L'avocat saint-gallois Frank Petermann a donné plusieurs fois, à la demande de la Fédération suisse des avocats, un atelier portant sur le stress dans la pratique de l'avocat. Spécialisé en droit médical, il s'est peu à peu mis à encadrer des confrères qu'il voit «entre deux et dix fois» afin de leur donner des conseils utiles pour faire baisser la pression dans l'exercice de leur métier.
Il convient tout d'abord que l'avocat s'assure que son client a les épaules assez larges pour supporter le stress psychique intense que suscite le procès civil. «Ne pas le faire est une erreur qui se paie cher, car cette tension, insupportable pour certains clients, retombera sur son conseil», commente ce rédacteur d'un article paru dans la Revue suisse de droit de la procédure civile, il y a sept ans1, à une époque où peu de littérature existait à ce sujet. «Beaucoup d'avocats ne sont pas conscients que le stress de leur clientèle se répercute sur leur propre personne, et ils ne peuvent donc s'en libérer. Personnellement, je la choisis en limitant le nombre de clients avec lesquelles les contacts sont toujours longs et chargés d'affects: je n'en admets qu'un ou deux en tout, et je m'arrange pour ne pas avoir de rendez-vous après.»
Stress du client
Frank Petermann relève que le facteur de stress qui domine le procès civil réside dans le sentiment de perte de contrôle que connaît le client, soit l'impression de ne plus pouvoir agir seul sur son propre destin (qui dépend désormais de la décision de tiers, qu'il s'agisse de juges ou de la partie adverse). Pour s'en libérer, il faut être conscient des mécanismes psychiques qui entrent en jeu, «or les avocats qui ont une activité judiciaire sont souvent si débordés qu'ils n'ont pas l'occasion d'y réfléchir et de prendre la situation en main. C'est ce que je tente de leur apporter dans mes cours.» Des conseils pratiques, tels que estimer d'emblée avec son client la durée probable de la procédure et le rôle qu'il entend y jouer, fixer une marge supplémentaire en matière de délais ou éviter les interruptions dues aux appels intempestifs de certains clients en priant une secrétaire de prendre note des requêtes «font déjà beaucoup. En général, rendre mes confrères attentifs à ces quelques points entraîne une amélioration rapide.» Mais, parfois, c'est la personnalité de l'avocat qui est en cause: «Une consœur ne parvient pas à fermer sa porte lorsqu'elle travaille, afin qu'on ne vienne pas la déranger. J'ai dû l'adresser à un médecin spécialiste.»
«Les avocats concentrent l'essentiel de leur attention sur les aspects légaux du problème qui leur est soumis, mais sont peu conscients de ce qui se passe en termes de rapports de force dans la relation judiciaire qu'ils entretiennent avec le client, le juge et la partie adverse», constate Catherine Piguet, titulaire d'un doctorat en sciences de l'éducation et en sciences médicales. Au cours de séminaires intitulés «Le plaisir d'être soi dans sa pratique d'avocat», organisés depuis deux ans par l'Institut La Source à Lausanne, elle s'appuie «sur des situations concrètes dans lesquelles les avocats sont en difficulté avec une ou plusieurs des parties (client, juge, autre avocat) pour les amener à identifier la principale difficulté du conflit et à en analyser les enjeux à l'aide de références issues des sciences humaines». Elle se dit en effet surprise de l'absence d'«outils» autres que juridiques - notamment ceux permettant de repérer les leviers d'une communication efficace - chez les participants. «Dans une situation de divorce, par exemple, ils affirment d'emblée ce qui leur semble important d'offrir au client, sans toujours écouter la demande et l'objectif de ce dernier. Au travers de jeux de rôles, ils sont amenés à comprendre ce qui est en train de se passer du point de vue des autres acteurs de la situation. L'objectif consiste à apprendre à gérer un environnement conflictuel de la manière la plus satisfaisante pour chacun.»
Seul face au conflit
Comme elle rencontrait durant son stage d'avocate des problèmes de santé (ulcère, maux de dos), Valérie Mérinat a suivi le séminaire de gestion du stress intitulé «Avocat: les enjeux d'une profession à risques» donné par le médecin David Zarouk. Complémentaire à la formation dispensée par Catherine Piguet et également organisé par l'Institut La Source, il est plus spécialement destiné à prévenir l'épuisement professionnel. Des audiences au terme desquelles l'avocat ne se sent pas satisfait du résultat obtenu, une pression des clients qui s'immiscent dans le travail du défenseur et sont convaincus de leur bon droit: «C'est un métier où l'on est assez seul pour faire face aux conflits difficiles psychologiquement auxquels on est confronté lorsqu'on fait beaucoup de droit pénal et de droit de la famille», constate Valérie Mérinat.
Eliminer les sources de stress liées à des questions d'organisation est la première des choses à faire: cela va de disposer d'un ordinateur de secours en cas de pannes fréquentes de son traitement de texte au secours d'un associé ou d'un stagiaire en période de forte activité. Pour ne pas susciter des attentes irréalistes, l'avocat définira avant le début de la relation contractuelle ce qu'il est possible de faire ou non. Le cours apprend aussi à s'octroyer des pauses plusieurs fois durant la journée de travail et à utiliser des techniques de respiration pour ne pas se laisser submerger par des émotions négatives. En définitive, il conduit l'avocat à se demander si les difficultés de son métier sont contre-balancées par les avantages qu'on y trouve, c'est-à-dire à déterminer si cette profession lui convient ou non.
«Cela m'a soulagée de voir que d'autres confrères partageaient les mêmes préoccupations, car il est parfois difficile d'avouer, face à des concurrents, l'existence de difficultés», poursuit Valérie Mérinat. Prendre du recul par rapport à sa profession lui a toutefois «donné de l'énergie: j'ai réalisé que j'aimais ce métier et j'ai trouvé le moyen de répondre aux freins que je rencontrais».
Oser changer
«Il faut identifier l'origine de son stress», explique Rose Caseley, qui propose de coacher des juristes et des avocats soucieux de gérer la pression professionnelle. Installée à Villars-sur-Ollon (VD), elle a elle-même pratiqué en tant qu'avocate le droit bancaire et financier à Londres, puis en Australie: «Souvent, on pense qu'on a trop de choses à faire et pas assez de temps pour les réaliser, ce qui nous conduit à effectuer des heures supplémentaires ou du travail de nuit. Il faut chercher un équilibre entre sa vie professionnelle et sa vie privée. Toutes les deux semaines durant une heure, j'offre à la personne un espace d'écoute, afin qu'elle trouve sa propre solution. Il s'agit aussi de s'interroger sur ses objectifs de vie, sur les moyens d'y parvenir et les changements qu'il est nécessaire d'initier dans ce but», poursuit la coach. «Or en tant qu'avocat, on est poussé à être perfectionniste et à éviter de prendre des risques, ce qui peut freiner la possibilité de changements»: Rose Caseley montre l'exemple, puisqu'elle a renoncé au droit voici cinq ans pour devenir formatrice de yoga.
1 Zivilprozess und psychische Belastung: Über die Berücksichtigung des Faktors der psychischen Belastung eines Zivilprozesses für Klient und Anwalt, Frank Th. Petermann, in Revue suisse de droit de procédure civile et d'exécution forcée (PCEF), 4/2004.