la fiabilité dans la profession d’avocat (c. 6).
4. Capacité de postuler
Parmi les nombreuses décisions rendues récemment en matière de capacité de postuler, nous nous arrêterons brièvement sur trois problématiques.
Tout d’abord celle d’un grave conflit personnel ou d’une forte inimitié entre un magistrat et un avocat: le Tribunal fédéral a rappelé, dans ses arrêts 5A_124/2022 et 1B_476/2022, qu’il s’agit non seulement d’un motif de récusation du magistrat, mais aussi d’incapacité de postuler de l’avocat, et que le premier d’entre eux qui a œuvré sur le dossier doit rester, le second devant renoncer à s’en saisir. Ces arrêts concernent le même avocat, le premier s’inscrivant dans le cadre de mesures de protection de l’enfant et le second portant sur l’interdiction de postuler de l’avocat dans une procédure pénale. Dans le premier arrêt, le Tribunal fédéral a retenu que de nombreuses procédures avaient été introduites par le président et par le recourant, l’un contre l’autre, soit différentes plaintes pénales déposées mutuellement. Quant à l’argument de l’avocat soutenant qu’il n’avait jamais eu de comportement déplacé envers le président, le Tribunal fédéral affirme qu’il ne s’agit pas d’une condition pour retenir l’existence d’une inimitié. Peu importe qui est à l’origine de l’inimitié, ou si elle est réciproque ou unilatérale, seule compte la question de savoir qui a été saisi du dossier en premier. En l’espèce, c’était bien le président qui était intervenu à une date où la partie n’était pas encore représentée par l’avocat recourant, qui avait d’ailleurs demandé d’emblée la récusation du président. Le recourant, en acceptant ce mandat dans une procédure déjà pendante devant l’APEA et menée par le président, a violé l’art. 12 LLCA, «puisqu’au vu de son inimitié patente envers ce dernier et du conflit les opposant, il existait un risque qu’il ne dispose pas du recul suffisant pour satisfaire à son devoir d’indépendance et qu’il fasse passer son intérêt personnel avant celui de sa cliente». Dans le second arrêt, les fortes tensions personnelles entre l’avocat et le président de l’APEA ont aussi été prises en compte, ainsi que les plaintes pénales déposées mutuellement, la dénonciation du recourant par ce président à la Chambre des avocats, etc. L’instance cantonale pouvait ainsi appliquer mutatis mutandis les considérations de l’arrêt 5A_124/2022 (reprenant la solution de l’arrêt 1B_191/2020). C’est donc à juste titre qu’il a été fait interdiction au recourant de représenter la prévenue.
La question du changement d’étude d’un avocat a été traitée dans de récents arrêts, où notre Haute Cour rappelle sa jurisprudence de l’ATF 145 IV 218 – que nous avions pour notre part saluée, et qui avait été largement commentée et critiquée. Dans l’arrêt 5A_761/2022 du 12 janvier 2023 (c. 3.1.2), le Tribunal fédéral souligne que l’élément déterminant pour retenir un conflit d’intérêts concret est la connaissance par l’avocat collaborateur, du fait de son précédent emploi, d’un dossier traité par son nouvel employeur. Dans un tel cas, le conflit d’intérêts concret doit être évité par la résiliation du mandat par le second employeur, peu importe «les difficultés que le respect de cette exigence découlant des règles professionnelles peut engendrer pour une étude d’une certaine taille». La Cour cantonale n’a ainsi pas fait preuve d’arbitraire en retenant, sans remettre en cause l’intégrité de ces avocats, un risque de collusion du fait que l’un des collaborateurs de l’étude où exerçait actuellement l’avocat du recourant avait travaillé précédemment sur les dossiers des époux, de sorte qu’il était susceptible de connaître des secrets obtenus dans son précédent emploi. Il existait (c. 3.2) un risque concret de pouvoir utiliser, consciemment ou non, des connaissances couvertes par le secret professionnel, d’autant qu’il y avait une connexité entre les procédures civiles et pénales opposant ces époux. De plus, on pouvait admettre raisonnablement que ces affaires avaient forcément marqué l’esprit des avocats qui ont eu à les traiter, les procédures opposant les parties ayant toujours été portées jusqu’aux dernières instances. Même si cette obligation imposée à l’avocat du recourant est sévère, elle se justifie par la bonne administration de la justice et l’intérêt de l’intimée à avoir une défense exempte de conflit d’intérêts, intérêts qui doivent primer le droit du recourant d’être assisté par l’avocat qu’il a choisi. Cette obligation de résilier le mandat garantit aussi au collaborateur de pouvoir concilier ses devoirs découlant à la fois de son contrat de travail et de la LLCA.
Un risque de conflit d’intérêts a en revanche été nié dans l’arrêt TF 5A_407/2021 du 6 mai 2022, où l’intimée n’a fait qu’évoquer un risque purement abstrait de conflit d’intérêts lié au fait que la collaboratrice de l’avocate du recourant, qui avait signé le recours, avait été stagiaire dans l’étude de l’avocat de l’intimée, sans soutenir que cette collaboratrice aurait eu connaissance du dossier pendant son stage (c. 1.2.3).
Sous l’angle procédural, le Tribunal fédéral rappelle régulièrement que la décision en interdiction de postuler revêt un caractère incident, qu’elle peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) au mandant, le privant du droit d’être défendu par l’avocat de son choix, et que l’avocat évincé peut également former un recours immédiat. La décision doit être attaquée par la voie de recours ouverte dans la matière en cause.
Dans l’arrêt 1B_52/2022 du 19 mai 2022, le Tribunal fédéral a répété (c. 2.2) que l’interdiction de postuler porte atteinte à la liberté économique (art. 27 Cst.) de l’avocat. Il avait été ici interdit à un avocat de représenter son client et une SA en liquidation dans une procédure pénale. Contestant la décision d’irrecevabilité de la Cour cantonale, les recourants invoquaient la violation de l’art. 382 CPP et le fait que l’autorité intimée s’était fondée à tort sur l’arrêt 4A_20/2021, pour nier leur intérêt digne de protection actuel et pratique à recourir. Le Tribunal fédéral a considéré que les recourants, en tant que parties plaignantes, ont bien un intérêt à être assistés de manière adéquate. La décision déniant la capacité de postuler de leur avocat implique qu’ils ne peuvent plus «être représentés par la personne de leur choix respectant à leur sens les critères légaux, composante de leur droit à un procès équitable (art. 6 ch. 3 let. c CEDH) et de leur droit d’être entendus». Cette décision «vient péjorer leur position, respectivement entraver leurs droits de parties, tant que dure la procédure pénale. (…) Certes, le procès s’est en l’espèce poursuivi, à la demande des recourants, sans le mandataire éconduit; en outre, la procédure d’appel actuellement pendante se déroule avec l’intervention d’une autre mandataire désignée par A. SA en liquidation, le recourant B. ayant agi seul». Cela ne permet toutefois pas de nier leur intérêt actuel à recourir contre l’ordonnance litigieuse. «Cette décision a en effet toujours des répercussions directes et concrètes sur les recourants; l’admission de leur recours contre cette ordonnance permettrait en outre à Me C de reprendre les rênes de cette défense, dans le cadre de la procédure d’appel pendante». Sa renonciation «avait pour but d’éviter de retarder, voire de paralyser la procédure pénale, dès lors que le principe de célérité revêt une importance particulière en matière pénale, à la différence de l’affaire civile traitée dans l’arrêt 4A_20/2021». Le Tribunal fédéral a conclu que l’autorité précédente avait violé l’art. 382 al. 1 CPP.
Lorsque la décision incidente rejette l’exception de l’interdiction de postuler et permet à l’avocat de poursuivre la représentation de la partie, le Tribunal fédéral retient que les inconvénients pour la partie adverse d’une telle décision «sont purement matériels et dépourvus de caractère juridique», de sorte qu’elle ne peut, en principe, causer un préjudice irréparable.
5. Secret professionnel et recouvrement d’honoraires
Dans l’arrêt 2C_1045/2021 du 29 avril 2022, le Tribunal fédéral résume les éléments à prendre en compte dans le cadre du recouvrement de ses honoraires par l’avocat en lien avec la levée de son secret professionnel, étant précisé que le recours en matière de droit public est ouvert contre les décisions portant sur cette levée. Après avoir rappelé (c. 4.1) que l’avocat doit obtenir préalablement la levée du secret pour procéder en justice en vue du paiement de ses honoraires et que si son client la refuse, cette levée doit être décidée par l’autorité de surveillance (art. 321 ch. 2 CP), le Tribunal fédéral précise la portée de la levée du secret professionnel, qui ne porte que sur les éléments strictement nécessaires à la procédure en lien avec ce recouvrement, sans conséquence matérielle et ne préjugeant pas d’un procès civil ultérieur (c. 4.2). Elle implique une pesée de l’ensemble des intérêts en présence (c. 4.3): l’intérêt digne de protection de l’avocat à la levée du secret; l’intérêt institutionnel au maintien de la confidentialité et l’intérêt individuel du mandant. Quant à l’intérêt du client à s’opposer à la levée, le Tribunal fédéral précise que sa mise en évidence «ne doit pas être soumise à des exigences excessivement élevées car la protection conférée par l’art. 321 ch. 1 CP serait éludée par une véritable obligation d’alléguer et de prouver». Par ailleurs, dans cette pesée, il faut tenir compte du fait que l’avocat peut, voire doit (cf. art. 12 let. b LLCA) demander une provision. Sauf dans les cas où il est d’emblée exclu de réclamer une provision (p. ex. conseil d’office), l’avocat doit démontrer pourquoi il ne lui était pas possible de faire couvrir les coûts prévisibles par le versement d’une provision. Un acompte perçu sera traité de la même manière, «car il s’agit de savoir, dans le cadre de la pesée des intérêts si l’avocat a fait des efforts pour recouvrer les honoraires pendant l’exécution du mandat ou s’il est resté totalement inactif».
En l’espèce, le recourant avait mandaté en 2015 l’étude des intimés dans le cadre d’un arbitrage impliquant un État étranger. Une convention relative aux honoraires avait été conclue le 20 février 2020 et un échéancier de paiement concédé au recourant quant au paiement de 600 000 francs d’honoraires. Une clause de confidentialité était notamment prévue. En exécution de la convention, le recourant avait payé deux acomptes de 8500 francs chacun, puis il a interrompu les paiements. Le Tribunal fédéral a retenu que l’intérêt des avocats à la levée de leur secret professionnel doit ici l’emporter (c. 4.4). Certes, l’autorité intimée n’a pas examiné le contexte global dans lequel s’inscrivait la convention du 20 février 2020 et les honoraires de 600 000 francs en découlant, mais cinq notes d’honoraires avaient été adressées au recourant entre le 13 août 2018 et le 22 octobre 2019, qui les a partiellement payées. Les avocats n’ont ainsi pas attendu la fin de leur mandat pour facturer leurs honoraires, «ce qui aurait plaidé en défaveur de la levée de leur secret professionnel». Le Tribunal fédéral rejette l’argument du recourant invoquant la négligence des intimés dans l’exécution de leur mandat, cette critique relevant de la procédure au fond, et conclut à l’absence de violation de l’art. 13 LLCA.
6. Propos attentatoires à l’honneur tenus par un client à son avocat?
Même s’il ne s’agit pas d’un cas d’application de la LLCA, il n’est pas sans intérêt de signaler ici l’arrêt publié ATF 148 IV 409, qui fort heureusement reconnaît à l’avocat son statut particulier de «confident» ou de «tiers privilégié», d’autant plus que le Tribunal fédéral s’était montré particulièrement strict précédemment dans ce même complexe de faits (ATF 145 IV 462 c. 4.3.3), où il avait nié ce statut dans le cadre des infractions des art. 173 et 174 CP.
Dans ce nouvel arrêt, notre Haute Cour retient que l’avocat a bien un statut particulier le distinguant de n’importe quel tiers. La qualification d’atteinte à l’honneur doit dès lors être admise avec retenue lorsqu’il s’agit de propos tenus par un client à l’attention de son avocat. Le Tribunal fédéral affirme (c. 2.3.3) que, dès lors, de tels propos ne doivent pas être appréciés de la même manière que des déclarations exprimées à n’importe quel tiers. «Il ne saurait être fait abstraction du contexte particulier dans lequel s’inscrit un entretien entre un avocat et son client», et que, par la nature de ses activités de conseil juridique et par le secret professionnel auquel il est soumis, «l’avocat assure à son client un climat de confiance qui leur permet de communiquer d’une manière libre et spontanée, le client pouvant ainsi se livrer en faisant part de sa version des faits, mais également de ses émotions, de son ressenti et de ses opinions. Le client est d’ailleurs bien souvent en conflit avec la personne objet des déclarations litigieuses et se trouve alors animé par une certaine passion». Ses paroles «peuvent parfois dépasser sa pensée, tout comme une forme d’exagération est à cet égard prévisible, ce dont l’avocat, destinataire de ces propos, est parfaitement conscient». Ce contexte particulier justifie de ne retenir l’atteinte à l’honneur qu’avec retenue, p. ex. quand les propos litigieux n’ont pas de lien avec l’affaire et «qu’ils ne tendent en définitive qu’à exposer la personne visée au mépris». En l’espèce, la Cour cantonale s’est fondée (c. 2.5) sur une lettre de l’avocat qui y employait le conditionnel et usait de diverses réserves («s’il était avéré»; «on doit dès lors craindre»), et s’adressait au seul intimé (c. 2.7). Pour le Tribunal fédéral, il est concevable qu’au moment de relater à son avocat son différend avec l’intimée, «le recourant, pris d’agacement, avait exposé une version des faits empreinte d’exagération». Il ne saurait lui être reproché de l’avoir évoqué «oralement à son conseil au moment précis de l’entretien, les actes reprochés à l’intimé étant bien intervenus dans le contexte de son litige.» En conclusion, les éléments constitutifs de la diffamation n’étaient ici pas réunis. ❙
1 Les arrêts traités ont été rendus depuis le 1.4.2022 et rendus accessibles en ligne jusqu’au 31.3.2023.
2 TF 6B_1320/2021 du 16.6.2022 c. 2.1.2; ATF 143 IV 40 c. 3.2.2.
3 ATF 139 IV 199 c. 2, 4; TF 6B_1314/2016 du 10.10.2018 c. 1.4.3.
4 P. ex. TF 6B_478/2015 du 12.2.2016 c. 1.4.
5 Sur cet arrêt, p. ex. Fabio Burgener, L’avocat peut-il produire un document soumis au secret? 17.7.2020, cdbf.ch/1143/
6 L’avocat n’avait pas non plus tenu compte des règles du CPC en la matière (cf. art. 160 al. 1 let. b, 163 al. 2 CPC).
7 ATF 144 II 473 c. 4.6.
8 Cf. p. ex. ATF 131 IV 154: TF 2C_243/2020 du 25.6.2020 c. 3.5.1; 2C_307/2019 du 8.1.2020 c. 7.
9 Cf. TF 6B_1254/2019, 6B_1290/2019, 6B_1296/2019, 6B_1297/2019 du 16.3.2020.
10 Cf. TF 1B_191/2020 du 26.8.2020, commenté par Tano Barth, Fabio Burgener, Tensions entre avocats et magistrats: récusation du magistrat ou incapacité de postuler de l’avocat?, Revue de l’avocat 11-12/2020, p. 487 ss.
11 Du 26.4.2022 c. 4.1.2.
12 Du 6.12.2022 c. 2.2.2. Cet arrêt souligne (c. 2.2.1) qu’il en va de même en cas de conflit personnel d’une certaine importance avec un confrère, lorsque l’avocat sait qu’il ne pourra remplir le mandat en toute indépendance; un tel conflit a été nié dans l’arrêt TF 5A_455/2022 du 9.11.2022 c. 1.4.
13 TF 5A_124/2022 du 26.4.2022 c. 4.2.2.
14 TF 1B_476/2022 du 6.12.2022 c. 2.3, 2.4.
15 Cf. Mercedes Novier, Jurisprudence choisie en droit de la profession d’avocat, plaidoyer 5/2019, pp. 34-35.
16 P. ex. Benoît Chappuis, ATF 145 IV 218: changement d’étude et conflits d’intérêts, Réflexions sur la liberté économique de l’avocat-collaborateur, Revue de l’avocat, 11-12/2019, p. 511 ss.; Arnaud Nussbaumer, Le conflit d’intérêts en cas de changement d’étude d’un collaborateur, lawinside.ch/739/ du 18.4.2019.
17 Commenté par Quentin Cuendet, Changement d’étude: pas de conflit d’intérêts sans connaissance effective du dossier, lawinside.ch/1206/ du 8.7.2022. Cf. aussi les critiques de Saverio Lembo, Adrien Schneeberger, Changement d’étude et conflit d’intérêts: le Tribunal fédéral rate une occasion de corriger le tir, Revue de l’avocat 1/2023, p. 28 ss., qui proposent diverses solutions (spéc. p. 33), que nous ne pouvons commenter ici faute de place.
18 P. ex. TF 5A_761/2022 du 12.1.2023 c. 1; 5A_311/2022, 5A_437/2022 du 9.11.2022 c. 2; 4A_25/2022 c. 4.
19 P. ex. TF 5A_761/2022 du 12.1.2023 c. 1.2. L’arrêt 5A_407/2021 du 6.5.2022 c. 1.2.1, se référant à l’ATF 147 III 351 c. 6, précise aussi que la capacité de postuler de l’avocat est une condition de recevabilité de l’art. 59 CPC et, dans les procédures soumises à la LTF, une condition de recevabilité de l’art. 42 LTF.
20 Cf. l’analyse critique des critères retenus par la jurisprudence par Benoît Mauron, Interdiction de postuler et liberté économique de l’avocat, Revue de l’avocat 10/2022, p. 439 ss.
21 Cf. aussi TF 1B_209/2019 du 19.9.2019 c. 2.2.
22 TF 5A_536/2021 du 8.9.2021 c. 4.1.1 in fine.
23 TF 5A_311/2022, 5A_437/2022 du 9.11.2022 c. 2.2.2 et réf. citées.
24 Sur cette question, cf. François Bohnet, Luca Melcarne, La levée du secret professionnel de l’avocat en vue du recouvrement de ses créances d’honoraires, SJ 2020 II 29.
25 Art. 82 let. a et 83 a contrario LTF.
26 P. ex. TF 2C_101/2019 du 18.2.2019 c. 4.1.
27 ATF 142 II 307 c. 4.3, TF 2C_101/2019 du 18.2.2019; 2C_8/2019 du 1.2.2019 c. 2.
28 ATF 142 II 307 c. 4.3.3.
29 TF 6B_1287/2021 du 31.8.2022. Sur cet arrêt: Bohnet, Melcarne, Le client peut-il diffamer en se confiant à son avocat? La notion de confident nécessaire selon le Tribunal fédéral (ATF 145 IV 462), RSJ 116/2020, p. 363 ss.
30 Décision saluée par Ryan Gauderon, Diffamation (art. 173 ch. 1 CP): l’avocat n’est pas «n’importe quel tiers» lorsque son client lui confie des propos attentatoires à l’honneur de la partie adverse, crimen.ch/147/ du 28.10.2022.