Zurich a ouvert les feux dans les années septante, en créant deux postes d’ombudsman (ville, puis canton), chargés de traiter des réclamations des citoyens vis-à-vis de l’administration. Bâle-Campagne et Bâle-Ville ont suivi dans les années 1980, puis ce furent plusieurs villes alémaniques et le canton de Vaud, en 1998. Cependant, alors que les Alémaniques s’inspiraient directement de l’institution nordique de l’ombudsman et mettaient l’accent sur la tâche de contrôle de l’administration, le canton de Vaud optait pour une fonction de médiateur, avec possibilité, néanmoins, d’émettre des recommandations. Ce poste (à 90%) est actuellement occupé par Christian Raetz, ancien préposé cantonal à la protection des données et à la transparence.
Quant au canton de Fribourg, il vient d’engager un médiateur à 20% le 1er janvier, en la personne de Philippe Vallat, notamment coach et formateur en management public. Le profil du poste s’inspire ouvertement du modèle vaudois, à une différence près, et pas des moindres: son titulaire est nommé par le Conseil d’Etat, tandis que son homologue vaudois est élu par le Parlement pour la durée d’une législature (comme cela se pratique en principe en Suisse alémanique). L’élection est pourtant un signe d’indépendance non négligeable, pour des médiateurs par ailleurs rétribués par l’administration. Pour Jean Mirimanoff, spécialiste de la médiation et auteur d’une note à l’intention de la Commission législative genevoise (février 2014), il est d’ailleurs discutable de parler de médiateur indépendant lorsqu’il est rétribué par l’administration.
Dans le canton de Vaud, Christian Raetz comprend la critique, mais il met en avant son indépendance au niveau organisationnel et son élection par le Parlement. A Genève, la loi sur la médiation administrative, entrée en vigueur en avril 2015, prévoit également une élection par le Parlement et des fonctions inspirées du système vaudois. Cependant, cette loi est restée lettre morte. Estimant que la création d’un service de médiation coûte trop cher, le Conseil d’Etat propose de le rattacher au service du préposé à la protection des données et à la transparence. Formellement, cela passerait par une modification de la loi sur l’information (LIPAD).
Mélange critiqué
Pour certains auteurs, la fusion des rôles d’ombudsman et de médiateur, tel qu’il prévaut en Suisse romande, n’est pas satisfaisant. Dans la note précitée, Jean Mirimanoff écrit, en substance, qu’on ne peut à la fois émettre des recommandations et afficher la neutralité exigée par la médiation. Dans le canton de Vaud, ce cumul de fonctions est pourtant issu d’une longue pratique, qui semble avoir fait ses preuves. Christian Raetz admet que son activité ne répond pas à la définition classique de la médiation, mais les règles sont clairement communiquées aux personnes concernées: «J’utilise les outils de la médiation: l’écoute et la reformulation, sans porter de jugement. Mais, dans un deuxième temps, je suis en principe assez interventionniste: je prends position en cherchant une solution.» Il lui arrive de mener une médiation au sens propre, mais en avertissant d’emblée qu’il restera neutre jusqu’au bout. En pratique, il trouve que les missions et les manières de fonctionner sont similaires dans les cantons romands et alémaniques.
Prenant position dans les cas particuliers, le Vaudois émet peu de recommandations générales à l’intention d’un service de l’administration: «Il faut pour cela que le cas soit généralisable. Nous avons traditionnellement mis la priorité sur la recherche d’une solution dans les cas individuels plutôt que sur le contrôle. Cela dit, le fait de pouvoir examiner comment travaille l’administration est déjà une forme de contrôle.»
Expliquer le jargon
Bon nombre de conflits trouvent une issue par un simple dialogue avec le citoyen mécontent ou inquiet, autour d’un café pris au coin cuisine du bureau de médiation. «Les décisions de l’administration se doivent d’êtres précises, ce qui les rend parfois peu compréhensibles pour leurs destinataires», remarque le médiateur vaudois. En tête des services les plus souvent concernés, on trouve l’administration des impôts, le service de la population (surtout au sujet des permis de séjour) et les Centres sociaux régionaux. En 2015, 283 demandes ont été traitées, dont 111 ont été suivies d’une prise de contact avec l’autorité.
Vaud a la particularité d’ouvrir son service de médiation au domaine judiciaire, avec toutefois une compétence restreinte: elle se limite à l’explication de la décision de justice, sans possibilité d’interpeller les magistrats sur son contenu. «On mériterait d’être davantage connu dans ce domaine, car le langage des tribunaux est complexe pour les particuliers, souligne Christian Raetz. On peut aussi leur expliquer le fonctionnement des tribunaux et le déroulement de la procédure.»
Droits de l’homme
Pour l’avenir, il prévoit de mettre en place des indicateurs pour mesurer le succès de son activité. Il veut aussi mener une réflexion sur les droits de l’homme «qui devraient, parfois, davantage influencer les décisions de l’administration, surtout dans les domaines des droits des enfants et des droits des personnes en situation de précarité.» Un exemple? «Il faudrait peut-être agir différemment quand on expulse une famille avec enfants en bas âge.»
Vaud et Fribourg n’ouvrent pas la médiation administrative aux employés de l’administration pour des litiges avec l’Etat employeur, le projet genevois non plus. Cette compétence est pourtant bien répandue outre-Sarine. D’après l’Association des ombudsmans parlementaires suisses (c’est-à-dire élus par un Parlement), les cas «internes» représentent tout de même entre 10% et 30% des demandes annuelles. «Pour les collaborateurs du service public, la position de l’ombudsman neutre s’avère souvent plus digne de confiance que celle des chefs du personnel, intégrés à la hiérarchie», note l’association sur son site internet (www.ombudsman-ch.ch).
Plusieurs ombudsmans alémaniques recueillent par ailleurs les annonces des lanceurs d’alerte: notamment à Zurich (ville et canton), à Bâle-Ville et à Zoug. Et Zurich (ville et canton) se signale aussi comme un lieu de réception des dénonciations de corruption.