Comment un avocat choisit-il son assurance RC, qui couvrira les conséquences financières d’un dommage causé à ses clients dans la conduite de ses mandats? Bien souvent, ce sont les bons contacts entretenus avec des courtiers dans le cadre d’autres assurances professionnelles ou privées qui motiveront la souscription de ce contrat et non la comparaison des conditions des assureurs, qui peut se révéler ardue. L’art. 12 let. f LLCA impose désormais à chaque avocat d’être assuré pour une somme couvrant des événements dommageables s’élevant au minimum à un million de francs pour une année.
Nous avons soumis le cas de figure suivant à différents acteurs présents sur le marché pour comparer leurs offres: il s’agissait d’assurer en RC professionnelle une étude de trois avocats généralistes, d’un stagiaire et d’un secrétaire, tous à 100%, sans notariat ni assurance complémentaire, avec la franchise la plus faible1. Il faut relever que certains produits offerts n’étaient qu’une variante de la RC professionnelle générale et n’étaient pas particulièrement taillés pour le cas des avocats. Dans deux cas, il a fallu, en outre, attirer l’attention des assureurs sur la nécessité d’assurer l’étude pour trois millions au moins (obligation légale), vu la présence de trois avocats.
Grosses différences de primes
L’offre la plus avantageuse est celle d’AXA Winterthur: une prime de 3466 fr. pour un dommage économique assuré de 3 millions, avec 10% de franchise jusqu’à un maximum de 50 000 fr2. D’autres assurances, comme celle recommandée par la FSA et s’adressant uniquement à ses membres (SwisslawyersRISK, qui est un produit de l’assureur Lloyds), proposent des franchises fixes: pour une franchise de 2500 fr., la prime sera de 4036 fr.3 dans notre cas de figure. Vaudoise Assurances nous a proposé l’offre la plus détaillée; elle prévoit aussi une franchise de 10% du dommage économique jusqu’à un maximum de 50 000 fr. et une prime de 3973.90 fr., plus le timbre fédéral, soit, au total, 4172.60 fr. dans notre exemple (un rabais de 10% est inclus pour les membres de l’Ordre des avocats vaudois). L’offre de Zurich Assurance est proposée quasiment au même prix (4200 fr., avec une franchise s’élevant à 10% de l’indemnité accordée). Enfin, l’offre la plus chère de notre panel est celle d’Helvetia: 6036. 30 fr., droit de timbre fédéral en sus avec une franchise de 5% du sinistre (maximum 2000 fr.). Cette assurance est la plus transparente s’agissant du nombre de polices pour avocats qu’elle détient avec dommages économiques (85) et de son nombre de sinistres par année (cinq en moyenne de 2005 à 2015). La palme de l’obscurité revient, en revanche, à la Bâloise qui a refusé toute information, y compris sur la prime dans ce cas, au motif que «les primes sont chaque fois très individuelles et dépendent de différents aspects».
Faute grave assurée en sus
Parmi les conditions communes à la plupart des assurances examinées, le fait que le secrétaire et le juriste non titulaire d’un brevet d’avocat soient, la plupart du temps, assurés sans supplément dans la prime calculée. La plupart incluent la renonciation au recours en cas de faute grave (Vaudoise, SwisslayersRISK, AXA Winterthur), mais elle fait pour certaines assurances l’objet d’une couverture supplémentaire (Zurich) ou n’est pas prévue (Helvetia).
La politique en cas de sinistre est également importante. Il peut en effet arriver que certaines assurances, dans le cas d’un dommage pourtant contesté par l’assuré (en l’occurrence, il s’agissait d’une faute relative à l’inscription d’une hypothèque légale des artisans et entrepreneurs dont l’avocat n’était pas responsable, mais le conservateur du Registre foncier), dédommagent le plaignant sans que l’avocat soit d’accord. Un tel cas a été relaté par nos confrères de plädoyer impliquant la RC de la compagnie Allianz (5/16, «Haftpflichtleistungen ohne Rücksprache» et 6/16, «Allianz: Auszahlung an Nichtgeschädigten»). Dans les conditions générales (CG) de cette assurance figurait en effet le fait que «la société conduit les négociations avec le lésé en tant que représentante de l’assuré». Cependant, le porte-parole de l’entreprise Bernd de Wall, sans vouloir s’exprimer sur le cas précis, affirmait que la pratique était «de prendre toujours l’avis de l’assuré préalablement au paiement», même si elle n’était pas expressément prévue par les CG. Bâloise fait la même réponse.
Avis de l’assuré
AXA-Winterthur, Helvetia et Zurich Assurance affirment également qu’elles ne paieraient pas de dommages sans en discuter préalablement avec l’avocat assuré. Cependant, là encore, les conditions générales de ces sociétés ne le précisent pas. La Zurich «représente l’assuré vis-à-vis du lésé». AXA et Zurich Assurance prévoient aussi dans leurs CG qu’elles «conduisent les pourparlers avec le lésé comme représentante de l’assuré»; AXA précise en outre que «son règlement des prétentions du lésé lie l’assuré».
Il en va différemment des CG de SwisslawyersRisk, dont l’article 12.2 précise qu’elle ne règle pas de sinistre sans se concerter avec l’assuré. En outre, l’assuré a le droit de choisir un avocat de son choix, en accord avec le préposé au règlement du sinistre. «Cette procédure est unique et seulement offerte par notre compagnie. D’autres assurances RC avocats n’agissent pas ainsi», déclare Pierre-André Luder, chargé de ce produit auprès de Risk Management Service SA à Bâle.
Devoir d’information
Mais comment le client lésé apprend-il auprès de quelle assurance RC il doit exercer ses prétentions? Selon un arrêt très ancien du TF du 9 octobre 1926, on pourrait déduire du gage légal du tiers lésé, prévu par l’art. 60 LCA dans le cas d’une assurance responsabilité civile, un droit d’information de ce lésé sur le contenu de la protection d’assurance de l’avocat. Certaines autorités de surveillance des avocats, comme la Chambre des avocats de Berne, livrent en conséquence cette information. En Suisse romande, le Service de la justice fribourgeois ne communiquerait pas cette information au lésé sans l’avis de la Commission du barreau à ce sujet. Dans les cantons de Vaud et de Genève, aucune demande dans ce sens n’a, à ce jour, été soumise à la Chambre des avocats ni à la Commission du barreau.
Faire respecter le droit de gage
A Neuchâtel, le bâtonnier Georges Schaller suit un raisonnement proche de celui de la Chambre des avocats de Berne: «Si ce client lésé peut apporter des indices qu’une faute dommageable a été commise par un avocat membre, le Conseil de l’Ordre des avocats neuchâtelois exigerait de ce dernier qu’il lui transmette le nom de cette compagnie. Si le membre ne s’exécutait pas, il pourrait se voir alors infliger une sanction disciplinaire, à titre associatif. Au surplus, en tout état de cause, le Conseil ferait savoir au client prétendument lésé qu’il peut s’adresser à l’Autorité étatique de surveillance des avocats soit à Neuchâtel, l’Autorité judiciaire de surveillance des avocats qui, à mon sens, devrait lui communiquer le nom de cette compagnie d’assurances RC, cette faculté étant la seule susceptible de faire respecter l’art. 60 LCA.»
La discussion sur l’existence d’un devoir d’information portant sur la RC de l’avocat va sans doute bientôt prendre fin. En effet, le Conseil fédéral a présenté, en juillet dernier, une proposition de révision partielle de la LCA. Elle prévoit l’introduction d’un nouvel article 60a qui ancrerait ce devoir d’information dans la loi. Certains auteurs, parmi lesquels le professeur à l’Université de Bâle Stephan Fuhrer, ont critiqué le fait que ce devoir ne s’adresse qu’à l’assuré, et non à l’assureur qui n’aura pas d’obligation de détailler l’étendue de la couverture en cas de sinistre.
«Une activité mal comprise»
«Les assureurs comprennent généralement mal l’activité spécifique de l’avocat», constate Guillaume Etier, avocat à Genève et spécialiste de la RC. Par conséquent, les contrats de RC qui leur sont proposés, souvent dérivés des contrats de RC professionnelle conçus pour des entreprises générales, ne sont pas toujours adaptés aux besoins de la profession: «Par exemple, le premier risque assuré, et pour la somme la plus importante, est les lésions corporelles ainsi que les dégâts matériels. Or, l’avocat est plus intéressé par la couverture du pur risque professionnel.»
L’avocat et professeur Benoît Chappuis relève quant à lui, le nombre restreint de compagnies d’assurances proposant la RC d’avocats sur le marché suisse et les possibilités limitées de choix pour l’assuré, ainsi que la similitude de clauses entre assureurs. Il revient à ce dernier de choisir la stratégie qu’il entend suivre pour régler le sinistre, ce qui entraîne le risque de conflits d’intérêts avec l’assuré. Dès lors, Benoît Chappuis souhaite l’extension des principes énoncés à l’art. 167 ss OS (liberté de choix du mandataire lors de conflits d’intérêts) à la RC professionnelle.
Alexandre Guyaz, spécialiste de la RC basé à Lausanne, doute de cette solution: «Les conflits d’intérêts potentiels de nature stratégique concernant l’ampleur du dédommagement à verser n’entrent justement pas dans ceux qui sont couverts par l’art. 167 OS, donc cela ne réglerait pas le problème.» Il souligne un autre point: «A mon avis, la couverture minimale légale d’un million est insuffisante, hors cas de début d’activité. Il faut souvent compléter la couverture proposée, par exemple pour y inclure les prétentions récursoires des assurances sociales ou pour préciser la définition de la faute grave.» Le bâtonnier neuchâtelois Georges Schaller rappelle que la FSA avait défendu l’idée d’une couverture minimale de deux millions, et même estimé que cinq millions seraient souhaitable. Mais le Parlement en a décidé autrement.
1L’étude était basée à Lausanne, il s’agissait d’un début d’activité et les avocats étaient membres de la Fédération suisse des avocats et de l’Ordre des avocats vaudois.
2AXA prévoit un rabais de 10% pour les membres de la FSA ou d’un Ordre cantonal des avocats.
3Mais elle peut se réduire à 2925 fr. dans le cas d’une franchise de 20 000 fr.