Bonne nouvelle pour les stagiaires qui rêvent de plaider, mais sont cantonnés aux recherches juridiques. La future loi vaudoise sur la profession d’avocat devrait améliorer leurs conditions de formation. Premier progrès, tous les stagiaires du canton devront bénéficier d’un contrat de travail écrit, qui n’est pas obligatoire pour l’instant. Se considérant comme chanceuse d’en avoir un, Joëlle Caffaro reconnaît que ce fait est paradoxal pour des personnes chargées de défendre la justice. «Les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés.» Comme première secrétaire de la Conférence du stage qui réunit régulièrement les stagiaires vaudois, elle voit le projet d’un bon œil. Le gouvernement prévoit un contrat-type de travail et la possibilité d’introduire des règles de rémunération si avocats et stagiaires ne s’entendent pas. Une disposition qui fait bondir l’Ordre des avocats vaudois (OAV). «Il n’y a aucune raison que le Conseil d’Etat intervienne dans des relations de droit privé», critique le Bâtonnier Elie Elkaim. D’autant qu’il existe déjà des recommandations prévoyant un revenu minimum de 2500 fr. net par mois.
Contrarié sur ce point, l’OAV n’en est pas moins à l’origine du projet adopté ce printemps par le Conseil d’Etat. La réforme doit répondre à l’explosion de la demande. «En 10 à 12 ans, on est passé de 60 à 160 stagiaires, le nombre d’avocats a augmenté aussi, mais pas dans de telles proportions, ce qui pose des problèmes d’encadrement. La qualité de la formation varie trop d’une étude à l’autre», déplore le Bâtonnier. Pour y remédier, l’OAV mise sur la Chambre du stage. Ce nouvel organe, inconnu dans les autres cantons, surveillera et pourra intervenir sur les conditions de stage. Il réunira le Bâtonnier, trois avocats et un juge cantonal. La présence d’un stagiaire n’est pas prévue explicitement à ce stade.
La garantie de la qualité passe aussi par de nouvelles exigences posées aux partenaires de formation. Le maître de stage devra avoir au minimum sept ans de pratique du barreau au lieu de cinq et ne pourra être responsable que d’un stagiaire à la fois. Il devra veiller à ce que ce dernier puisse, notamment, rédiger des actes de procédure, recevoir des clients et plaider ainsi que lui laisser le temps de participer aux cours. Le stagiaire pourra être obligé d’en suivre certains et ne pourra plus traîner. A l’issue de son stage, il n’aura que deux ans pour se présenter aux examens d’avocat et ne pourra retenter sa chance qu’une fois. «Cela stresse certains», mais ne changera pas par rapport à l’Université et il y a statistiquement peu de personnes qui décrochent leur brevet à la troisième tentative, relève Joëlle Caffaro. Le projet introduit, au passage, la possibilité de sanctionner les tricheurs, ce que la loi actuelle ne permet pas.
Plaidoirie réintroduite
L’examen sera réformé sur le fond. Le nombre d’épreuves écrites sera ramené à deux et l’oral remis à l’honneur avec la réintroduction d’une plaidoirie en plus de la résolution d’un cas sous la forme d’un entretien avec un client. Il faut asseoir ce qui fait l’identité de l’avocat, explique le Bâtonnier vaudois. Outre la déontologie et la représentation en justice, «la dimension de l’immédiateté est très importante», juge Elie Elkaim.
Les problèmes logistiques qui obligent parfois une poignée de stagiaires à patienter jusqu’à la session suivante pour passer leurs examens devraient, quant à eux, être résolus grâce à une nouvelle désignation de la Commission d’examen. Le Tribunal cantonal nommera pour deux ans un nombre suffisant de personnes susceptibles de fonctionner dans l’organe. But de l’opération: pouvoir doubler la capacité d’accueil à 160 candidats par an.
Temps partiel
A la demande de l’Association des avocates à la barre, le Conseil d’Etat prévoit en outre le stage à temps partiel, mais pas à moins de 70% et seulement avec le feu vert du Tribunal cantonal. Pour le Bâtonnier vaudois, «c’est une fausse bonne idée». Pas mal de candidats seront tentés d’accepter, mais leur stage sera allongé d’autant avec une rémunération insuffisante pour une charge de travail qui ne diminuera pas. La profession n’a pas attendu cette possibilité pour se féminiser. Même si moins d’un avocat vaudois sur deux est une femme, le nombre de ces dernières ne cesse d’augmenter et, parmi les stagiaires, leur effectif dépasse désormais de 40% celui des hommes, confirment les statistiques de l’Ordre judiciaire. Si l’on se réfère aux expériences genevoise et neuchâteloise, les formations à temps partiel devraient de toute façon rester rarissimes. «Certains maîtres de stage sont tout à fait ouverts et j’ai entendu parler d’une autorisation déjà donnée en terres vaudoises, mais pour une juriste fiscaliste désireuse de ne pas lâcher son emploi initial. Quel que soit le taux d’activité, le stage restera toujours assez astreignant», note Joëlle Caffaro.
Une chose est sûre, les tours de vis prévus n’atténueront pas la pénurie de places de stage. L’OAV ne tient pas à continuer d’accroître l’offre. Seuls 30 à 35% des anciens stagiaires restent au barreau, argumente Elie Elkaim. «La profession doit cesser d’organiser la formation d’autres corps de métier. D’autant qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un brevet d’avocat pour travailler comme juriste dans le secteur de la compliance bancaire ou de la protection juridique.»
Transparence
L’OAV aimerait aussi se défendre plus efficacement contre la concurrence grandissante des officines de conseils juridiques tenues par des avocats non membres d’un barreau. Il proposait de réserver le titre d’avocat aux seuls inscrits à un registre cantonal. Estimant que c’est incompatible avec le droit fédéral, le Conseil d’Etat a retenu une autre solution. Sous peine d’une amende pouvant aller jusqu’à 10 000 fr., toute personne non inscrite à un registre ne pourra offrir ses services au public en faisant croire qu’elle est soumise aux mêmes obligations que les avocats inscrits, en particulier en matière de secret professionnel. Le public devrait ainsi être protégé contre les abus trop flagrants. Le dernier mot n’est toutefois pas encore dit. Même si le Grand Conseil fixe le sort du projet l’an prochain, le débat pourrait rebondir sous la Coupole à Berne. En mars, le Parlement a chargé le Conseil fédéral de préparer une loi fédérale réglant tous les aspects de la profession d’avocat. Le suspense va durer.