L’une des causes identifiées de la violence des enfants envers leurs parents (VEP) est l’absence de repères des rôles de chacun dans certaines familles et des relations parfois horizontales entre parents et enfant(s).
Après une brève explication de la VEP nourrie de quelques exemples (1.), nous aborderons la difficulté liée au choix des paradigmes «autorité parentale» ou «responsabilité parentale» sous l’angle de la VEP (2.), avant d’émettre quelques réflexions en guise de conclusion (3.).
1. La VEP
1.1 Des remarque sintroductives
La VEP est une forme de violence domestique, en ce sens qu’elle s’inscrit dans la durée et à la maison, soit dans un lieu censé offrir sécurité et protection, entre des personnes ayant un lien émotionnel.
Ce phénomène n’est pas nouveau. Le Père Goriot, publié en 1842, en est un exemple, repris par les époux Chartier dans leur ouvrage paru en 1989, Les parents martyrs. En 1993, c’est Nanni Moretti qui épinglait les travers contemporains, en particulier l’enfant unique devenu enfant-roi dans son film Caro diario. En outre, cette question avait été évoquée par la Commission des affaires juridiques du Conseil national, en 2000, dans ses réflexions relatives à la protection des victimes de violences domestiques1.
La VEP est toutefois taboue, car les parents ont honte de parler des maltraitances subies, qui constitueraient, selon eux, un aveu d’échec. Il n’existe ainsi pas de statistique fiable.
Cela étant, il est essentiel de permettre aux principaux intéressés d’en parler et de partager leur vécu, car les conséquences de la VEP peuvent être dramatiques. Certains parents s’isolent socialement, tombent en dépression, perdent leur emploi, voire pensent au suicide.
Enfin, la VEP peut surgir n’importe où, dans n’importe quelle famille, peu importe le niveau social et/ou culturel.
1.2 La définition
La VEP constitue un ensemble de comportements violents pérennes et répétés, perpétrés par les enfants (jusqu’à 18 ans) envers les parents, engendrant une prise de pouvoir et l’inversion de la hiérarchie familiale.
La violence peut être verbale (crier, se disputer, mettre au défi, être sarcastique, rabaisser, menacer, insulter), physique (taper, gifler, pousser, jeter des objets, cogner, cracher), émotionnelle (intimidation, séquestration, menaces de suicide, manipulation, mensonges), financière (voler, détruire, vendre les biens familiaux) ou sexuelle.
Le processus d’inversion de la hiérarchie familiale n’est pas immédiat; il s’inscrit dans la durée. A terme, l’enfant devient le personnage central de la famille et la seule véritable instance de décision, grâce à des comportements systématiques d’opposition et de consignes régulièrement défiées. De guerre lasse, les parents renoncent ainsi à leur autorité.
1.3 Des exemples de VEP
Concrètement, la VEP se manifeste, comme vu supra, par différents actes. Par exemple, un jeune homme mineur aspergeant sa mère d’essence et la menaçant d’une allumette. Ou un garçon de 15 ans contrôlant sa mère, son téléphone et ses sorties. Ou encore un autre adolescent insultant violemment sa mère lorsqu’elle lui demande d’arrêter de jouer à des jeux vidéo.
L’histoire la plus éloquente est celle de Florent, relevée par les époux Chartier (cf. supra): «A en croire les circonstances, depuis plus d’un an, Florent était le maître du pavillon. Dès son retour du lycée, il s’installait confortablement dans le meilleur fauteuil du salon, face à la télévision, une carabine à plomb sur les genoux. Eux-mêmes (les parents, ndlr) étaient relégués dans la cuisine d’où ils ne pouvaient sortir que pour lui servir ses repas ou lui apporter quelque objet. Mettaient-ils trop de temps à obtempérer, ils avaient le droit à une giclée de plomb dans les fesses, ce qui avait conduit un soir Monsieur Dupont à se sauver par la fenêtre en criant «au fou», «à l’aide». Quand un plat déplaisait à Florent, il les mettait à la porte jusqu’au lendemain. Mais lorsque, pour en finir avec les disputes, il arrivait au père de sortir le soir, Florent l’attendait dans le jardin, un couteau à la main, pour lui apprendre à s’absenter sans son autorisation. (…) Ils étaient prêts à abandonner leur maison, sans laisser d’adresse, de peur des représailles de leur fils, au cas où nous (les thérapeutes, ndlr) ne réaliserions pas de placement.»
2. La «responsabilité parentale» ou l’«autorité parentale»?
Cette question est importante et actuelle, vu la mutation de la société et a fortiori des situations familiales. Le droit suisse consacre l’institution de l’autorité parentale à l’art. 296 CC, tandis qu’au niveau international, la tendance est de privilégier la responsabilité parentale. Cette distinction s’avère fondamentale dans un contexte de perte de repères au sein de la famille, notamment dans un contexte de VEP.
On précise que l’autorité parentale est une invention sociétale incarnée dans la loi, et qu’il s’agit d’une «concession» du pouvoir de l’Etat aux parents dans leurs rapports avec les enfants. En d’autres termes, les droits des parents fondent la non-ingérence de l’Etat dans les questions touchant à l’éducation et à la prise en charge des enfants. Ce dernier a toutefois conservé une compétence résiduelle lorsque le bien de l’enfant est menacé.
2.1 La responsabilité parentale
Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a édicté une recommandation destinée aux Etats membres sur la responsabilité parentale. Selon celle-ci, «la responsabilité parentale est l’ensemble des pouvoirs et des devoirs destinés à assurer le bien-être moral et matériel de l’enfant, notamment en prenant soin de la personne de l’enfant, en maintenant les relations personnelles avec lui, en assurant son éducation, son entretien et sa représentation légale et l’administration de ses biens»2.
Cette institution a remplacé, dans certains Etats, l’autorité parentale. Ils ont considéré qu’elle représentait une conception moderne du rôle parental, admettant que les parents avaient, d’une façon égale et en consultation avec leur enfant, la tâche de l’éduquer, de le représenter juridiquement et de pourvoir à son entretien3. Ainsi, ils doivent agir dans l’intérêt de leur enfant et non plus en fonction de leur bon vouloir, en raison de l’autorité qui leur a été conférée.
Ces pays ont ainsi admis que la responsabilité parentale était non seulement une expression terminologique, mais une institution mieux adaptée à l’actualité, l’autorité parentale renvoyant quant à elle à une notion trop hiérarchisée.
2.2 L’autorité parentale
La Suisse est, jusqu’à aujourd’hui, restée attachée à l’institution de l’autorité parentale prévue aux art. 292 ss CC. En 2011, le Conseil fédéral a en effet considéré que la responsabilité n’était que l’une de ses composantes. Selon lui, en remplaçant l’autorité parentale par la responsabilité parentale, on réduirait considérablement sa portée, alors qu’il s’agit d’une notion essentielle tant dans la législation que pour des questions d’identité et de statut4.
Découlant de la loi, c’est en son sein qu’on y trouve ses caractéristiques. C’est un droit appartenant au père et à la mère de l’enfant, leur permettant de prendre les décisions nécessaires le concernant. Il fait partie des droits éminemment personnels relatifs des parents et il comprend les soins à donner à l’enfant, son éducation et le pouvoir des parents de le représenter à l’égard des tiers. L’autorité parentale impose également à l’enfant l’obéissance envers ses parents, sous réserve de sa propre capacité et de son degré de maturité.
L’autorité parentale est orientée vers un but précis dont on ne peut disposer à sa guise. Elle est composée de droits et de devoirs réciproques réglant les rapports entre l’enfant et ses parents, à l’aune des intérêts de l’enfant, et a une nature évolutive puisque les droits qui en découlent s’adaptent à l’âge et à la maturité de l’enfant.
3. Notre appréciation
Comme nous l’avons relevé, cette question est intéressante puisqu’elle répond aux questionnements actuels de la société, en constante mutation. Sous cet angle, l’idée de la responsabilité parentale n’est pas «à bannir» étant donné que la tendance moderne vise à privilégier le bien-être de l’enfant. Il est en effet nécessaire de valoriser l’enfant et de l’inclure dans les décisions le concernant, en fonction de son âge notamment. Il faut toutefois être conscient des conséquences sociétales qu’un tel changement provoque.
La responsabilité parentale écarte, à notre avis, la notion de droits que les parents ont sur l’enfant à des fins éducatives, ne leur laissant que des devoirs. Or, si on admet que les parents ont des responsabilités et des devoirs à l’égard de leur enfant, ils sont également investis du pouvoir leur permettant d’accomplir leurs tâches, c’est-à-dire de pourvoir à l’enfant ce dont il a et aura besoin pour s’inscrire dans la société une fois adulte. En effet, avoir de l’autorité, c’est avoir de l’ascendant en tant qu’autorité morale et de l’influence en dehors de tout rapport de force. Or, la responsabilité parentale semble dépouiller les intéressés des instruments leur permettant d’agir.
Par ailleurs, la notion de responsabilité parentale n’est guère encourageante pour les parents. Des parents irresponsables ne se sentiront pas responsables juste parce qu’on leur aura rappelé qu’ils sont responsables de leurs enfants. Les autres, ceux qui sont dépassés par les événements, ceux qui ne se sentent pas d’assez bons parents, seront accablés par le rappel de cette responsabilité. L’autorité parentale est une institution subtile et équilibrée, au contraire de la responsabilité parentale: la première donne, en effet, aux parents la possibilité de se sentir dignes d’assurer leurs devoirs d’éducation et de se voir conférer les moyens de le faire. La seconde, au contraire, insuffle l’idée que l’on gomme les pouvoirs donnés aux parents sous la forme de droits, et que l’on insiste sur le fait qu’ils vont devoir répondre des dommages causés par leurs enfants, mais aussi des dommages qu’eux-mêmes auront causés à leurs enfants par une éducation insatisfaisante. Les parents s’en trouvent infantilisés et par ce nouveau paradigme, on risque de les pousser à démissionner de leur rôle car ils se sentiront submergés.
Si le législateur suisse a perçu cette subtilité et a maintenu, à raison selon nous, l’institution de l’autorité parentale, il n’en demeure pas moins qu’il s’est rapproché de la conception européenne en affirmant que «l’autorité parentale sert avant tout le bien de l’enfant». Il a en plus rappelé que si l’autorité parentale était souvent considérée comme un droit des parents, c’était en fait un devoir: celui de veiller au bien de l’enfant et d’en assurer l’éducation. La Suisse s’est ainsi associée à l’idée d’une autorité parentale faite de devoirs plus qu’une autorité comprenant également des droits.
L’institution de l’autorité parentale est d’autant plus importante que les parents sont désormais soumis à des exigences subtiles et contradictoires. Cette recherche de l’équilibre parfait appelle à des compétences toujours plus affinées de la part des parents souvent débordés. Le droit élargit l’autonomie de l’enfant tandis que la loi ne fait plus référence à ses devoirs. Les parents sont par ailleurs eux-mêmes surveillés et sujets à des dénonciations auprès des autorités de protection de l’enfance. On conviendra que dans de nombreuses situations, cet équilibre s’avère difficile et place les parents dans une position de faiblesse, tant face à l’Etat que face à l’enfant lui-même. Il existe une ambiguïté permanente des parents et de l’Etat vis-à-vis de l’enfant. En modifiant le rôle des parents et celui des enfants, l’Etat risque de brouiller la différence entre les générations et d’ôter de nombreux repères aux familles. L’enfant deviendrait le pivot de la famille et son intérêt, sa pierre angulaire. Ce serait désormais l’enfant qui fonderait la famille, remplaçant le couple. L’autorité parentale s’en trouverait de facto affaiblie.
Une égalité de droits semblables les uns par rapport aux autres, dans un contexte d’égalité juridique et de devoirs sans moyens, rendrait la charge parentale difficile à assumer. Chaque membre de la famille doit investir une place particulière et il n’y a pas d’égalité entre les parents et les enfants. L’enfant n’est pas un adulte miniature, et ce serait lui faire du mal que de le traiter comme tel. Il est donc essentiel, dans un contexte de VEP, de maintenir l’autorité parentale – garante des rôles de chacun – afin d’éviter de passer d’un paternalisme familial à un paternalisme de l’Etat5. y