Les avocats se sont longtemps unis sous la forme de sociétés simples ou collectives. Ils sont désormais toujours plus nombreux à opter pour une société par actions ou une société à responsabilité limitée. Ainsi, le registre du commerce zurichois n’en compte pas moins de 180.
Cette évolution remonte au 7 septembre 2012. Plus précisément, à l’ATF 138 II 440 (JdT 2013 I 135), dans lequel le Tribunal fédéral a retenu que les avocats employés d’une SA ou d’une Sàrl pouvaient aussi s’inscrire au registre professionnel. Il n’avait, cependant, pas tranché la question suivante: une organisation interprofessionnelle, qui réunirait des avocats, inscrits et non-inscrits au registre, ainsi que d’autres professionnels, serait-elle conforme à l’article 8 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats (indépendance institutionnelle)? La Commission de surveillance des avocats du canton de Zurich avait, pour sa part, déjà répondu par l’affirmative en 2006.
Selon la pratique zurichoise, les statuts et le règlement d’organisation d’une SA d’avocats doivent être conçus de manière à ce que les buts accessoires servent l’objectif principal, à savoir la prestation de services juridiques. Les décisions concernant les affaires et les élections ne peuvent être prises, tant à l’assemblée générale qu’au conseil d’administration, que si les avocats inscrits au registre disposent de la majorité des voix. En outre, seul un avocat inscrit au registre peut être élu au poste de président ou de vice-président du conseil d’administration. Ces préceptes, les commissions de surveillance des cantons de Bâle, Berne, Lucerne, du Tessin et de Vaud les avaient aussi adoptés. Mais retournons au niveau fédéral.
Dans son arrêt du 15 décembre 2017 (TF 2C_1054/2016, 2C_1059/2016), le TF a finalement clarifié la question de l’admissibilité de la multidisciplinarité. Il l’a tout simplement rejetée, confirmant ainsi une décision de la commission de surveillance des avocats genevois, selon laquelle tous les actionnaires d’une société d’avocats doivent être inscrits à un registre professionnel cantonal (ATF 144 II 147). Il s’agissait en l’occurrence du cabinet d’avocats zurichois Walder Wyss AG, qui voulait ouvrir une succursale à Genève. L’un des associés, expert fiscal, n’était inscrit à aucun registre cantonal d’avocats. Raison pour laquelle la Cour de justice genevoise a refusé l’ouverture de la filiale au bout du lac Léman.
Garantir le secret professionnel
Selon le TF, l’inscription à un registre des avocats est soumise à la condition que l’avocat exerce son activité de manière indépendante. Si son employeur est une personne morale, l’indépendance n’est assurée qu’à une condition: que l’actionnariat et le conseil d’administration soient composés exclusivement d’avocats inscrits dans un registre cantonal, et donc soumis aux règles professionnelles ainsi qu’à la surveillance disciplinaire. Dans le cas contraire, les avocats salariés ne sont pas considérés comme étant en mesure d’exercer leur profession en toute indépendance au sens de l’article 8 LLCA. Le TF a donc estimé que l’appartenance d’un expert fiscal au conseil d’administration d’une société était susceptible de mettre en péril le secret professionnel de l’avocat. Une décision conforme au texte légal et à la suite de laquelle le cabinet Walder Wyss a revu ses statuts. Tous ses actionnaires sont désormais inscrits au registre professionnel.
Cette décision a d’ailleurs poussé plusieurs cantons à revoir leur pratique. Ainsi, dans les cantons de Vaud, d’Argovie, de Bâle-Ville, des Grisons, de Lucerne et de Soleure, tous les associés d’une étude, qu’ils soient actionnaires, membres du conseil d’administration ou avocats salariés, doivent désormais être inscrits au registre professionnel. Certains cantons n’ont à l’inverse pas cillé. Zurich s’y oppose même délibérément. En mai 2018, la commission de surveillance zurichoise a décidé qu’il suffisait que 75% des avocats d’une société soient inscrits au registre professionnel pour que les avocats salariés le soient également. Deux avocats avaient en l’occurrence demandé à être inscrits. La commission a estimé que les documents présentés relevaient d’une structure et d’une organisation qui garantissaient l’indépendance institutionnelle des avocats salariés.
Prouver son indépendance
Le juge Beat Gut a participé à cette décision. Il rappelle que, selon la LLCA, les avocats qui souhaitent être inscrits au registre professionnel, doivent prouver qu’ils peuvent exercer leur profession en toute indépendance. Les avocats employés par une SA ou une Sàrl sont notamment tenus de démontrer que l’entreprise n’est pas en mesure de leur imposer une réglementation susceptible de nuire à leur indépendance. «Nous examinons les entreprises concernées, afin d’écarter toute possibilité d’influence indue.» Pour ce faire, ils passent en revue les statuts, les règlements ainsi que les conventions d’actionnaires.
Avocat lui-même, Stephan Zimmer a fondé la première société d’avocats à Lucerne. Il ne voit pas d’un bon œil toutes ces différences de pratique cantonales: «C’est intenable à long terme.» Il appelle à une uniformisation, que cela implique une adaptation de la part du TF ou des cantons dissidents.
Professeur de droit privé à l’Université de Lucerne, Walter Fellmann se montre plus critique envers le TF: «Son arrêt du 15 décembre 2017 torpille le développement des formes juridiques de collaboration entre avocats.» Selon lui, cette décision laisserait même penser que la plus haute instance du pays n’est plus en phase avec les «exigences de vie» des avocats modernes. Car le professeur en est persuadé: «La demande de services multidisciplinaires ne fait qu’augmenter.» Pour survivre aux côtés des banques, des compagnies d’assurances et des fiduciaires, les cabinets d’avocats doivent être capables d’attirer les meilleures personnes. Voilà pourquoi Walter Fellmann ne voit «aucune raison juridique convaincante au nom de laquelle les avocats employés par un cabinet multidisciplinaire ne devraient pas être inscrits au registre professionnel».
Faute d’unanimité au sein de son comité, la Fédération suisse des avocats (FSA) préfère ne pas se prononcer sur ces différences de pratiques cantonales.
De leur côté, les Juristes démocrates de Suisse (JDS) partagent l’avis du TF. Preuve en est, leur prise de position, en 2014, sur le projet de loi de la FSA concernant la profession d’avocat. Ils soutenaient clairement que «seuls les avocats inscrits devraient être impliqués dans un cabinet d’avocats».