Introduction
Régi par un corpus de textes exponentiel, le droit des assurances sociales fait l'objet chaque année de plusieurs milliers de décisions judiciaires, fédérales et cantonales. Restreindre l'objet de cette revue de jurisprudence à quelques sujets essentiels répond ainsi à une nécessité évidente. Notre choix a été guidé par le souci d'évoquer des décisions non seulement actuelles, mais dont le résultat renvoie à une réflexion plus générale sur la cohérence de notre système.
1. L'appréciation médico-théorique de l'invalidité
Dans un arrêt du 15 mars 2012 (9C_540/2011), le TF devait juger du taux d'invalidité d'une femme appartenant à la communauté suisse des gens du voyage, menant avec sa famille une vie semi-nomade, passant quatre mois par année sur une aire de repos en Suisse et le reste de l'année en voyage. Sur le plan professionnel, elle travaillait dans l'entreprise de brocante de son mari. Atteinte de troubles du rachis, elle avait demandé des prestations de l'assurance-invalidité. Une expertise médicale avait déterminé que la capacité de travail dans l'activité habituelle était nulle, mais que, en revanche, dans une activité adaptée, soit une activité sédentaire n'impliquant pas de port de charges, l'assurée conservait une pleine capacité de travail. Sur la base de cette expertise, l'Office AI d'abord, puis le Tribunal cantonal ont nié à l'assurée le droit à des prestations de l'assurance-invalidité.
Le TF rappelle dans un premier temps qu'en vertu de l'obligation de diminuer le dommage qui incombe à l'assuré - principe cardinal du droit des assurances - l'on attend de l'assuré qu'il mette à profit sa capacité de travail résiduelle avant de pouvoir obtenir une compensation pécuniaire pour sa perte de gain (c. 3.2). L'existence d'une capacité de travail résiduelle doit être déterminée sur la base de considérations médicales, en partant de l'hypothèse d'un marché du travail équilibré, le fait que l'assuré trouve ou non un poste de travail correspondant n'entrant pas en ligne de compte (évaluation médico-théorique). Ce principe est toutefois nuancé, en ce sens que l'exigibilité des mesures de réadaptation, soit le reclassement dans une profession adaptée, doit être examinée au regard de l'ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas concret. Par circonstances subjectives, il faut entendre en premier lieu l'importance de la capacité résiduelle de travail ainsi que les facteurs personnels, tels que l'âge, la situation professionnelle concrète ou encore l'attachement au lieu de domicile (c. 3.2).
Il faut en outre, rappelle le TF, procéder à une pesée des intérêts entre, d'une part, l'intérêt général à une gestion économique et rationnelle de l'assurance et, d'autre part, le droit de chacun au respect de ses droits fondamentaux. Cette pesée des intérêts doit avoir lieu in concreto, dans chaque cas d'espèce.
En l'espèce, l'assurée invoquait son droit, protégé par l'art. 8 al. 2 Cst., à ne pas être discriminée par son mode de vie. Le TF rappelle tout d'abord que la Suisse reconnaît à la communauté helvétique des gens du voyage le statut de minorité nationale, ce qui implique, pour les autorités, l'obligation «de prendre en considération les spécificités et les particularités du mode de vie de la communauté tsigane» (c. 6.1). Fait notamment partie de ces particularités la tradition de l'itinérance, qui implique des déplacements continuels et réguliers d'un lieu à l'autre, réduisant de façon conséquente le champ des activités salariées envisageables (c. 6.2). Cela implique deux choses: premièrement, on ne peut pas, comme on le fait dans la majorité des cas, recourir aux données ressortant de l'Enquête suisse sur la structure des salaires pour déterminer le revenu d'invalide, car ces données statistiques tiennent compte de l'ensemble des branches économiques en Suisse, dont le plus grand nombre suppose une vie sédentaire, inconciliable avec le mode de vie tsigane. Deuxièmement, il n'est pas admissible de considérer comme exigible l'exercice d'une activité salariée qui supposerait la sédentarisation de la personne assurée, la rupture avec sa famille et son mode de vie traditionnel et, plus largement, un déracinement culturel. Dans le cas d'espèce, le TF a donc renvoyé l'affaire au juge cantonal pour qu'il «examine concrètement si et dans quelle mesure la recourante est en mesure de tirer profit de sa capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles et à ses aptitudes intellectuelles et professionnelles et compatible avec le mode de vie traditionnel de la communauté des gens du voyage».
Cette décision doit évidemment être saluée dans son résultat. Si l'on peut comprendre les nécessités de l'évaluation médico-théorique de l'invalidité pour, selon les termes du TF, la «gestion économique et rationnelle de l'assurance», on ne saurait la pousser à l'extrême sous peine de conduire à des situations juridiquement choquantes et humainement insoutenables.
C'est le lieu de rappeler que les minorités reconnues comme telles dans notre pays, comme les Tsiganes dans l'affaire dont il vient d'être question, ne sont pas les seules à bénéficier d'un aménagement de l'exigibilité de la mise en valeur d'une capacité de travail résiduelle.
Ainsi, les personnes approchant de l'âge de la retraite au moment où elles demandent des prestations de l'assurance-invalidité. A leur sujet, le TF a indiqué qu'on ne saurait, lorsqu'il s'agit de déterminer dans quelle mesure un assuré peut exploiter une capacité de gain résiduelle sur le marché du travail, subordonner la concrétisation des possibilités de travail et des perspectives de gain à des exigences excessives. Il faut donc, lorsqu'il s'agit d'évaluer l'invalidité d'un assuré qui se trouve proche de l'âge légal donnant droit à une rente de vieillesse, procéder à une analyse globale de la situation et se demander si, de manière réaliste, cet assuré est en mesure de retrouver un emploi. Cela revient à déterminer si, concrètement, un employeur potentiel pourrait consentir à engager l'assuré, compte tenu notamment des activités qui restent exigibles de sa part, de l'adaptation du poste de travail, de l'expérience professionnelle, de la situation sociale, des capacités d'adaptation à un nouvel emploi, du salaire et des contributions patronales à la prévoyance professionnelle obligatoire ainsi que de la durée prévisible des rapports de travail (cf. TF, 9C_849/2007 du 22 juillet 2008, c. 5.2 et les références citées). Un assuré est, en règle générale, considéré comme étant proche de l'âge légal AVS lorsqu'il se trouve, au moment où il demande des prestations de l'assurance-invalidité, à cinq ans de cette échéance, soit 59?ans pour une femme et 60 ans pour un homme. Il ne s'agit toutefois pas d'une limite absolue, et les circonstances concrètes du cas d'espèce doivent être considérées dans leur ensemble. Dans un arrêt du 15 octobre 2008 (9C_14/2008), le TF avait refusé l'application de cette jurisprudence à un homme de 59 ans, avant de l'admettre, dans un arrêt du 8 novembre 2010 (9C_720/ 2010), pour un homme âgé de 58 ans au moment de la demande de prestations, au vu de la désintégration professionnelle particulièrement marquée. Une année plus tard, un homme âgé de 58 ans dont la situation ne revêtait pas les mêmes caractéristiques s'est vu refuser l'application de cette jurisprudence (TF 9C_355/2011 du 8 novembre 2011).
Dans le même ordre d'idée, l'exigibilité du reclassement est appréciée différemment selon le type de profession exercée jusqu'alors par l'assuré. Ainsi, on renoncera éventuellement - toujours au terme de l'examen complet de toutes les circonstances du cas concret - à exiger d'une personne ayant connu une grande carrière artistique, ou d'une personne qui a exercé de très hautes fonctions, qu'elle se reclasse dans une tâche industrielle et/ou subalterne.
Toutes ces exceptions au principe de l'évaluation médico-théorique ont du sens et doivent être saluées. Du point de vue de l'avocat, au moment où la législation sur l'assurance-invalidité se durcit et où l'octroi de prestations ne s'obtient que difficilement, surtout lorsqu'il est question de rentes, il devient de plus en plus ardu de justifier ces différences de traitement en face de l'assuré «lambda» qui, du fond de la détresse médico-sociale dans laquelle il est enlisé, peine à comprendre les subtilités et, surtout, la justification de l'évaluation médico-théorique de l'invalidité.
2. La notion d'atteinte à la santé
Dans un arrêt du 20 septembre 2011 (8C_302/2011), le TF devait examiner le droit aux prestations de l'assurance-invalidité d'un indépendant en incapacité de travail à la suite d'un «burn-out». Se référant à la Classifica-tion internationale des maladies (CIM), le TF indique que le burn-out y est mentionné dans la catégorie Z, qui regroupe des états de fait qualifiés de facteurs influant sur l'état de santé et motivant le recours aux services sanitaires, sans qu'ils puissent être classés dans les catégories A à Y en qualité de maladie, lésion ou autres causes extérieures (pour plus de détails, cf. TF, I.514/2006 du 25 mai 2007, c. 2.2.2.2). Le TF en déduit sans autre analyse que le burn-out n'est pas une atteinte à la santé pertinente juridiquement (c. 2.3).
Dans cette même affaire, le TF précise qu'un trouble dépressif n'est pas un «syndrome sans pathogenèse ni étiologie claire», terme utilisé pour décrire les syndromes douloureux chroniques et les troubles associés (c. 2.4). Selon une jurisprudence bien établie (cf., par exemple, ATF 131 V 49), le caractère invalidant de ces troubles, qui ont pourtant en eux-mêmes déjà valeur de maladie, doit être jugé à l'aune de critères supplémentaires (critères de Foerster - cf. ATF 135 V 215 c. 6.1.2). Cette précision est utile dans la mesure où elle permet de rappeler que les pathologies visées par les dispositions finales de la 6e?révision de la LAI, 1er volet, (qui contraignent les offices AI à réviser systématiquement, dans un délai de trois ans, les rentes octroyées dans ces cas-là) sont celles qui ne présentent pas de substrat organique non seulement sous l'angle somatique, mais également sous l'angle psychiatrique. Un trouble dépressif diagnostiqué sur la base de constatations médicales objectives est ainsi une atteinte à la santé pertinente pour l'assurance-invalidité, contrairement à un état de détresse psychique puisant ses racines dans la situation psychosociale et sociocultuelle de l'assuré.
Sur un autre sujet, le TF a rappelé, dans un arrêt du 2 novembre 2011 (9C_213/2011), que la dépendance à l'alcool, bien qu'elle soit une maladie («auch wenn dieser eine Krankheit darstellt») n'est pertinente du point de vue de l'assurance-invalidité que si elle est à l'origine d'une maladie ou d'un accident ou si elle est la conséquence d'une atteinte à la santé physique, psychique ou mentale ayant valeur de maladie.
Selon la définition consacrée à l'art. 3 LPGA, est une maladie toute atteinte à la santé qui nécessite un traitement ou qui entraîne une incapacité de travail. Si l'on se réfère à l'art. 7 LPGA, qui définit l'incapacité de gain, on apprend que cette incapacité n'est pertinente que dans la mesure où elle est causée par une atteinte à la santé. En confrontant ces deux définitions, on a le sentiment que l'art. 7 LPGA se réfère à une notion plus large, puisqu'il pourrait s'agir de toute atteinte à la santé, indépendamment de savoir s'il s'agit d'une maladie au sens de l'art. 3 LPGA. La jurisprudence exposée ci-dessus montre que, en réalité, c'est tout le contraire: une atteinte à la santé, pour être pertinente sous l'angle de l'assurance-invalidité, doit correspondre à la notion médicale de la maladie, plus étroite que la notion juridique. En effet, les tribunaux ne remettent pas en question la nécessité d'un traitement médical pour un assuré souffrant de l'un des troubles de la santé figurant dans le groupe Z de la classification CIM. On voit donc que l'unification des définitions et des principes généraux du droit des assurances sociales, à l'origine de l'adoption de la LPGA, est mise en échec pas l'interprétation jurisprudentielle de notions connexes. Le risque existe ainsi que, par effet réflexe, la notion juridique de maladie, telle qu'elle est comprise à l'art. 3 LPGA, soit entraînée dans le sillage de cette interprétation restrictive, avec les conséquences que cela suppose dans d'autres régimes d'assurance sociale, à commencer par l'assurance-maladie obligatoire des soins.
3. Début de l'incapacité de travail et invalidité
Dans un arrêt du 3 janvier 2012 (9C_505/2011), le Tribunal fédéral a examiné le cas d'un assuré, né en 1956, qui prétendait à une rente d'invalidité totale de la part de la caisse de pension de l'un de ses derniers employeurs. Une première demande contre la caisse de pension d'un précédent employeur avait été rejetée par les juges fédéraux (B 152/06 du 11 février 2008), au motif que l'assuré n'avait pas présenté au degré de la vraisemblance prépondérante, lors de son activité lucrative de l'époque, une incapacité de travail à l'origine de l'invalidité à 72% reconnue par l'assurance-invalidité depuis le 1er juin 2001. L'assuré souffrait d'un type de schizophrénie chronique paranoïde. Depuis le 1er août 1989 jusqu'au 30 septembre 1996, il avait travaillé auprès de différents employeurs, pour ensuite bénéficier de mesures professionnelles. Du 1er janvier au 30 novembre 2000, il avait finalement exercé une activité en qualité de webmaster, avec une incapacité de travail survenue en juin 2000.
Le TF rappelle que, selon le principe d'assurance inscrit à l'art. 23 lit. a LPP, une institution de prévoyance ne doit verser des prestations d'invalidité que si et dans la mesure où la personne était assurée lorsqu'est survenue l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité, en tenant compte de la prolongation de la couverture d'assurance (art. 10 al. 3 LPP). Le risque de prévoyance «invalidité» concorde temporellement avec la naissance du droit à des prestations d'invalidité (cf. ATF 135 V 17 c. 2.6). En d'autres termes, la qualité d'assuré doit exister au moment de la survenance de l'incapacité de travail, mais pas nécessairement lors de l'apparition ou de l'aggravation de l'invalidité (cf. ATF 136 V 68 c.?3.1). En cas d'employeurs successifs affiliés à des institutions de prévoyance distinctes, le double critère de la connexité matérielle et temporelle entre l'incapacité de travail et l'invalidité pour fonder l'obligation de prester doit être examiné. D'après une jurisprudence bien établie, l'incapacité de travail doit être d'au moins 20% (cf. TF, B 105/03 c. 1 du 14 mars 2005). Par survenance de l'incapacité de travail, il faut entendre la diminution de la capacité fonctionnelle de rendement dans la profession exercée jusque-là ou le champ d'activités habituelles (ATF 134 V 23 c. 3.2.2). Une aggravation de l'invalidité pourra être mise à la charge de l'institution de prévoyance, si les critères de la connexité tant matérielle que temporelle sont réunis (cf. TF, 9C_179/2012 du 7 mai 2012). Ces principes valent dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire. Ils ne peuvent pas forcément être entièrement repris dans le cadre de la prévoyance professionnelle surobligatoire, pour laquelle il y a toujours lieu d'examiner les règlements de l'institution de prévoyance.
En présence d'une maladie à évolution intermittente («Schubkrankheit»), même connue de longue date, est déterminante pour rechercher l'institution de prévoyance appelée à fournir des prestations d'invalidité la date du début de l'incapacité de travail, en principe attestée par un certificat médical. Exceptionnellement, comme dans le cas d'espèce (9C_505/2011 c. 5.1-5.3), les juges ont estimé que des rapports médicaux détaillés postérieurs suffisent si l'on peut en déduire que l'épisode d'atteinte à la santé (du mois de septembre 1995) rendait raisonnablement impossible l'exécution de la prestation de travail. En tous les cas, seule une atteinte à la santé qui puisse être qualifiée de maladie ou d'accident peut entraîner un droit à des prestations. Dans un arrêt du 29 août 2011 (9C_288/2011), la Haute Cour a jugé que, en cas de troubles psychiques, l'incapacité de travail est déjà donnée lorsque l'état de santé (symptômes dépressifs-dysphoriques) a une incidence majeure sur la capacité de travail et que l'évolution de la maladie rend une hospitalisation nécessaire.
Dans l'arrêt 9C_505/2011, le TF insiste sur le fait que le critère de la connexité temporelle subsiste, si l'assuré a exercé de nouvelles fonctions par la suite, mais qu'elles doivent être considérées comme des tentatives de réinsertion ou reposent sur des considérations sociales de l'employeur, une réadaptation durable apparaissant peu probable (cf. aussi ATF 134 V 22 c. 3.2.1). En ce qui concerne la durée de la capacité de travail interrompant le rapport de connexité temporelle, les juges fédéraux ont précisé, dans un arrêt du 29 février 2012 (9C_619/2011) qu'on pouvait s'inspirer de la règle de l'art. 88a RAI comme «principe directeur». Conformément à cette disposition, il y a lieu de prendre en compte une amélioration de la capacité de gain ayant une influence sur le droit à des prestations lorsqu'elle a duré trois mois, sans interruption notable et sans qu'une complication prochaine soit à craindre. Aussi, il existe un indice important en faveur de l'interruption du rapport de connexité temporelle, lorsque l'intéressé dispose de nouveau d'une pleine capacité de travail pendant au moins trois mois et qu'il apparaît ainsi probable que la capacité de gain s'est rétablie durablement. En tous les cas, l'institution de prévoyance ne saurait répondre de rechutes lointaines plusieurs années après que l'assuré a recouvré sa capacité de travail.
Dans une affaire du 21 février 2012 (9C_327/2011), le TF avait à juger d'un cas de demande de prestations d'invalidité pour un assuré qui avait été mis au bénéfice d'une rente d'invalidité de l'AI, mais auquel la caisse de pension niait devoir des prestations, au motif qu'il ne lui était plus affilié au moment de la survenance de l'incapacité de travail. Le TF a rappelé que, conformément à l'art. 26 al. 1 LPP, les dispositions de la LAI (art. 29 LAI) s'appliquent par analogie à la naissance du droit aux prestations d'invalidité. Si une institution de prévoyance reprend - explicitement ou par renvoi - la définition de l'invalidité dans l'assurance-invalidité, elle est en principe liée, lors de la survenance du fait assuré, par l'estimation des organes de l'assurance-invalidité, sauf lorsque cette estimation apparaît d'emblée insoutenable (cf. ATF 126 V 311 c. 1). Cette force contraignante vaut non seulement pour la fixation du degré d'invalidité, mais également pour la détermination du moment à partir duquel la capacité de travail de l'assuré s'est détériorée sensiblement et durablement (cf. ATF 129 V 156 c. 2.5). Pour que l'institution de prévoyance, qui dispose d'un droit de recours propre dans les procédures régies par la LAI, soit liée par l'évaluation de l'invalidité (principe, taux et début du droit) à laquelle ont procédé les organes de l'assurance-invalidité, il faut que l'institution de prévoyance ait été valablement intégrée à la procédure (cf. ATF 133 V 69 c.?4.3.2).
Dans cette même affaire, le TF a encore précisé que la force contraignante de la décision de l'Office AI pour l'institution de prévoyance repose sur l'idée de décharger celle-ci de mesures d'instruction relativement importantes. Elle ne vaut dès lors qu'en ce qui concerne les constatations et appréciations des organes de l'assurance-invalidité qui étaient déterminantes dans la procédure de l'assurance-invalidité pour établir le droit à une rente d'invalidité et qui devaient effectivement faire l'objet d'une détermination. Dans le cas contraire, les organes de la prévoyance professionnelle sont tenus d'examiner librement les conditions du droit aux prestations (cf. B 50/99 du 14 août 2000, c. 2b). Le fait que l'assurance-invalidité a fixé le début du droit à la rente n'exclut donc pas que l'incapacité de travail sur laquelle est fondé le droit à des prestations d'invalidité de la prévoyance professionnelle soit survenue (dans une mesure plus restreinte) plus d'une année auparavant.
Dans le cas d'espèce, l'Office AI et la juridiction cantonale avaient retenu que l'incapacité de travail de l'assuré avait débuté le 15 avril 2002, date à laquelle il n'était plus affilié auprès de l'institution de prévoyance. Sur la base des différents rapports médicaux contradictoires versés au dossier, les juges fédéraux ont estimé qu'il n'était «pas possible de déterminer une période précise pour le début de l'incapacité de travail dont la cause est à l'origine de l'invalidité» (9C_327/2011 c. 6.4). En présence d'un «trouble somatoforme douloureux», ils ont constaté que la situation s'était lentement et constamment dégradée depuis 2000. Estimant que la décision cantonale était manifestement inexacte, le TF est arrivé à la conclusion que, en 2000 déjà, l'incapacité de travail à l'origine de l'invalidité existait déjà, à hauteur de 20% au moins. Cela étant, la date du début du droit aux prestations d'invalidité a été fixée au 1er avril 2003, soit à la même date que celle qui avait été retenue par l'Office AI. Il est donc essentiel de distinguer la date de la survenance de l'incapacité de travail de celle du début du droit aux prestations d'invalidité.
Ces distinctions, parfois difficiles, doivent conduire les parties à présenter déjà devant le Tribunal cantonal de prévoyance, au sens de l'art. 73 LPP, tous les éléments essentiels, de manière précise et détaillée. Cela vaut particulièrement pour les aspects d'ordre médical permettant de «dater» le début de l'incapacité de travail à l'origine de l'invalidité. En effet, comme le précise régulièrement le TF (9C_619/2011 c. 2.3 et les références), les constatations des juridictions cantonales relatives à l'incapacité de travail résultant d'une atteinte à la santé (survenance, degré, durée, pronostic) relèvent d'une question de fait et ne peuvent pas être examinées en dernière instance que sous l'angle restreint, «dans la mesure où elles reposent sur une appréciation concrète des circonstances du cas d'espèce». En revanche, les conséquences que tirent les autorités cantonales de recours des constatations de fait quant à la connexité temporelle ou matérielle sont soumises, en tant que question de droit, au plein pouvoir d'examen (TF, 9C_564/2008 c. 2).
4. Procédure
Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt du 1er mars 2012 (8C_727/2011), une assurée avait été victime d'un accident de train lui ayant causé plusieurs atteintes de diverses natures. Les prestations de l'assureur-accidents avaient été fixées par le biais d'une convention négociée entre l'assurée et lui. Dans cette convention, les parties s'étaient entendues pour fixer le taux d'invalidité à 80?%. Douze ans plus tard, après que l'Office AI avait fixé un taux d'invalidité largement inférieur, l'assureur-accidents a prétendu reconsidérer le cas et a mis fin aux prestations LAA. Saisi de l'affaire, le TF a jugé que, si une transaction pouvait, en soi, faire l'objet d'une reconsidération, les conditions en étaient plus élevées, la reconsidération n'étant possible que si la transaction était manifestement fausse («zweifellos unrichtig») ou contraire à la loi. Si la transaction avait pour but de régler des incertitudes, qu'elles relèvent du droit ou du fait, la reconsidération n'était pas possible. En l'espèce, en concluant la transaction de 1998, les parties avaient, précisément, voulu régler les incertitudes en matière de causalité (naturelle et adéquate), de sorte que la reconsidération n'était pas possible.
La LPGA ne s'applique pas en matière de prévoyance professionnelle, sauf à quelques rares exceptions (en matière de coordination: art. 66 al. 2 lit. c et 70 al. 2 lit. d LPGA). En particulier, les institutions de prévoyance ne sont donc pas soumises à l'obligation de renseigner, selon l'art. 27 al. 2 LPGA. Les institutions de prévoyance sont néanmoins tenues de fournir des informations aux assurés, conformément à l'art. 86b LPP. Dans un arrêt du 28 septembre 2011 (9C_53/2011), le TF a jugé le cas d'une assurée qui exigeait différents renseignements de sa caisse de pension et qui, faute de réponse satisfaisante, avait saisi directement le Tribunal cantonal des assurances de la République et canton de Genève. Dans cet arrêt, les juges fédéraux ont rappelé que, si une institution de prévoyance ne délivre pas de certificat d'assurance à l'assuré, elle viole son obligation d'informer. Dans un tel cas, l'assuré doit procéder par la voie de la surveillance: il doit en premier lieu interpeller l'autorité de surveillance compétente (art. 62 al. 1 lit. e LPP). Une éventuelle décision de cette autorité pourra, le cas échéant, faire l'objet d'un recours au Tribunal administratif fédéral, selon l'art. 74 al. 1 et 2 LPP. Aussi, le TF a confirmé le jugement de l'instance cantonale déclarant irrecevable le recours de l'assurée et la renvoyant à agir devant l'autorité de surveillance genevoise.
A noter que depuis le 1er janvier 2012, un recours interjeté contre une décision de l'autorité de surveillance n'a un effet suspensif que s'il est accordé par le Tribunal administratif, sur requête d'une partie (art. 74 al. 3 LPP). Cette modification de la loi aura des effets notables, notamment dans le cadre des procédures de contestation de liquidation partielle (art. 53b ss LPP). En cas de refus d'effet suspensif, les décisions de liquidation partielle pourront être exécutées sans délai par les institutions de prévoyance.
Anne-Sylvie Dupont, Dr en droit, avocate et chargée d'enseignement à l'Université de Neuchâtel, Guy Longchamp, Dr en droit, avocat et chargé d'enseignement à l'Université de Neuchâtel.