Depuis le mois d'août 2012, l'affaire dite du «Mensalão» est omniprésente au Brésil. Diffusées en direct par la chaîne TV Justice, les audiences de jugement occupent les écrans de télévision habituellement dévolus aux matchs de football, avec le même déploiement médiatique que les retransmissions sportives. Certains des magistrats de la Cour Suprême brésilienne, tels que Joaquim Barbosa, ont acquis une notoriété saisissante parmi la population et sont même pressentis en tant que candidats aux prochaines élections présidentielles. La presse écrite n'est pas en reste: les articles consacrés à cette affaire sont quotidiens, alimentés par des infographies détaillant le profil de chaque juge, ses votes, sa propension à la sévérité dans ses verdicts.
Le «Mensalão» (affaire des «mensualités», en traduction libre) trouve son origine en juin 2005, lorsqu'un député brésilien, Roberto Jefferson, révèle à la presse que le Parti du travail brésilien (ci-après, PT) «salariait» des pans entiers du Parlement, afin de s'assurer de leur soutien au gouvernement de l'ancien président Lula, qui plus est, au moyen des deniers publics. Les enquêtes de la police fédérale et l'acte d'inculpation d'une quarantaine de ministres, de députés, d'entrepreneurs et de hauts cadres d'entités publiques notamment, par la Cour Suprême brésilienne, compétente ratione personae, ont révélé un complexe de faits d'une ampleur inédite dans le pays. Les sommes soustraites aux livres comptables d'entités publiques autonomes, telles que le Banco do Brasil, atteindraient la contre-valeur totale d'environ 62 millions de francs, sous couvert notamment de prêts fictifs et de contrats de publicité confiés à des sociétés paravents, dirigées par un autre proche du PT, Marcos Valério.
Des retraits auraient ensuite été opérés au gré des votations parlementaires (telles que, par exemple, la nouvelle loi réglementant les casinos ou même la réforme de la sécurité sociale) ou des nécessités de la campagne électorale en vue de la réélection du Pprésident Lula en 2006. Les infractions visées par l'acte d'inculpation couvrent l'équivalent de nos notions suisses de gestion déloyale, d'abus de confiance, de blanchiment d'argent, de corruption active et passive, de gestion déloyale des intérêts publics, une infraction dite «d'évasion de devises» ainsi que l'aggravante de la bande («quadrilha», relevant d'une infraction séparée, au sens de l'art. 288 du Code pénal brésilien, davantage que comme une circonstance aggravante).
Quant à l'ancien président Lula, qui jouit toujours d'une grande popularité, il s'est distancé des accusations, avec indignation. Cependant, alors que les présentes lignes sont écrites, Marcos Valério lui impute à tout le moins la connaissance des infractions dont son gouvernement aurait bénéficié.
25 personnes condamnées
Ainsi, l'importance des entités, des personnes - et notamment les doutes à l'égard de l'ancien président - et des montants faisant l'objet de cette procédure explique en partie sa médiatisation. Cependant, l'intérêt des médias locaux réside davantage dans le fait même que le procès ait effectivement lieu et ait abouti d'ores et déjà à la condamnation de 25 des inculpés (la quotité de la peine étant inconnue à l'heure où cet article est rédigé). En effet, dire que le principe de «l'opportunité de la poursuite» est appliqué avec une certaine latitude relèverait de l'euphémisme, tant l'adage populaire selon lequel les personnes aisées ne comparaîtraient jamais par-devant quelque juridiction que ce soit au Brésil, est tenace.
En conséquence, la médiatisation à outrance de l'affaire et son exposition à l'opinion publique a pu avoir un rôle prépondérant dans la poursuite effective de ces infractions et la condamnation de certains auteurs principaux. En revanche, il y a lieu de se demander si une telle médiatisation ne serait pas susceptible de substituer l'opinion publique à l'application stricte des dispositions pénales et à l'intime conviction de magistrats «superstars», dotés d'ambitions gouvernementales.
La vérité sur les années de plomb
La présidente brésilienne Dilma Rousseff a décidé de faire toute la lumière sur les exactions commises par les régimes militaires entre 1964 et 1988. Elle a nommé une «commission de la vérité» composée de sept juristes, qui ont deux ans pour présenter leurs conclusions. Le Brésil a officiellement enregistré 400 morts et disparus sous la dictature. La présidente a elle-même été victime de torture au début des années 1970 et vient de recevoir à ce titre une indemnité de 7700 € de la part de l'Etat de Rio de Janeiro.
Une loi d'amnistie a jusqu'à présent protégé les tortionnaires. Mais la Cour interaméricaine des droits de l'homme (Cour IADH) a déclaré que cette loi est incompatible avec le droit international et ne peut plus être invoquée comme un obstacle au devoir de l'Etat d'enquêter sur les violations des droits humains sous la dictature. La Cour IADH a prononcé en 2010 la première condamnation contre le Brésil pour des violations commises pendant la dictature militaire (Cour IADH, 24 novembre 2010, Gomes Lund et autres c. Brésil - ADL du 10 février 2011).
Des officiers ont créé une commission parallèle pour faire savoir leur version des faits. Ils exigent que les crimes des guérilléros contre la dictature soient également examinés. Par ailleurs, des citoyens se réunissent en groupes, les «esculachos», pour recouvrir de tags et de banderoles les maisons d'anciens responsables de la dictature. (spr)