Les sanctions disciplinaires touchant les avocats sont des mesures de type administratif prononcées par l’autorité que désigne le droit cantonal, selon l’art. 14 LLCA1. Schématiquement, on connaît, en Suisse romande, le modèle où les avocats sont majoritaires (100% dans la Chambre des avocats jurassiens, quatre membres sur cinq dans la Chambre de surveillance des avocats valaisans, cinq membres ordinaires sur neuf à la Commission du barreau genevoise et quatre membres sur cinq à la Chambre des avocats vaudois), celui où les magistrats l’emportent (trois membres ordinaires sur sept dans la Commission du barreau fribourgeoise) et celui où l’on a tenté d’équilibrer le nombre de juges, d’avocats et de représentants du service juridique de l’Etat (Neuchâtel).
Les cas les plus fréquents (et les plus graves jugés par le Tribunal fédéral) concernent, en Suisse romande, le canton de Genève. Dans une affaire jugée en 20052, cette instance a confirmé une interdiction définitive de pratiquer publiée dans la Feuille des avis officiels. Elle concernait un avocat genevois déjà objet de plusieurs procédures disciplinaires, condamné à six mois d’emprisonnement avec sursis pour contrainte. Il avait en outre commis de nombreuses autres violations de la profession d’avocat. Rien ne démontrant qu’il se corrigerait à l’avenir, la sanction la plus lourde a été jugée proportionnée.
Transparence genevoise
C’est aussi à Genève que le plus grand nombre de nouveaux dossiers ont été ouvert, en 2013 par la Commission du barreau (138). Cette commission a cependant d’autres compétences que disciplinaires, puisqu’elle juge également les demandes de levée du secret professionnel (10) et, depuis 2011, la légitimité des motifs avancés par des avocats nommés d’office pour refuser leur ministère (22 demandes). En 2013, 55 procédures concernaient la violation de règles professionnelles, quatre procédures touchaient plus spécialement des situations possibles de conflits d’intérêts,
25 requêtes concernaient le stage d’avocat et 22 dossiers les conditions d’inscription et de pratique du barreau. La transparence est assurée: lorsque la procédure a été ouverte après une dénonciation, la commission informe le dénonciateur de la suite qui a été donnée (art. 48 LPAv)3. En règle générale, la commission lui communique l’intégralité des décisions, sauf si des faits apparaissent qui ne sont pas connus et n’ont pas à être portés à sa connaissance. Les mesures disciplinaires sont inscrites au Registre des avocats; elles sont radiées après cinq ans s’il s’agit d’un avertissement, d’un blâme ou d’une amende, ou après dix ans si une interdiction temporaire de pratiquer a été prononcée (art. 20 LLCA).
Discrétion vaudoise
Le canton de Vaud est beaucoup plus discret. La Chambre des avocats a ouvert quatre enquêtes disciplinaires en 2014; l’une a été classée sans suites. Les trois autres portaient sur le manque d’indépendance de l’avocat (conflit d’intérêts), sur un manquement aux devoirs d’exercer sa profession avec soin et diligence et la dernière sur un conflit d’intérêts ainsi que sur la violation du secret professionnel. Ces trois affaires sont encore en cours de traitement. Trois enquêtes disciplinaires avaient été ouvertes en 2013. Cette année-là, les décisions prises concernaient un blâme prononcé dans une affaire pénale, une amende disciplinaire de 500 fr. pour manquement aux devoirs d’exercer sa profession avec soin et diligence (dans un autre cas, il a été mis fin à l’enquête sans sanctions) et, dans une affaire de démêlés avec un confrère et de violation de la confidentialité, la dénonciation a été retirée. «Au vu des sanctions infligées, aucune publication n’a été faite ni en 2013 ni en 2014 et aucune information n’a été communiquée au dénonciateur», justifie la Chambre des avocats. L’issue de ces affaires est donc restée plus que confidentielle4.
Pas de détails en Valais
La Chambre de surveillance des avocats valaisans avise systématiquement par lettre le dénonciateur de l’issue de la procédure, et lui dit si l’avocat a ou non été sanctionné. En revanche, le genre de sanction infligé n’est pas transmis. Le nombre de dénonciations disciplinaires est aussi en diminution: en 2013, 21 dénonciations ont été faites, alors que, en 2014, seules 11 sont parvenues à la Chambre de surveillance. Les sanctions infligées cette année-là, principalement des blâmes et des avertissements, ainsi qu’une amende, sont de nouveau relativement bénignes. Elles sont inscrites dans le casier disciplinaire de l’avocat tenu par la Chambre de surveillance. Le bâtonnier valaisan, le Tribunal cantonal qui est chargé de la surveillance administrative des avocats, le Département de la sécurité et le Département des finances (encaissement des amendes) en ont connaissance.
Risques de l’urgence à Neuchâtel
Le nombre de dossiers disciplinaires ouverts a aussi baissé à Neuchâtel, passant de sept en 2013 à trois en 2014. Cinq ont été classés en 2013 et un en 2014, et seuls deux dossiers ont donné lieu à un avertissement en 2013, aucun l’an dernier5. Le président de cette autorité, le juge Fabio Morici, relève que «l’intervention des avocats aux prémices d’une enquête pénale, parfois dans l’urgence (en cas de détention), augmente les risques de violation des règles de déontologie (par exemple: conflits d’intérêts, attitude envers les enquêteurs ou les parties plaignantes lors des auditions, etc.)». Il estime que la constitution d’études d’avocats sous forme de sociétés commerciales – pas encore pratiquée à Neuchâtel mais attendue sous peu – risque d’accaparer l’Autorité de surveillance ces prochaines années6. La plupart des dénonciations ont trait à des retards mis par un avocat à liquider certains mandats ou à restituer des pièces, ou visent des attitudes jugées déplacées en procédure, surtout par la partie adverse (comportement en audience, ton de certains courriers). L’autorité cherche la médiation7 dans de tels cas: «Ils ne justifient pas forcément des sanctions disciplinaires et peuvent être réglés en demandant à l’avocat de livrer des observations écrites et en fournissant au client les explications permettant de comprendre que, si le travail du mandataire n’a peut-être pas été impeccable, il ne constitue pas un manquement aux règles de la profession», poursuit son président. Ce sont essentiellement des avertissements, voire parfois des blâmes, qui sont infligés8. Le 28 février 2012, le TF a néanmoins confirmé l’interdiction de pratiquer durant six mois prononcée contre un avocat neuchâtelois qui avait rédigé «des actes et des conventions pratiquement incompréhensibles, dépourvus de structure et qui font douter de la maîtrise des concepts juridiques de base par leur auteur»9. Il avait en outre entraîné l’ouverture d’une procédure pénale contre un client. Certes sévère à titre de première sanction, cette interdiction a été jugée légitime par le TF.
Pas de consultation à Fribourg
A Fribourg, la mention de la mesure disciplinaire prise figure dans le Registre cantonal des avocats, version papier (et non sur la liste publiée sur internet). Il faut donc en faire la demande auprès du Service de la justice, ce qui, ces dernières années, n’est jamais arrivé. Le dénonciateur est informé par courrier du fait que la commission a donné suite ou non à sa dénonciation. Les dénonciations sont stables dans ce canton, puisque neuf cas ont été soumis à la Commission du barreau en 2013 et le même nombre en 2014. Quatre, respectivement cinq affaires ont été classées sans suites ces années-là, et deux, respectivement quatre affaires sont encore ouvertes. En 2014, une affaire a fait l’objet d’un blâme pour la façon d’agir devant le tribunal, une autre affaire d’une amende pour manquement dans l’accomplissement de son mandat et une troisième d’un avertissement pour la même raison. Enfin, dans le canton du Jura, aucune procédure disciplinaire n’a été ouverte par la Chambre des avocats, ni en 2013 ni en 2014. En 2012, une seule procédure pour démêlés avec un confrère avait été classée au stade de l’enquête préliminaire.
La Chambre de surveillance valaisanne se dit attentive à la jurisprudence récente du TF en matière de conflit d’intérêts et de droit de réplique (art. 29 II Cst. et 6 CEDH). Il semble aussi que Strasbourg protège mieux la liberté d’opinion de l’avocat. Alors que, dans l’arrêt Schöpfer c. Suisse10, la Cour confirmait une amende de 500 fr. pour un avocat qui avait proféré de graves critiques sur le fonctionnement de la justice lucernoise avant même un recours efficace, elle a défendu, dans l’affaire Foglia c. Suisse11, un avocat qui avait critiqué l’action du Ministère public à l’encontre des dirigeants de la Banca del Gottardo, auxquels il reprochait un manque de contrôle sur des détournements. La Cour a relevé qu’il s’était exprimé dans un contexte auquel la presse s’était, dès le début, intéressée. En conséquence, l’amende violait la liberté d’expression de l’avocat telle que protégée par l’art. 10 CEDH.
1Loi fédérale sur la libre circulation des avocats (LLCA) du 23 juin 2000, RS 935.61.
2Arrêt 2P194/2004 du 23 mars 2005. Dès lors, la question de savoir si cette interdiction de pratiquer doit passer par un retrait du brevet – dont la conformité au droit fédéral est contestée – cf. KETTIGER, Daniel, Entzug des Anwaltspatents: Zur Frage der Rechtmässigkeit kantonales Regelungen des Patententzugs, in Jusletter du 28 septembre 2009 – apparaît secondaire.
3Loi sur la profession d’avocat (LPAv) du 26 avril 2002, RS/GE E 6 10.
4Cette discrétion paraît excessive, car, s’il n’a pas qualité de partie, il reste loisible au dénonciateur d’agir sur le plan civil ou pénal lorsque l’autorité de surveillance renonce à ouvrir une instruction disciplinaire (cf. REISER, Christian M. VALTICOS, Michel, Conflit d’intérêts: l’autorité de surveillance des avocats est-elle fondée à intervenir préventivement? in Revue de l’avocat 6-7/2006, p. 246). Il doit donc en être informé.
5L’Autorité de surveillance a aussi ouvert sept dossiers en 2013 et trois en 2014 concernant des contestations de clients relatives à la rémunération de leur avocat, fonctionnant comme Chambre de conciliation pour ce genre de litiges (art. 13 de la loi d’organisation judiciaire neuchâteloise du 27 janvier 2010, RS/NE 161.1).
6Le risque vient également des conditions générales imposées par certains grands cabinets d’avocats incluant «une quasi autorisation de conflits d’intérêts sous couvert d’une prétendue protection du client en forme de «Chinese walls», cf. C. Reiser, M. Valticos, conflit d’intérêts, p. 249.
7La Commission de surveillance défendant l’intérêt public à ce que la profession d’avocat soit exercée de manière régulière, elle doit cependant avoir vis-à-vis de cet avocat «la position d’une partie adverse et non pas d’un «juste médiateur», cf. BOHNET, François, Droit des professions judiciaires, 3e éd., Neuchâtel, Helbing & Lichtenhahn, 2014, p. 83.
8Le dénonciateur est informé par écrit des suites données à son action, voir l’art. 38 III de la loi neuchâteloise sur la profession d’avocat ou d’avocate du 19 juin 2002, RS/NE 165.10.
9Arrêt 2C_878/2011 du 28 février 2012.
10Arrêt Schöpfer c. Suisse (56/1997/ 840/1046) du 20 mai 1998.
11Arrêt Foglia Aldo c. Suisse N° 35865/ 04 du 13 décembre 2007.