La Suisse compte quelque 50 000 sites pollués, parmi lesquels plus de 4000 sites contaminés, c'est-à-dire risquant de présenter à plus ou moins brève échéance un danger pour l'homme ou l'environnement et devant être assainis. On estime que cet assainissement coûtera plus de 5 milliards de francs, dont 2 seront finalement payés par les contribuables. En effet, il est difficile de poursuivre les pollueurs responsables, qui se débarrassent des terrains contaminés en les mettant en vente, se révèlent insolvables ou ne peuvent plus être trouvés, du fait de l'ancienneté de l'activité (exemple: usine à gaz du XIXe siècle). Un récent séminaire organisé à Lausanne par l'Association pour le droit de l'environnement a montré que les pratiques cantonales en matière de répartition des frais ne sont pas toujours semblables. Elles sont aussi le reflet de la situation trouvée sur le terrain, héritage du passé industriel du canton.
Ainsi, alors que le canton de Neuchâtel compte quelque 731?sites pollués inscrits au cadastre dont 404 aires d'entreprises, 274 décharges et 45 stands de tir, les décharges et les stands de tir sont plus nombreux dans le canton de Fribourg (1137 sites pollués, dont 529 aires d'entreprises, 462 décharges et 146 stands de tir). La pollution industrielle n'est pas toujours la même: 103 sites ont été marqués par l'activité horlogère à Neuchâtel, alors qu'à Fribourg ce sont les garages et commerces d'hydrocarbures (260) qui constituent la catégorie la plus importante, les entreprises actives dans le travail du bois (65) étant aussi plus nombreuses qu'ailleurs. C'est de nouveau le domaine des carburants (45%) qui forme la plus grande part des sites industriels pollués dans le canton de Genève (854 sites pollués, plus 17?sites pollués à surveiller et 21?sites contaminés, soit 892 sites concernés au total; parmi ces sites figurent 461 aires d'exploitation). La seconde place est occupée par l'industrie des métaux (13%).
Le Valais connaît 1186 sites pollués inscrits au cadastre cantonal, parmi lesquels 478 anciennes décharges, 535 aires d'entreprises parmi lesquelles 140 garages, 45?stations-services sans garage et 12 commerces d'hydrocarbures, ce qui confirme l'ampleur des sites pollués de ce fait. La particularité de ce canton tient à la raffinerie, les trois grands sites chimiques et deux sites de l'industrie de l'aluminium inscrits au cadastre de l'ordonnance sur l'assainissement des sites pollués (Osites), dont les activités ont engendré de nombreux autres sites pollués.
A la fin de 2010, le canton de Vaud comptait 2585 sites pollués inscrits au cadastre, parmi lesquels 603 décharges ne nécessitant pas, pour l'heure, la prise de mesures d'assainissement et 58 décharges dont l'assainissement ou la surveillance était en cours. Parmi les aires d'exploitation, 1788 sites pollués ne réclamaient alors aucune action urgente, alors que 50?sites faisaient l'objet de surveillance ou d'assainissement en cours (28 faisant l'objet d'un assainissement terminé).
D'un canton à l'autre
La répartition de la prise en charge des coûts d'assainissement est aussi très variable d'un canton à l'autre. Dans le canton de Vaud, «nous n'avons pas eu de cas de décision impliquant une répartition des coûts entre plusieurs pollueurs, indique Gérald Burnier, responsable des aires d'exploitation et lieux d'accident au Service des eaux, sols et assainissement. Les perturbateurs prioritaires ont tous assumé leur responsabilité. Quant aux anciennes décharges, le canton finance en permanence deux ou trois assainissements avec le soutien de la Confédération.»
«Après Bâle, le Valais est le canton qui a connu le plus d'activités industrielles liées à la chimie et à l'industrie, constate Luc Jansen, juriste auprès du Service juridique valaisan des transports, de l'équipement et de l'environnement. Dans certains cas, nous n'avons pas encore trouvé de solution pour répartir les coûts, par exemple parce qu'existent plusieurs pollueurs par comportement. C'est le cas d'une usine chimique à l'origine d'une pollution dans le Haut-Valais par micropolluants de mercure. Ces rejets se sont déposés dans le limon d'un canal de la plaine du Rhône, limon qui a été extrait par la commune propriétaire du cours d'eau, puis épandu sur des champs par des agriculteurs. Finalement, quelle répartition des frais doit intervenir si la société exploitant l'usine chimique refuse de prendre tout à sa charge? Nous l'ignorons encore.» Globalement, le canton connaît deux catégories de dossiers: les cas les plus compliqués, qui portent sur plusieurs millions, se soldent par convention entre l'autorité et le perturbateur par comportement ou par situation. Les cas ne portant que sur quelques milliers de francs (par exemple, propriétaires de petites citernes), qui se règlent par décision de l'Etat, et les cas liquidés par les assurances sans même que le canton en soit informé.
Autre particularité valaisanne, la possibilité de prévoir que la vente ou le partage d'un immeuble situé sur un site pollué soit soumis à l'autorisation du canton. Celle-ci n'est accordée que si la couverture des frais est garantie ou si la cession sert un intérêt public prépondérant (art. 46 LcPE, RSVS/814.1). Cette disposition permet au canton d'exiger une garantie financière préalable pour les frais d'assainissement des sites contaminés, empêchant ainsi les propriétaires de se défaire de la partie du terrain polluée et de ne pas assumer leur responsabilité. Sur le plan fédéral, un projet de révision de la loi sur la protection de l'environnement prévoit des garanties analogues, concrétisant une initiative parlementaire du conseiller aux Etats Jean-René Fournier (PDC/VS).
Globalement, la part des coûts laissée à la charge des détenteurs des sites («pollueurs par situation») varie aussi d'un canton à l'autre, allant de 10% généralement à Genève et à Neuchâtel jusqu'à 20% à Berne et plus ou moins 20% en Valais.
Un annuaire genevois
S'agissant de l'historique des entreprises «pollueurs par comportement», tous les cantons ne remontent pas non plus aussi loin que les cantons de Genève et de Neuchâtel, qui investiguent les activités industrielles jusqu'à la moitié du XIXe siècle. «Nous avons la chance de disposer de l'annuaire genevois de l'industrie, des bottins recensant l'activité et l'adresse des entreprises actives sur le territoire de 1860 à l'an 2000. C'est ce qui nous permet de remonter aussi loin dans la recherche des pollueurs par comportement», explique Alain Davit, chef du secteur sites pollués au Département genevois de la sécurité, de la police et de l'environnement. Sur 900 sites pollués, Genève a effectué 170?investigations historiques et rendu 270 décisions, donnant lieu à une trentaine de recours. La plupart des cantons romands se limitent à la moitié du XXe siècle.
De plus en plus, le rôle des Services cantonaux de l'environnement est de prévenir tous nouveaux risques d'atteintes nuisibles ou incommodants du fait de la construction de nouveaux chantiers sur un site pollué. L'art. 3 de l'Osites exige qu'une telle construction ou transformation ne se fasse que si les sites ne nécessitent pas d'assainissement ou si le projet n'entrave pas l'assainissement ultérieur des sites. A Fribourg, l'art. 5 II de la loi fribourgeoise d'application sur les sites pollués, en vigueur depuis le 1er?janvier dernier, réclame en outre que la réalisation fasse l'objet d'une autorisation du Service de l'environnement.
Une jurisprudence encore rare
«Il existe très peu de jurisprudence du Tribunal cantonal (TC) vaudois sur la question des sites pollués, alors que la législation est en place depuis 1995. Je n'ai compté que dix arrêts rendus pour l'ensemble du canton de Vaud entre 1995 et 2011, alors que nous rendons près de 300 arrêts par an en droit des construction et de l'aménagement du territoire», constate Robert Zimmermann, juge à la Cour de droit administratif et public du TC vaudois. Cette jurisprudence peu nombreuse est cependant intéressante, traitant des risques d'atteinte aux eaux souterraines par le plomb déposé sur le terrain des stands de tir, de l'assainissement des décharges ou de problèmes liés aux autorisations de construire (recours du propriétaire contre des mesures lui étant imposées; voisins souhaitant empêcher une construction et invoquant la pollution du terrain; densification faisant apparaître l'existence de terrains pollués).
Un arrêt du Tribunal administratif bernois (VGE 100.2009.220 du 20.05.2010) a tranché la question de savoir ce qui se passe au cas où une société reprend, dans le cas d'une fusion, les droits et obligations d'une entreprise de textiles qui avait pollué un site de 1865 à 1995. Dans cette affaire, le tribunal a laissé ouverte la question de savoir si la qualité de perturbatrice par comportement passait à la société reprenant les droits et obligations en cas de fusion, dans la mesure où l'obligation de prise en charge des frais des mesures est de toute façon reprise.
Un autre arrêt du 29 novembre 2010 de la Chambre administrative du canton du Jura (ADM 20/2010=RJJ 2010 pp. 232-238) porte sur l'art. 32d LPE, qui règle la prise en charge des frais d'assainissement des sites pollués par des déchets. Une société qui avait occupé et pollué les lieux entre 1940 et 1948 contestait les frais d'assainissement mis à sa charge en invoquant la prescription, car sa dernière activité sur le site remontait à 62 ans. L'arrêt cité explique que, si l'obligation d'assainir ne se prescrit pas, il en va de même de l'obligation de financer ces mesures. En effet, en matière de biens de police (impliquant des dangers concrets pour l'être humain ou l'environnement), l'obligation de remise en état demeure aussi longtemps que le site n'a pas été assaini.